De Renan et Ferry à Finkielkraut et Zemmour : un pour tous, tous pourris !

Eric Zemmour
Eric Zemmour rejoue les vieux mythes du choc des civilisations. D. R.

Une contribution d’Ali Farid Belkadi – «Nous n’aspirons pas à l’égalité mais à la domination.» Ernest Renan, dans sa conférence «La réforme intellectuelle et morale» (1871) ou encore dans «La conquête romaine», développe une vision hiérarchisée des races et des civilisations. Une citation proche de celle qui figure dans son discours tenu à la Sorbonne en 1871, où il affirme : «La régénération de la nation française suppose une inégalité essentielle entre les races. […] La nature a fait une race d’ouvriers, c’est la race chinoise […]. Une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre […]. Une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne.»

Et ailleurs encore : «La colonisation par les Européens est une œuvre civilisatrice. Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures.» Quant à la formule «nous n’aspirons pas à l’égalité, mais à la domination», elle condense l’esprit de ses écrits.

Le masque scientifique du racisme colonial

Dans l’histoire des idées racistes modernes, le nom d’Ernest Renan occupe une place de choix. Philosophe, philologue, historien des religions et figure tutélaire de la pensée française du XIXe siècle, Renan fut aussi l’un des architectes intellectuels de la hiérarchisation des races et de la justification idéologique du colonialisme. Ses œuvres, célébrées pour leur érudition et leur style, véhiculent pourtant une conception profondément inégalitaire de l’humanité, au service d’une mission «civilisatrice» eurocentrée. Cette vision, loin d’être marginale, s’inscrit dans une époque où la science, l’histoire et la politique s’alliaient pour produire une anthropologie du mépris.

La colonisation par les Européens

Cette formule, régulièrement reprise par les idéologues du colonialisme, fait de la violence impérialiste un impératif moral. Il ne s’agit pas seulement d’un droit, mais d’un devoir, presque sacré, de discipliner, d’éduquer – en réalité de soumettre – les peuples colonisés. Le sous-texte est limpide : les peuples non européens sont des enfants ou des bêtes, incapables de se gouverner eux-mêmes, et qu’il convient de diriger à coups de sabre et d’école.

Ces propos abjects sont à l’opposé de l’enseignement du Coran (chapitre 49 ; verset 13) : «Ô vous les humains ! Nous vous avons créés d’un homme et d’une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu, est le plus pieux» (fidèle, dévoué, atqâkum)».

Ce verset, un fondement de l’universalité du message coranique, enseigne que l’humanité entière provient d’une même origine (Adam et Eve), abolissant ainsi toute hiérarchie raciale ou ethnique. Que la diversité des peuples et des tribus, voulue par Dieu, non pour diviser, mais pour enrichir l’humanité à travers la connaissance mutuelle (ta‘āruf) et que le véritable critère de valeur aux yeux de Dieu n’est ni la lignée, ni la richesse, ni la nationalité, mais la piété intérieure (taqwā), c’est-à-dire la conscience de Dieu, la droiture et la sincérité. C’est un verset souvent cité pour combattre le racisme, le tribalisme et le nationalisme exacerbé, et pour promouvoir l’éthique de la fraternité humaine.

Le racisme à visage philologique

Le plus pernicieux chez Renan est que cette idéologie n’est pas formulée dans la brutalité du langage militaire ou policier, mais dans la suavité érudite du savant. Philologue réputé, il écrit Histoire générale et système comparé des langues sémitiques (1855) où il développe l’idée que les langues sémitiques, parlées notamment par les Arabes et les juifs, seraient «figées», incapables de produire des systèmes philosophiques ou scientifiques complexes, contrairement aux langues indo-européennes. De là découle toute une lecture essentialiste : les Sémites seraient fatalement enclins à la superstition, au fanatisme, à la répétition des dogmes, tandis que les Aryens (ou Indo-Européens) dont il se proclame naturellement, incarneraient l’élan vers la raison, la critique et l’universel.

