Crise finale

Macron Scholz
Le président français et le chancelier allemand. D. R.

Par Khider Mesloub – Il n’y a pas besoin d’être expert en olfaction ou en acoustique pour sentir les miasmes et entendre les râles du monde capitaliste en pleine agonie. Depuis plusieurs décennies, le capitalisme ne survit que par le recours à l’endettement. Il prolonge son moribond système économique par le soutien du crédit. Mais le crédit soutient le capitalisme comme la corde soutient le pendu.

Le système capitaliste, notamment en France, ne doit sa survie qu’au creusement de la dette. Cependant, en creusant la dette, il aura creusé sa tombe.

En réalité, ce n’est pas la dette qui aura été responsable de l’effondrement du capitalisme, comme l’affirment les économistes stipendiés et responsables politiques, mais ses deux fondamentales contradictions internes, incarnées notamment par la baisse tendancielle du taux de profit et la surproduction.

La baisse tendancielle du taux de profit est suscitée par l’augmentation permanente de la composition organique du capital, c’est-à-dire par l’accumulation de capital constant par rapport au travail. Cette augmentation de la composition organique du capital, autrement dit le développement de machines plus performantes et l’automatisation accrue, est une caractéristique clé du développement du capitalisme industriel.

Ainsi, si l’accroissement du capital, obtenu par l’accumulation du profit extrait du travail humain et par le réinvestissement de ce profit, est vital pour le capitalisme, cet accroissement est cependant obéré par l’expansion illimitée du capital constant (machinisme et automation), à l’origine de la baisse du taux de profit et de la surproduction de marchandises, donc des récurrentes crises économiques.

La surproduction s’explique par l’élargissement toujours plus croissant de la production induite par la concurrence exacerbée. Cependant, cette production tend en permanence à être excessivement surabondante, non par rapport aux besoins réels des hommes et femmes, mais par rapport au salaire des travailleurs et au revenu des capitalistes.

Or, si, au XXe siècle, ces crises ont pu être provisoirement jugulées au moyen, soit, «pacifiquement», de subventions financières étatiques et de la fuite en avant dans l’endettement non remboursé pour créer artificiellement une demande, soit, militairement, par des conflits armés impérialistes pour le partage du monde, ce n’est plus possible depuis le début de notre siècle. La particularité des récentes crises économiques, à l’ère du déclin historique du capitalisme, c’est qu’elles ont franchi un seuil critique, pour ne pas dire mortel.

Les palliatifs classiques sont devenus inopérants, stériles.

Aujourd’hui, si, pour le capital, la guerre totale serait le palliatif idéal pour surmonter à sa manière destructive et génocidaire la crise économique, cette perspective de guerre mondiale demeure néanmoins périlleuse pour les puissances capitalistes, du fait de la menace nucléaire réciproque, mais également en raison de la pression insurrectionnelle de la classe laborieuse opposée à sacrifier sa vie pour la défense de la «patrie», en particulier dans les pays capitalistes développés.

Le système capitaliste est confronté à une aporie. Il ne peut plus se développer, assurer sa croissance faute d’accumulation du capital. Il n’est plus également en mesure de «s’offrir» le luxe d’une troisième guerre mondiale destructive qui lui permettrait d’impulser un nouveau cycle d’accroissement économique.

C’est la raison pour laquelle on ne peut pas parler ni de crise ni de récession, mais de phase terminale du mode de production capitaliste.

N’est-ce pas la sinistre réalité du capitalisme contemporain ? L’épuisement des remèdes classiques, notamment les diverses aides accordées par les banques centrales et les institutions financières privées et étatiques, n’entraîne-il pas déjà la faillite de milliers d’entreprises avec son lot de licenciements massifs et de dégradation des conditions de vie ?

La dislocation des institutions et la délégitimation des politiciens et de leurs parlements élitistes n’a-t-elle pas favorisé l’effondrement des Etats et la débâcle de toutes les gouvernances ?

Le délitement de la cohésion de la société menacée d’éclatement sous l’effet conjugué de l’exacerbation de la lutte de classe, du développement exponentiel de la délinquance et du banditisme n’ont-ils pas nécessité le déploiement et la mobilisation permanents des différents corps répressifs policiers et judiciaires, entraînant une envolée des dépenses improductives ?

L’exacerbation de la crise économique et l’intensification des tensions géopolitiques n’ont-elles pas déchaîné une flambée des dépenses militaires et une escalade militariste ?

Toutes ces dépenses improductives croissantes provoquent l’inflation permanente, c’est-à-dire l’augmentation des prix. En effet, le coût de ces dépenses improductives est répercuté sur celui des marchandises produites. Cependant, les dépenses improductives ne sont pas seules responsables de l’inflation. Celle-ci est, également, induite par la dévalorisation des monnaies résultant de l’utilisation de la planche à billets qui accompagne l’augmentation incontrôlée de la dette mondiale.

