Démocratie des clics et dictature des algorithmes : la liberté sur Internet n’existe pas
Une contribution du Dr A. Boumezrag – La liberté sur Internet est ce mythe moderne où chaque individu, une fois connecté, se voit puissant. Un peu comme si chaque clic, chaque partage et chaque «like» étaient des actes héroïques de résistance contre l’oppression. Bienvenue dans cette grande illusion, où l’on vous vend une démocratie numérique, mais où, derrière les écrans, des algorithmes invisibles tiennent les rênes de votre attention, de vos choix et de vos opinions.
Prenons un instant pour saluer l’illusion que nous offre le monde numérique. Vous êtes là, installé derrière votre écran, en train de scroller frénétiquement sur vos réseaux sociaux, tout en vous convainquant que vous exercez pleinement votre liberté. Vous «likez», vous «partagez», vous «commentez» comme un citoyen en pleine action démocratique. Voilà ce qu’on nous a vendu : un pouvoir égalitaire, où chaque individu a une voix et où chaque clic est un geste significatif dans un grand débat mondial.
Mais la réalité, elle, est bien plus sinistre.
L’illusion de la liberté : des clics prédéterminés
La démocratie des clics est en vérité un spectacle où vous n’êtes pas l’acteur principal, mais un figurant, un pion dans un jeu dont vous ignorez les règles. Et pendant que vous avez l’illusion de décider ce que vous voyez et ce que vous lisez, c’est, en fait, un algorithme qui détermine, bien avant vous, quel contenu vous atteindra. L’algorithme, ce tyran invisible qui, à chaque instant, apprend vos préférences, vos faiblesses et vos biais, vous plonge dans une bulle filtrée où seule l’information qui vous plaît vous parvient. Parfaitement adapté à vos goûts, certes, mais est-ce cela, la liberté ? Choisir entre des contenus déjà choisis pour vous ?
Prenons un exemple concret : le fil d’actualités de Facebook. Sur cette plateforme, des milliards d’interactions sont générées chaque jour. Imaginez : vous suivez des pages politiques, vous aimez les articles de votre journal préféré, vous commentez les publications d’amis partageant des opinions similaires aux vôtres. L’algorithme, qui a minutieusement enregistré toutes ces interactions, vous bombardera uniquement de contenus qui confortent vos croyances. Vous aimez les publications sur le réchauffement climatique ? Voilà un article de plus qui vous explique les conséquences dramatiques des changements climatiques. Vous aimez les opinions d’un certain mouvement politique ? L’algorithme vous enverra des posts qui soutiennent cette même ligne. En revanche, si vous commencez à interagir avec des opinions divergentes, Facebook saura vous faire «détourner» votre attention en vous proposant une avalanche de contenus plus «agréables» à lire. Le résultat ? Vous êtes enfermé dans une bulle de filtrage, où votre point de vue est constamment renforcé, sans jamais être confronté à une opinion opposée. La diversité de pensée ? Elle disparaît dans ce système, tout comme votre capacité à penser par vous-même.
L’engagement comme produit
Ce contrôle de l’information n’est pas qu’une question de confort personnel, il sert avant tout un objectif économique : l’engagement. C’est ainsi que des plateformes comme YouTube vous recommandent des vidéos qui suscitent l’émotion, le sensationnalisme ou même la polarisation. Vous avez regardé un documentaire sur les inégalités économiques ? Voilà qu’une autre vidéo sur la répartition des richesses va s’afficher en tête de votre «fil de recommandations». Puis, il y a cette fameuse vidéo qui commence innocemment par «10 faits surprenants sur les milliardaires» et qui vous fait basculer dans un tourbillon de contenus de plus en plus polémiques sur l’injustice sociale. Le tout, bien sûr, en vous incitant à cliquer encore et encore.
Le mécanisme est simple : plus vous passez de temps sur la plateforme, plus votre attention devient un produit. YouTube vous propose des vidéos qui génèrent de l’engagement, car l’engagement signifie de l’argent. Et tout cela sans que vous en soyez conscient. Vous croyez être libre de choisir votre contenu, mais chaque vidéo que vous regardez est un acte de consommation dans une chaîne qui ne profite qu’à ceux qui possèdent la plateforme.
Les fausses révolutions numériques
Il y a aussi les révolutions numériques. Vous savez, ces campagnes de soutien pour une cause importante, ces pétitions en ligne qui nous font croire que nous pouvons vraiment changer le monde en cliquant sur un bouton.
