Le risque d’une légitimation du pouvoir syrien issu d’un mouvement terroriste
Par Karim B. – Une scène surréaliste, cette poignée de mains entre le ministre des Affaires étrangères d’un pays, l’Algérie, ayant marqué la lutte contre le terrorisme islamiste barbare de son empreinte indélébile qui a fait ses lettres de noblesse, et son homologue syrien arrivé au pouvoir par le même terrorisme sanguinaire. La prise de Damas par le succédané d’Al-Qaïda, ce groupe armé créé par la CIA en Afghanistan et dont les tentacules se sont étendues à toutes les régions du monde, au gré des intérêts des officines occidentales qui en sont les génitrices, a mis l’Algérie dans un dilemme cornélien.
La visite d’Ahmed Attaf en Syrie, ce samedi, n’a été précédée d’aucune annonce. L’information est tombée comme un couperet, laissant sans voix plus d’un observateur de la scène géopolitique. La décision du président Tebboune de dépêcher le chef de la diplomatie chez le «terroriste repenti» Abou Mohamed Al-Joulani, intervient plusieurs semaines après la valse diplomatique qui a suivi la chute brutale de Bachar Al-Assad et son lâchage par ses principaux soutiens, au premier rang desquels la Russie.
On ne sait pas, à ce jour, ce qu’il s’est passé durant les heures et les jours qui ont précédé le changement de régime en Syrie, alors que rien ne préludait un tel chambardement en un laps de temps aussi court, après plus de dix ans d’un conflit dévastateur. Mais le temps finira bien par révéler les dessous des cartes et les accords secrets passés entre les différents belligérants qui se livrent une guerre par procuration.
L’Algérie ne s’est pas précipitée pour prendre langue avec les nouveaux dirigeants politiques syriens. Rien ne l’y poussait, contrairement aux capitales occidentales et aux monarchies du Golfe qui ont chacune un intérêt économique, stratégique ou politique dans la reconnaissance hâtive du nouveau régime islamiste. La lettre adressée par Tebboune à Al-Joulani, bien qu’elle soit enveloppée dans une phraséologie diplomatique de circonstance, destinée à l’opinion, doit, cependant, être imprimée par la gravité du contexte général qui concerne les deux pays de façon directe, notamment la question palestinienne.
L’Algérie, qui occupe un siège de membre non-permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, et qui l’a présidé le mois passé, a à cœur de défendre la cause palestinienne, directement liée à la situation en Syrie, pays frontalier d’Israël qui occupe le Golan syrien et qui a profité de la chute d’Al-Assad pour rogner des kilomètres plus en profondeur, après avoir réduit en poussière l’arsenal militaire syrien. Par ailleurs, et sur un registre complètement différent, la Syrie compte une forte communauté d’origine algérienne, qui y est installée depuis la moitié du XIXe siècle, sans compter les Algériens qui s’y sont établis bien plus tard. Le sort de ces Algériens préoccupe forcément les autorités algériennes qui veulent s’assurer qu’ils ne subiront pas le sort des minorités qui vivent dans des conditions difficiles dans cette partie du monde, notamment les Kurdes qui continuent de se défendre contre les milices pro-turques dans le nord du pays.
Maintenant que le contact est établi avec Al-Joulani, comment éviter que cela encourage les groupes islamistes armés à vouloir, à leur tour, prendre le pouvoir dans les pays où ils demeurent actifs, en voyant dans la légitimation d’Al-Qaïda en Syrie une incitation à la prise du pouvoir par la force, d’autant que la «communauté internationale» se contredit en condamnant les putschs dans les pays africains, tout en pactisant avec les nouveaux chefs syriens autoproclamés, fussent-ils là pour une période de transition qui s’éternisera, pour sûr. En tout cas, tant qu’Israël y trouvera son compte.
K. B.
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