De l’OAS à la télé réactionnaire CNews : chronique d’une débâcle annoncée
Par A. Boumezrag – Il fut un temps où les nostalgiques de l’Algérie française jouaient de la mitraillette et du plastique pour imposer leur vision d’un empire perdu. C’était l’époque de l’Organisation armée secrète (OAS), cette joyeuse bande de militaires frustrés et de civils exaltés, prêts à tout pour refuser l’inéluctable : l’indépendance algérienne. On sait comment cela s’est terminé : arrestations, exils, amnisties honteuses et, pour certains, une fin de vie entre nostalgie et récits de guerre déformés à la terrasse des cafés pieds-noirs de la Costa Brava.
Mais le mythe de l’Algérie française ne meurt jamais totalement. Il se recycle, change de costume et troque le colt contre le micro. De l’OAS à CNews, le combat continue, mais les armes ont changé. L’heure n’est plus aux plastiques de bibliothèques, mais à la guerre culturelle, médiatique et mémorielle. L’ennemi d’hier, l’indépendantiste algérien, s’est transformé en ennemi d’aujourd’hui : l’Algérien de France, ce citoyen trop visible pour certains, coupable de rappeler que l’histoire ne s’efface pas d’un simple claquement de doigts.
Sur les plateaux télé, on retrouve les nouveaux grognards de l’Algérie perdue. Leur terrain de jeu préféré ? La victimisation est devenue un art de vivre. «On ne peut plus rien dire», répètent-ils en boucle, pourtant omniprésents dans les débats. «La France est en danger», hurlent-ils, tout en capitalisant sur une mémoire coloniale à géométrie variable. Ils pleurent sur «l’abandon» des pieds-noirs, mais oublient opportunément les massacres de Sétif, les ratonnades de la police française et la torture systématisée pendant la guerre.
Une guerre médiatique à défaut d’une revanche historique
Depuis quelques années, cette bataille s’est intensifiée. Entre polémiques sur les excuses de la France pour les crimes coloniaux, attaques contre les doubles nationalité et tentatives de réhabilitation de figures sulfureuses de la Guerre d’Algérie, l’extrême-droite française a trouvé un nouveau terrain de jeu : la guerre des récits.
Les tensions entre Paris et Alger, comme celles déclenchées par les propositions d’Emmanuel Macron sur une «rente mémorielle» de l’Algérie, ou encore le refus d’ouvrir pleinement les archives sur la guerre, sont immédiatement exploitées. Chaque crise diplomatique est l’occasion de relancer le fantasme d’une «reconquête identitaire». En parallèle, les discours sur l’immigration font de l’Algérien – ou, du moins, du Franco-Algérien – l’ennemi intérieur idéal.
Sur les plateaux de CNews et d’autres médias aux accents réactionnaires, les anciens pieds-noirs revanchards côtoient les polémistes qui rêvent d’une «France d’avant», fantasmée et mythifiée. On y disserte sur le «grand remplacement», on y diabolise les quartiers populaires et on s’indigne bruyamment à chaque match de football où les supporters algériens descendants fêtent une victoire. La moindre contestation historique est interprétée comme un affront, un pas de plus vers une «islamisation rampante».
Le dernier baroud d’honneur des nostalgiques
Pourtant, après 60 ans de tentatives acharnées, la réalité est implacable : l’Algérie est toujours là, définitivement indépendante, et les Algériens de France aussi. L’extrême-droite rêve d’une «remigration» fantasmée, mais la nouvelle génération, bien installée, éduquée et engagée, ne se laisse pas intimider. Les guerres coloniales finissent toujours par se perdre, et celles de la mémoire n’échappent pas à la règle.
Pendant ce temps, les nouveaux idéologues du ressentiment recyclent les vieux discours éculés dans un dernier baroud d’honneur. Ils se drapent dans le costume des résistants qu’ils n’ont jamais été, rêvent d’un pays purgé de ses altérités et imaginent encore qu’un sursaut national pourrait effacer un siècle et demi de colonialisme et soixante ans d’histoire postcoloniale commune.
Mais la France de 2025 n’est plus celle de 1962. Une génération métissée, culturellement hybride, ancrée dans les deux rives de la Méditerranée, s’impose et déconstruit les récits fantasmés. La diversité n’est plus une anomalie à corriger, mais une réalité qui s’épanouit malgré les tentatives désespérées d’extrémistes en quête de revanche.
Alors, après la mitraillette et le micro, que leur reste-t-il ? La caricature d’eux-mêmes, un bruit de fond dans une société qui avance sans eux. Et, peut-être, dans quelques décennies, des bancs de cafés où ils viendront, comme leurs prédécesseurs de l’OAS, ruminer leur défaite en regardant le monde leur échapper.
A. B.
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