Questions troublantes
Par Mohamed El-Maadi – L’affaire Boualem Sansal prend aujourd’hui une dimension particulièrement intrigante, voire inquiétante, à la lumière de ses récentes révélations. Comment ne pas s’interroger sur le parcours de cet homme qui, alors qu’il occupait le poste stratégique de directeur général au ministère algérien de l’Industrie – un secteur hautement sensible –, avoue avoir entretenu des relations clandestines avec les dirigeants israéliens, dont Benyamin Netanyahou lui-même ?
Ces confidences, prétendument faites sous couvert d’une quête de paix, soulèvent de nombreuses questions troublantes. Quelle était la véritable nature de ces échanges ? Quelles informations sensibles ont pu être partagées ? Le fait qu’un haut fonctionnaire algérien admette avoir sciemment contourné sa hiérarchie pour établir des contacts secrets avec un ministre israélien – de facto un agent du Mossad – révèle l’ampleur de cette compromission.
En analysant plus profondément cette période trouble, un scénario complexe se dessine. La position stratégique de Sansal au ministère de l’Industrie lui donnait accès à des informations cruciales sur les infrastructures industrielles et les réseaux économiques du pays. Le Mossad, fidèle à sa stratégie de pénétration des structures étatiques du Maghreb et du Moyen-Orient, aurait pu l’approcher sous le prétexte noble du «dialogue pour la paix». Cette situation créait un contexte que les services israéliens auraient cherché à exploiter.
Plus révélateur encore est le système de promotion médiatique dont Sansal bénéficie depuis des années. Le slogan «Sauvons le soldat Sansal» prend désormais une résonance particulière. Comment expliquer l’extraordinaire consensus médiatique autour d’un écrivain qui n’a jamais atteint les sommets du génie littéraire ? Cette mobilisation démesurée trouve aujourd’hui sa cohérence : derrière cette orchestration médiatique se dessinerait la main de Tel-Aviv, utilisant ses réseaux d’influence pour protéger et promouvoir ses agents.
Les rencontres secrètes avec Netanyahou prennent un relief particulier dans ce contexte. Ces réunions auraient pu servir à valider des renseignements stratégiques, coordonner des stratégies d’influence et, peut-être même, établir des scénarios de déstabilisation.
Cette hypothèse est d’autant plus crédible qu’elle s’inscrit dans un contexte plus large d’influence israélienne sur la politique française. L’exemple le plus flagrant en est la position de la France concernant le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Netanyahou. La contorsion juridique invoquant une prétendue «immunité» – qui laisse perplexes les plus éminents juristes internationaux – illustre parfaitement cette mainmise.
Son positionnement ultérieur comme intellectuel critique prend alors une signification particulière : une couverture élaborée permettant de maintenir sa crédibilité tout en servant les intérêts de ses protecteurs. Cette protection médiatique exceptionnelle en Occident, particulièrement en France, suggère qu’il détenait des informations suffisamment sensibles pour justifier une telle «assurance-vie médiatique».
L’affaire Sansal apparaît ainsi comme la partie émergée d’un iceberg, révélant un vaste réseau d’influence où se mêlent services secrets, manipulation médiatique et pressions diplomatiques. Les cercles intellectuels et médiatiques français, transformés en caisse de résonance complaisante, participent consciemment ou non à cette entreprise de désinformation et de manipulation de l’opinion publique. A la lumière de ces révélations, chaque prix littéraire, chaque éloge médiatique, chaque intervention publique de Sansal – et d’autres – mérite d’être réexaminée avec un regard critique et lucide.
Cette affaire éclaire d’un jour nouveau la complexité des jeux d’influence au Maghreb et en France. Elle nous invite à nous interroger sur l’indépendance réelle des institutions culturelles et médiatiques, et sur la façon dont des puissances étrangères peuvent instrumentaliser les espaces de débat public pour servir leurs intérêts géopolitiques. Le cas Sansal n’est probablement que la partie visible d’un système d’influence bien plus vaste et sophistiqué, où les services de renseignement utilisent des positions officielles comme couverture, exploitent les divisions internes et assurent une protection à long terme de leurs sources via des réseaux d’influence culturels et médiatiques.
M. E.-M.
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