Pourquoi 350 est supérieur à 30 000 ?

Al Assad 350
L'armée syrienne n'a pas résisté. D. R.

Une contribution de Kaddour Naïmi – «A horse ! A horse ! My kingdom for a horse !» (Richard III, Shakespeare). Vérité, où es-tu ? Ce roi demanda l’échange de son royaume contre un cheval pour fuir la défaite lors d’une bataille. Comment en est-il arrivé à cet échec ? Lisez la pièce : elle montre le degré de cynisme avec lequel ce despote réduisait les autres à des laquais manipulés à sa guise. Il jouait sur leur obsession de richesse, de poste honorifique, de gloire. Avec quoi ? L’arme de destruction massive des personnes et des nations : la corruption (1).

Le sort de ce monarque m’est revenu à esprit en lisant une information, donnée par Alexander Mercouris, analyste international compétent : la ville d’Alep fut conquise par 350 (trois cent cinquante) attaquants contre 30 000 (trente mille) défenseurs de l’armée gouvernementale.

Comment un tel exploit a-t-il eu lieu ?

Dans sa première déclaration, après sa fuite de Syrie, l’ex-président Bachar Al-Assad écrit (2) : «A ce moment charnière de l’histoire de notre nation, où la vérité doit être rétablie, il est nécessaire d’apporter des éclaircissements dans cette brève déclaration. (…) Il est apparu clairement que nos forces s’étaient entièrement retirées des lignes de combat et que les dernières positions de l’armée étaient tombées. (…) A aucun moment, je n’ai cherché à occuper des fonctions pour un profit personnel. Je me suis toujours considéré comme le gardien d’un projet national qui tirait sa force de la foi du peuple syrien, convaincu de sa vision. J’ai toujours cru fermement en leur volonté et leur capacité à protéger l’Etat, à défendre ses institutions et à honorer leurs choix jusqu’à la dernière minute.» Dans ces extraits et dans toute la déclaration, une vérité, des éclaircissements manquent : pour quels motifs 1) les forces armées se sont-elles retirées ? 2) la «volonté» et la «capacité» du peuple n’ont pas protégé l’Etat ? Des analystes avouèrent leur stupéfaction devant la victoire des assaillants. On l’expliqua par les soutiens divers : Etats-Unis, Israël, Turquie, ainsi que par l’embargo qui avait affaibli tous les secteurs sociaux.

D’accord. Cependant, il s’agit là de facteurs externes. On sait, ou on devrait savoir, qu’ils échouent là où la situation interne est solide : autrement dit, un peuple et une armée réellement convaincus et capables de neutraliser toute forme d’agression interne, soutenue par des éléments externes. L’ex-Président syrien ne devait-il pas, donc, avouer la vérité et les éclaircissements sur le peuple et l’armée défaits ? Sa déclaration ne reflète-t-elle pas, à son insu, son ignorance ou son occultation de la vérité ? Et n’est-ce pas cette vérité qui explique la chute très rapide de son Etat ?

Rappelons la guerre de Libération nationale algérienne et celle vietnamienne d’abord contre le colonialisme français puis l’impérialisme états-unien. Dans les deux cas, des éléments autochtones, contre leurs propres peuples, servaient les dominateurs étrangers. Pourtant, les peuples et les armées algériens et vietnamiens sortirent vainqueurs des conflits.

On peut également rappeler l’agression de mercenaires, soutenus par l’armée américaine et la CIA, contre Cuba sur la Baie des cochons. Là aussi, l’armée et le peuple cubains furent vainqueurs. Encore ceci : malgré l’embargo général des Etats-Unis contre Cuba, l’armée impérialiste et ses mercenaires n’osent pas agresser l’île. L’oligarchie américaine sait qu’elle devrait affronter une armée et un peuple qui, malgré toutes leurs difficultés, sont convaincus de leur principe «Patria o muerte !»

Alors, pourquoi, en Syrie, à Alep, 350 rebelles ont vaincu 30 000 soldats de l’armée régulière syrienne, qui ont fui le champ de bataille ? Ensuite, pourquoi l’armée syrienne tout entière s’est évaporée sans combattre ?

Sun Tzu écrivit : «La meilleure victoire est celle que l’on obtient sans combat (3).» Surtout, dirait Shakespeare, quand, dans le royaume ou la République, quelque chose est pourri. Alors, question : le motif de la chute du régime d’Al-Assad n’a-t-elle pas eu, comme cause première et fondamentale, une pourriture-corruption du système, malgré certains de ses aspects positifs, comme la laïcité et un relatif soutien au Front du Refus antisioniste ?

