Retour de bâton
Par A. Boumezrag – L’affaire aurait pu passer pour une banale expulsion de plus, un coup de menton ministériel assorti d’un aller simple pour Alger. Mais voilà que la machine s’enraye. L’influenceur algérien Doualemn, résidant en France depuis 36 ans et titulaire d’un permis de séjour depuis 15 ans, a été arrêté à Montpellier après la publication d’une vidéo sur TikTok. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, certain de son coup d’Etat, pensait donner une leçon de fermeté en ordonnant son expulsion immédiate vers l’Algérie. Cependant, les autorités algériennes ont refusé de l’admettre sur le territoire national, invoquant un manque de procédure appropriée, et l’ont renvoyé en France le jour même.
Cet épisode a provoqué la colère du ministre français de l’Intérieur qui a accusé Alger de chercher à «humilier la France». Il a déclaré : «On a atteint un seuil extrêmement inquiétant avec l’Algérie.» Il a également souligné que «les autorités algériennes n’ont pas voulu le laisser débarquer, en contradiction avec les règles de la convention de Chicago de 1948».
Le ministère des Affaires étrangères a réagi en rejetant les accusations «d’escalade» et «d’humiliation» de la France, dénonçant une «campagne de désinformation» à l’encontre de l’Algérie. Il a précisé que le ressortissant en question «vit en France depuis trente-six ans. Il y dispose d’un permis de séjour depuis quinze ans. Il est père de deux enfants nés de son union avec une ressortissante française. Enfin, il est socialement intégré dans la mesure où il exerce un emploi stable depuis quinze ans.»
Et maintenant ? C’est la France qui s’offusque, qui crie à l’humiliation, à l’affront diplomatique, alors qu’elle n’a pas pris la peine de suivre les formalités d’usage. Il est vrai qu’à force de considérer certains citoyens comme des pions jetables, on finit par oublier que l’Etat de droit n’est pas une option.
Au-delà du bras de fer politique, cette affaire met en lumière une réalité cruelle : à trop vouloir démontrer une autorité, on en oublie les règles du jeu. La justice, cette empêcheuse de gouverner en rond, a son mot à dire. Et si la France se vante d’être le pays des droits de l’Homme, encore faut-il ne pas oublier que ces droits s’appliquent à tous, même à ceux qu’elle considère comme étant «indésirables».
Ironie suprême : alors que la France voulait dicter une leçon de souveraineté à l’Algérie, c’est elle qui finit par prendre une leçon de droit. Il faut croire que les leçons, comme les expulsions, ne suivent pas toujours la trajectoire prévue.
Cette affaire, qui devait être une démonstration de fermeté, s’est transformée en fiasco diplomatique et politique. La France, convaincue de sa souveraineté absolue, s’est heurtée à une réalité qu’elle aime pourtant rappeler aux autres : le droit et les règles ne s’appliquent pas à géométrie variable.
Loin d’être un simple incident administratif, cet épisode met en lumière les contradictions d’une politique migratoire oscillant entre démonstration d’autorité et approximations procédurales. Il rappelle aussi que l’Etat de droit ne peut être sacrifié sur l’autel du spectacle politique, sans risquer un retour de bâton sérieux.
Quant à l’humiliation, chacun jugera qui l’a réellement subie : l’Algérie, qui a fait valoir ses prérogatives, ou la France, prise en faute dans sa précipitation. Une certitude demeure : en matière de leçons, mieux vaut s’assurer de bien les maîtriser avant de vouloir les dispenser.
Moralité : à vouloir expulser trop vite, on finit par se renvoyer soi-même…
Dans la précipitation, l’arbitraire devient un boomerang. Une expulsion mal ficelée, un mépris des procédures, et voilà que l’arroseur se retrouve arrosé, donnant une leçon malgré lui.
Cette affaire nous rappelle une règle universelle : le droit n’est pas un simple accessoire de l’autorité, il en est la condition. Ignorer les principes de justice pour des raisons politiques ou symboliques, c’est prendre le risque de voir son propre système se retourner contre soi.
En fin de compte, qui est le maître et qui est l’élève ? Peut-être qu’avant de donner des leçons, il [le maître] devrait d’abord apprendre à bien les appliquer.
A. B.
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