Marine Le Pen : cette voix de l’Algérie française relookée qui avance masquée
Par Ali Farid Belkadi – Dans le paysage politique français, Marine Le Pen, celle dont les racines idéologiques plongent dans les salles de torture, avance masquée. Drapée dans un discours de respectabilité républicaine, elle prétend représenter en France les oubliés, les silencieux, les laissés-pour-compte. Mais derrière la façade adoucie d’un nationalisme en tailleur deux pièces, s’exprime une autre voix : celle de l’Algérie française relookée, rénovée, blanchie, mais jamais apostasiée.
Marine Le Pen n’a pas rompu avec l’héritage de son père. Elle l’a esthétisé. Son ascension politique repose sur une mémoire refoulée, celle d’une France coloniale qui n’a jamais digéré la perte de l’Algérie, ni reconnu les crimes commis en son nom. A l’origine de cette filiation, il y a Jean-Marie Le Pen, lieutenant parachutiste pendant la Guerre d’Algérie, affecté en 1957 à la 1re compagnie du 1er régiment étranger de parachutistes, en pleine Bataille d’Alger. Plusieurs témoignages l’accusent d’avoir participé à des séances de torture. Il a toujours nié. Mais jamais il n’a condamné la torture en tant que méthode. Il en parlait même comme d’un «mal nécessaire». Son silence et ses sous-entendus ont toujours suffi à faire entendre l’indicible.
Marine Le Pen est l’héritière politique de ce silence. Elle incarne la continuité idéologique d’un monde ancien, pas tout à fait disparu en France. Celui où l’Algérien n’était pas un homme libre mais un indigène suspect, soumis, à rééduquer ou à briser. Ses racines idéologiques plongent dans les chambres de torture de la Casbah, dans les cellules sans fenêtres, dans les cris étouffés des innocents que l’on torturait.
Ce n’est pas un hasard si le Front national, devenu Rassemblement national, a été fondé par des hommes issus de l’OAS, de la Guerre d’Algérie, des cercles nostalgiques de l’empire. L’obsession du «danger islamiste», du «grand remplacement», de «l’identité nationale», ne sont que les déclinaisons modernes du vieil imaginaire colonial : peur de l’autre, fixation sur l’Arabe, hantise de la décolonisation intérieure.
Ce n’est pas Marine Le Pen qui a changé, c’est la stratégie. Elle ne vocifère plus contre les immigrés comme son père. Elle les surveille, les jauge, les soupçonne avec sourire. Mais elle défend toujours la même idée : celle d’une France blanche, homogène, fière de son passé, y compris de celui qui s’est écrit sur le dos des colonisés.
Or, cette France-là n’est pas un souvenir. Elle est encore vivante dans les injustices sociales, dans les exclusions, dans la manière dont des millions de descendants d’Algériens sont traités comme des étrangers chez eux, privés d’histoire, de dignité et, parfois même, de langue. Car la colonisation ne s’est pas arrêtée aux frontières politiques. Elle a colonisé les mémoires, les représentations, les récits.
Marine Le Pen est la voix de cette mémoire qui refuse de se reconnaître comme criminelle. Elle perpétue l’Algérie française, non plus en parlant de départements d’outre-Méditerranée, mais en imposant aux enfants algériens de l’exil un soupçon d’illégitimité, comme si leur simple existence menaçait l’identité nationale. Alors que les Français ont privé les Algériens de leur millénaire identité.
Son projet n’est pas de réconcilier. Il est de reconquérir un passé idéalisé, falsifié, récuré. Elle ne propose pas de réparer l’histoire, mais de la recroqueviller sur elle-même, de la refermer comme une cicatrice qu’on refuse de voir.
Pour le dire clairement : ce n’est pas la France qui se défend contre l’immigration. C’est l’Algérie française qui revient par la voix de sa fille, grimée, apprêtée et déterminée. Et cette voix, elle sort encore des chambres d’ombre, là où des milliers d’Algériens torturés perdirent leur nom, leur voix, leur souffle et leur vie.
A. F.- B.
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