L’idéal !

N’est-il pas l’élément décisif, dans la guerre comme dans les autres domaines ? Les peuples vietnamien, algérien étaient nettement inférieurs dans le domaine matériel face aux machines de guerre française et états-unienne. Pourtant, ces dernières furent vaincues. Mao Tsé Toung explique : «Les armes sont importantes, mais plus importantes encore sont les hommes qui les utilisent.»

Je me rappelle un documentaire vietnamien, vu dans ma jeunesse. Aux abords d’une rizière, un soldat viet-minh enseignait à une paysanne comment utiliser un simple fusil pour abattre un hélicoptère américain. Ce qui manqua à l’armée et au peuple syrien, c’est l’idéal : vaincre ou mourir, mieux encore : vaincre pour ne pas mourir.

Dernièrement, une vidéo montrait quelques combattants de HTS (Harakat Tahrir Al-Sham) sur une route. L’un d’eux déclara, et il semblait sincère : «Nous ne sommes que de pauvres gens. Nous combattons au nom de Dieu Tout Puissant !» Certes, les dirigeants de cette organisation proviennent, en majorité, de couches sociales aisées. Mais les combattants de base, la chair à canon, viennent des strates démunies, en majorité sinon tous. Comme dans tous les conflits, partout et toujours. A un être humain, dépourvu des conditions matérielles minimum de vie, sans instruction correcte, fournissez un idéal, qu’il soit authentique ou fallacieux ; généralement, il l’adoptera, parfois jusqu’à le défendre au risque de mourir ou de tuer.

Stratégie

L’idéal sans stratégie correcte demeure insuffisant. Les meilleurs acteurs et théoriciens de l’exemplaire Commune de Paris de 1871 expliquèrent la défaite par deux motifs : le manque d’organisation et la carence de personnes instruites pour encadrer le peuple.

En Bolivie, Che Guevarra et ses guérilleros, malgré leur idéal indiscutable, furent vaincus. La stratégie du «foco» (foyer) révolutionnaire ne fonctionna pas : il lui manquait une mobilisation suffisante du peuple et une stratégie militaire adéquate. «Le révolutionnaire est comme le poisson dans l’eau.» (Mao Tsé Toung) Il en est de même du militaire, quand il est l’émanation de son peuple : ce dernier est son eau.

Réciprocité

«Les impérialistes sont de mauvais élèves» (général Giap) : à long terme, leurs agressions se révèlent des défaites.

Les dictateurs, eux aussi, sont de mauvais élèves. En fin de compte, ils fuient leur pays en ruine (en s’assurant une vie dorée ailleurs), meurent en le laissant économiquement en panne, sont assassinés par des opposants. L’efficacité de l’arme (du matériel, d’une armée) dépend de l’idée (idéal) qui l’anime. Cet idéal dépend de la qualité du lien entre cette armée et son peuple. Ces deux dépendent de la stratégie conçue et pratiquée pour créer une nation capable de neutraliser toute opposition intérieure complice d’une force étrangère, quelle que soit leur puissance matérielle.

Dès lors, s’il est nécessaire d’accorder toute l’attention aux potentiels agresseurs, accordons la même attention à ce qui, dans la nation, facilite leur objectif. L’histoire enseigne : les données internes déterminent la capacité de nuisance de l’élément externe. Et Sun Tzu observa : connaître les faiblesses de l’adversaire ne suffit pas, il faut tout autant connaître nos propres faiblesses, et y remédier. Soyons de bons élèves : ne justifions pas nos défaites par les forces de l’adversaire, mais par nos carences. Ayons l’honnêteté et le courage de déceler et d’admettre la vérité : si elle est amère, trouvons comment la rendre douce. Comment ? Idéal et stratégie.

K. N.

1) http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/12/corruption-l-ennemi-public-numero-1-et-comment-le-neutraliser.html

2) Les italiques sont les miens: https://lecridespeuples.fr/2024/12/16/declaration-du-president-bachar-al-assad-sur-les-circonstances-ayant-conduit-a-son-depart-de-syrie/

3) L’Art de la guerre, chapitre 3 : «L’attaque par la stratégie.»