Prenons l’exemple de «change.org». Vous vous souvenez de la dernière fois où vous avez signé une pétition en ligne pour sauver une espèce menacée ou soutenir un mouvement politique ? Voilà un autre exemple de ce que l’on nous vend comme «action citoyenne». Vous avez signé, vous avez cliqué sur «partager», vous avez rejoint des milliers d’autres personnes qui font de même. Mais après cela ? Quid de l’impact réel de cette signature ? Bien sûr, la pétition monte en flèche et le message est amplifié. Mais, au fond, qu’est-ce que vous avez vraiment changé ? A part le nombre d’engagements qui gonflent les statistiques de la plateforme, rien ne se passe réellement. L’algorithme vous a félicité pour votre geste et vous avez été conforté dans l’idée que vous êtes un citoyen engagé. Pourtant, tout ce processus est parfaitement conçu pour capter votre attention et… collecter vos données personnelles pour mieux vous cibler par la suite. La cause ? Un produit comme un autre.
La censure douce des voix discordantes
Enfin, la cerise sur le gâteau, c’est la censure «douce» qui régit ces plateformes. Vous pensez qu’Internet était l’espace de liberté ultime ? Détrompez-vous. Prenez Twitter, par exemple. Vous avez posté un tweet qui déplaît aux algorithmes, peut-être à cause de son ton un peu trop critique, ou même d’une opinion qui sort des sentiers battus. Le résultat ? Vous êtes rapidement noyé dans un flot de tweets sans importance ou, pire, votre contenu est relégué au fond du fil, rendu invisible par des systèmes de modération qui savent mieux que vous ce qui est «acceptable». Ce n’est même pas de la censure explicite. Non. C’est juste un jeu d’algorithmes qui déterminent ce qui est «pertinent», en fonction de ce qu’ils jugent bon pour l’engagement et pour la rentabilité. Si vous n’êtes pas dans le moule, vous disparaissez, sans bruit. Voilà la véritable censure moderne : une censure invisible, douce et efficace.
Illusion de liberté
Alors, la prochaine fois que vous passerez des heures à scroller, à «liker», à partager, souvenez-vous : vous êtes peut-être en train de défendre des valeurs de liberté, mais dans ce monde numérique, la liberté n’existe que dans les limites que les algorithmes ont fixées. Les vrais maîtres du jeu sont invisibles et leur seule loi est celle de l’engagement, de l’attention et de la rentabilité. Cette «démocratie des clics» n’est qu’une façade. Derrière, se cache une dictature algorithmique. Vous pensez être libre, mais vous êtes un consommateur, un produit dont l’attention se vend à prix d’or.
Et vous, cher internaute, vous êtes déjà pris au piège !
La liberté sur Internet, telle qu’on nous la présente, est une chimère. Dans cet espace où l’on se croit maître de ses choix, où chaque clic semble incarner un acte de liberté individuelle, se cache en réalité un système minutieusement conçu pour nous enfermer dans des bulles d’informations sur-mesure, qui confortent nos croyances sans jamais les remettre en question. Derrière l’apparente démocratie des clics, se cache une dictature algorithmique implacable, qui gouverne nos vies numériques sans que nous en ayons pleinement conscience.
Nous, utilisateurs, croyons être libres, en train de participer activement à un grand débat mondial, mais en réalité, nous ne faisons que remplir des coffres invisibles de données, que d’autres utilisent pour vendre notre attention au plus offrant. L’engagement que nous croyons manifester en ligne est une illusion, car chaque action que nous entreprenons – un «like», un partage, un commentaire – alimente un système dont nous sommes à la fois les acteurs et les spectateurs. En fin de compte, ce sont les algorithmes qui choisissent pour nous et non l’inverse.
Ainsi, dans ce monde numérique, nous sommes à la fois libres et esclaves : libres d’agir, certes, mais seulement dans les limites imposées par ceux qui contrôlent ce terrain de jeu. La vraie question à se poser, ce n’est pas «suis-je libre sur Internet ?» mais «qui bénéficie de ma liberté numérique ?» Et la réponse, malheureusement : ce n’est jamais nous.
La démocratie des clics ? Une farce. La dictature des algorithmes ? Une réalité que nous ne pouvons plus ignorer. Nous croyons choisir notre liberté sur Internet mais, en réalité, ce sont d’autres qui ont déjà choisi pour nous.
A. B.