Les crises institutionnelles et gouvernementales actuelles de la France et de l’Allemagne (pour ne pas dire de la majorité des pays) trouvent leur source dans la crise économique systémique du capitalisme, et non dans la mauvaise gouvernementalité supposée du président Macron ou du chancelier Scholz. L’instabilité gouvernementale et la dépravation politique sont l’expression d’une crise économique finale du capitalisme. Une crise finale qui, faute de perspective émancipatrice, s’est transformée en décomposition de la société, en pourrissement sur pied du système capitaliste.

Dans cette phase de décomposition avancée du capitalisme, pour le moment aucune des deux classes antagoniques, le travailleurs et les capitalistes, ne semble en mesure d’apporter sa solution à la crise historique du mode de production capitaliste.

Cette crise finale vient rappeler que le capitalisme est un système historique transitoire voué, à l’instar des précédents modes de production esclavagiste et féodale, à disparaître.

Aujourd’hui, pour l’immense majorité de l’humanité, la nécessité de l’abolition du capitalisme se pose avec acuité, mais le capitalisme ne disparaîtra pas de lui-même. Ses représentants, patrons et dirigeants, préfèrent plonger le monde dans la barbarie permanente plutôt que de reconnaître la caducité de leur système, précipiter l’humble humanité dans le chaos et l’anarchie plutôt que d’accepter leur défaite gouvernementale historique, semer la terreur et l’apocalypse plutôt que de remettre les clés du pouvoir au peuple martyrisé.

Aujourd’hui, la nécessité du dépassement de cette société capitaliste divisée en classes sociales antalgiques, fondée sur la production marchande et l’exploitation du travail humain, des crises économiques permanentes et des guerres génocidaires récurrentes, s’impose à tous les peuples opprimés et aux travailleurs dans le monde entier.

Néanmoins, avant de pouvoir concrétiser en acte toute révolution sociale anticapitaliste, les peuples opprimés et les travailleurs doivent, en pensée, se défaire de leurs inhibitrices illusions démocratiques bourgeoises et réformistes.

Ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront se réapproprier les modes d’action militante et de lutte combative de leurs prédécesseurs révolutionnaires emblématiques (français communards, russes bolcheviques, espagnols libertaires, chinois anticapitalistes, algériens anticolonialistes, etc.) et parachever, ainsi, victorieusement leur projet politique et social émancipateur.

K. M.

Comment (6)

    lhadi
    16 février 2025 - 10 h 26 min

    Une grande partie des thèses défendues dans le « Manifeste » ont été démenties par l’Histoire elle-même. Non seulement l’effondrement du capitalisme qu’il prédisait n’a pas eu lieu, mais celui-ci est devenu hégémonique. Et, dans les Etats communistes, l’harmonie sociale qu’il prévoyait s’est, en réalité, traduite par un bilan humain de 65 à 85 millions de morts. Certes Marx était conscient que toute révolution communiste ne pourrait aboutir que par la violence, mais celle-ci était présentée dans le Manifeste comme une phase transitoire. En outre, loin d’avoir aboli les différences de classes, ces Etats ont au contraire crée des sociétés profondément inégalitaires où la bourgeoisie capitaliste a été remplacée par une bureaucratie privilégiée d’apparatchiks Le projet révolutionnaire de Karl Marx et les enjeux métaphysiques qui s’y attachent n’ont plus de sens aujourd’hui, hormis pour quelques thuriféraires de la gauche radicale.

    La mondialisation des échanges, la mobilité du capital, l’émergence de nouvelles technologies digitales ont déplacé le curseur et rendu l’affrontement entre bourgeois et prolétaires presque aussi désuet que la dialectique du maitre et de l’esclave ou celle du praticien et plébéien.

    En 1964, dans la lutte des classes. « Nouvelles façons sur la société industrielle », Raymond Aron, peut écrire que la lutte des classes, a laissé la place à la « satisfaction querelleuse ». Selon le penseur libéral, « le fait décisif de l’évolution sociale est l’elevation du revenu globale, qui diminue la rivalité des classes en intensité et en violence ». Les conflits sociaux n’ont pas disparu, mais ils visent désormais à repartir le plus équitablement possible la richesse nationale au sein de la société et non à changer d’ordre social. Aron affirme que cette évolution historique dément les prédictions de Marx sur la paupérisation des masses. Selon cette perspective libérale, non seulement le communisme échoué à abolir la société des classes, mais c’est bien le capitalisme, certes tempéré par la démocratie libérale, qui semple y être parvenu.

    Dans son best-seller « la fin de l’histoire et le dernier homme », paru en 1992, l’intellectuel américain Francis Fukuyama affirme que le processus historique d’évolution des sociétés humaines mène non vers le communisme, comme l’avaient prédit les Marxistes, mais vers le triomphe universel de la démocratie libérale et de l’économie de marché. En réalité, le capitalisme n’a jamais été aussi vertueux que lorsque son adversaire communiste était puissant et l’obligeait à se réguler.

    Pour attirer les investissements étrangers, le citoyen algérien que je suis incite les hautes autorités du pays à mettre en place des mesures (autres que celles relatives à l’amélioration de leur contexte d’investissement).