Comment (5)

    Dr Abou Avoir Khorti Démocratie
    28 décembre 2024 - 18 h 29 min

    Lors de la guerre terroriste occidentalosionoste par procuration décennie noire, la corruption ne battait pas son plein.
    Ensuite une corruption endémique installée en Algérie par la France passée maître en la matière d’ailleurs nos ministres frère Bouteflika avocats magistrats véreux chefs d’entreprise véreux sont derrière les barreaux …peut-on en dire autant de la France… pour laquelle khlass les valises diplomatiques …. Renault zbl et cie..Un Détail De L’Histoire….

    Amilcar Barca
    28 décembre 2024 - 17 h 51 min

    Il y a deux fleaux qu il faut aneantir a jamais :la corruption et la drogue..deux armes a destruction massive

    Moussa
    28 décembre 2024 - 17 h 46 min

    Le peuple ne peut adhérer à un idéal que si ce peuple aurait quelque chose à perdre si un changement devait y avoir , d’où la chute des dictatures et du colonialisme .
    Le danger le plus extrême pour une nation est , à mon sens , la corruption , surtout celle des élites .

    Anonyme
    28 décembre 2024 - 17 h 18 min

    « …….Soyons de bons élèves : ne justifions pas nos défaites par les forces de l’adversaire, mais par nos carences. Ayons l’honnêteté et le courage de déceler et d’admettre la vérité : si elle est amère, trouvons comment la rendre douce. Comment ? Idéal et stratégie. »

    Tout un Programme !!

    Mohamed El Maadi
    28 décembre 2024 - 16 h 55 min

    La défaite syrienne révèle une réalité bien plus complexe que la simple équation militaire. Au-delà des chiffres stupéfiants – 350 combattants face à 30 000 soldats à Alep – c’est l’effondrement d’un système tout entier qui mérite une analyse approfondie. Cette situation sans précédent soulève des questions fondamentales sur les dynamiques profondes de cette débâcle.

    La corruption, évoquée comme facteur déterminant, n’est pas qu’une simple gangrène administrative. Elle a créé une fracture irrémédiable entre le haut commandement et la troupe. Comment demander à un soldat de risquer sa vie quand son officier s’enrichit sur son dos ? Les témoignages recueillis montrent que cette réalité a miné le moral des troupes bien avant les premiers combats. Ce n’est pas tant le manque de moyens qui a causé la défaite que cette rupture du lien de confiance entre les différents échelons de l’armée.

    L’aspect idéologique apparaît également crucial, mais sous un angle différent de celui généralement présenté. Le régime syrien a échoué à maintenir vivante la flamme du nationalisme arabe laïc. Ce n’est pas tant la force de l’idéologie islamiste qui a triomphé que la vacuité du discours officiel. HTS a su exploiter ce vide en offrant non seulement une cause à défendre, mais aussi un sentiment d’appartenance à une jeunesse désorientée. Leur succès reflète moins la force de leur message que l’échec du projet sociétal précédent.

    La question stratégique prend ici une dimension particulière. L’histoire enseigne – Vietnam, Algérie, Cuba – qu’une armée populaire, même moins équipée, l’emporte invariablement sur une force techniquement supérieure mais déconnectée de sa base sociale. La Syrie illustre parfaitement ce principe : ce n’est pas le nombre de soldats qui fait la différence, mais leur connexion avec le peuple qu’ils sont censés défendre.

    L’Iran, malgré son soutien historique, ne peut compenser cette déconnexion fondamentale. Son affaiblissement actuel n’est qu’un facteur aggravant d’une situation déjà compromise par les contradictions internes du système syrien. La résistance future devra se construire sur des bases nouvelles, en tirant les leçons de cet échec.

    Trois axes essentiels se dessinent pour l’avenir :

    1. La reconstruction du lien social : avant même de penser stratégie militaire, la restauration de la confiance entre les différentes composantes de la société syrienne apparaît primordiale.

    2. L’élaboration d’un nouveau projet national : non pas un simple replâtrage des anciennes idéologies, mais une vision qui réponde aux aspirations actuelles de la population.

    3. Le développement d’une stratégie de résistance ancrée dans le réel : s’inspirer des expériences historiques tout en les adaptant au contexte spécifique syrien.

    Face à Jolani et ses forces, la question n’est donc pas tant de trouver des soutiens extérieurs que de reconstruire une cohésion interne. La vraie bataille se joue d’abord dans les cœurs et les esprits, avant même le premier coup de feu.

    Cette défaite impose une remise en question profonde. Elle rappelle que la force d’une nation ne se mesure pas au nombre de ses soldats ou à la puissance de ses alliés, mais à sa capacité à maintenir vivant le lien entre son armée et son peuple, entre ses idéaux et sa réalité quotidienne.

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