    Fraternellement lhadi
    ([email protected])

      Abou Stroff
      16 février 2025 - 14 h 13 min

      vous citez Raymond Aron et Francis Fukuyama pour consolider votre argumentation contre Karl Marx.

      Question à un doro: n’avez vous pas l’impression de Aron et Fukuama ont été jeté dans les poubelles de l’histoire depuis que le système capitaliste mondialisé est en crise (voir la panique qu’exhibe la vieille Europe décadente face à la politique de Trump), que de nouvelles puissances émergentes (la Chine, la Russie et l’Inde, notamment) exigent leur part du gâteau, que l’Afrique se rebelle contre les ex puissances coloniales, que l’idéologie néolibérale est rejetée par les mouvement nationalistes qui se rapprochent du pouvoir et qui rejettent et la démocratie et l’économie dite de marché et que la fin de l’histoire que prédisait Fukuyama n’est guère à l’ordre du jour, bien au contraire?

      réponse gratuite: je pense que la réponse se lit dans les évènements ayant cours au moment présent, et que votre « prose » relève d’un dogmatisme anti marxiste aussi fécond qu’un caillou couvé par un coucou.

      wa el fahem yefhem

    Abou Stroff
    15 février 2025 - 11 h 25 min

    en visant le capitalisme en tant que système, K. M. titre « Crise finale ».

    contrairement à K. M., je pense que nous assistons à une crise mais cette crise n’est pas la crise du système capitaliste en tant que tel, mais celle du capital financier mondial en tant que fraction dominante du Capital mondial sur lequel s’est greffée l’idéologie néolibérale qui justifie son mode de fonctionnement.

    en termes crus, la « crise finale » est la crise du capital financier mondial et ce dernier et son mode de fonctionnement sont remis en cause par la montée en puissance des mouvement « nationalistes », pour ne pas dire autoritaires ou fascistes, dans toutes les formations sociales où le capitalisme a atteint sa plénitude.

    ceci étant, considérons la sentence suivante:

    « Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. » K. Marx.

    si nous remarquons que les forces de la production au sein des formations sociales « développées » (dont la Chine) se développent à un rythme soutenu (voir les progrès que génère l’IA, entre autres), nous pouvons, à la suite de Marx, conclure que les « conditions d’existence matérielles » des rapports capitalistes de production sont toujours présentes, que les forces anti-capitalistes sont quasiment inexistantes* et rien ne milite en faveur du dépassement du capitalisme en tant que système.

    Moralité de l’histoire : l’analyse concrète de la situation concrète ne montre aucune crise du capital, en tant que rapport social et du Capitalisme en tant que système mais une (simple ?) crise du capital financier mondial dont le dépassement probable reposera, essentiellement, sur une remise en cause de la mondialisation néolibérale et une réémergence d’une forme de protectionnisme qui favorisera l’essor de capitaux nationaux au détriment de capitaux transnationaux.

    PS : concernant l’Algérie, les hommes ne se posant que les problèmes qu’ils peuvent résoudre (voir K. Marx sur le sujet), je pense que la tâche historique à laquelle les algériens (i. e. les couches sociales qui aspirent au changement) doivent s’atteler, est la mise en place de conditions appropriées pour déconstruire le système basé sur la distribution de la rente et sur la prédation qui nous avilit et nous réduit à des infra-humains.
    Quant au dépassement du capitalisme, en tant que système, attendons qu’un système reposant sur le travail productif (quels que soit la nature du procès de production défini comme unité du procès de travail et du procès de valorisation) se mette en place pour penser à le dépasser.

    Wa el fahem yefhem

    * tout analyste averti remarque que les classes « travailleuses » sont plus enclines à voter pour des partis d’extrême-droite (i. e. des partis qui remettent, du moins au niveau du discours, le capitalisme néolibérale) que de défendre les partis « anti-capitalistes ».

      abou catastrophe le penseur de la déconstruction
      15 février 2025 - 17 h 24 min

      Le capital financier apatride est juif et vous ne le dîtes jamais dans vos analyses « scientifiques ».
      QUI contrôle la City de Londres, wall street, la FED, le FMI, la Banque mondiale … Blackrock (le juif Larry Fink), Vanguard … Le juif.
      Gravez bien dans votre esprit cette vérité incontestable : les juifs sont partout où il y a de l’argent et du pouvoir. (1)
      Bref, vous qui aimez tant à « déconstruire », vous n’osez pas remonter à la cause première du capitalisme, à savoir le juif. Vous n’allez pas au fond des choses. Vous vous arrêtez à la superficie.

      ‘(1) « Sache que, partout où il y a de l’argent, il y a des Juifs. »
      Montesquieu lettres persanes, LETTRE LX

        Anonymous
        16 février 2025 - 6 h 29 min

        les chinois qui détiennent 1000 milliards de la dette publique américaine sont ils juifs?

    Capitoche
    15 février 2025 - 10 h 30 min

    une analyse intelligente, pertinente, a partager et diffuser, Bravo Monsieur Khider.

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