Cette pseudoscience linguistique fonde un racisme intellectuel, où la hiérarchie des langues est supposée refléter celle des peuples. Or, dans cette grille, l’Arabe devient, par définition, un être irrationnel, prisonnier du Coran, hostile au progrès. Cette vision alimente directement le discours colonial français en Algérie.

Renan et l’Algérie : une absence révélatrice

Il est frappant de constater que Renan, bien qu’il ne se soit pas directement exprimé en détail sur l’Algérie comme d’autres auteurs de son temps, offre aux colonisateurs un cadre intellectuel parfaitement ajusté à leur entreprise : celle d’un peuple «supérieur» chargé d’instruire un peuple «inférieur». La politique française en Algérie repose précisément sur ce présupposé raciste, qu’elle traduit dans les faits par la dépossession foncière, la destruction des structures sociales autochtones, la répression militaire, l’imposition de la langue française et la négation du droit à l’autodétermination.

La pensée de Renan sert ainsi de toile de fond à toute une génération d’administrateurs, de militaires, d’historiens et de juristes coloniaux. Elle contribue à transformer la domination en mission et la violence en progrès.

L’héritage d’un penseur ambigu

Il est essentiel de ne pas séparer l’œuvre de Renan de sa pensée politique. S’il est incontestable qu’il a contribué à l’histoire des religions et à la critique biblique, il n’en reste pas moins l’un des théoriciens les plus influents du racisme scientifique. Ce racisme, qui ne dit pas toujours son nom, s’habille de science, de philologie, d’histoire, mais il sert des intérêts bien concrets : légitimer la conquête, l’occupation et l’exploitation des peuples non européens.

Dans un monde contemporain encore marqué par les conséquences du colonialisme, rappeler les fondements idéologiques de cette domination n’est pas un exercice vain. Dévoiler le racisme de Renan, c’est aussi rappeler que la violence coloniale ne fut pas seulement une affaire d’armes et de décrets, mais aussi de mots, de concepts, de classifications prétendument savantes. Elle fut une guerre contre l’égalité, justifiée au nom même de la civilisation.

Jules Ferry contre l’Algérie : véhémence coloniale et négation d’un peuple

L’histoire officielle française présente souvent Jules Ferry comme le père de l’école gratuite, laïque et obligatoire. Ce portrait enjolivé occulte pourtant une autre facette du personnage : celle d’un colonialiste virulent, défenseur acharné de l’expansion impériale, et partisan d’une politique brutale en Algérie. Son action politique ne se limite pas à des discours : elle s’est traduite par des lois, des décrets et des décisions concrètes qui ont renforcé l’asservissement des Algériens et nié toute possibilité d’égalité entre colonisateurs et colonisés.

Le français, langue du pouvoir

Le français fut imposé comme langue officielle, juridique, scolaire et administrative. Aucun texte arabe algérien ne fut traduit, aucun effort de médiation n’accompagna cette substitution brutale. La langue devint un critère d’accès ou d’exclusion. Maîtriser le français pour un indigène, c’était espérer une ascension sociale, mais aussi se couper de sa communauté d’origine, dont une large part demeurait analphabète dans les deux langues.

En 1930, un siècle après la conquête, moins de 5% des enfants algériens accédaient à l’école, selon le vœu cher à Jules Ferry d’interdire l’école aux petits enfants algériens à partir de 14 ans, c’est ainsi que la quasi-totalité des adultes demeuraient illettrés. L’arabe était relégué aux cercles religieux ou familiaux, jamais reconnu comme langue savante. Le français devenait la langue du «savoir», mais aussi celle de la soumission. Il n’était pas un simple outil, mais le marqueur d’une hiérarchie imposée.

Résistances linguistiques et persistance de l’arabe

Face à cette offensive, la résistance prit des formes multiples. Des réseaux clandestins de transmission de l’arabe et du Coran se formèrent dans les zaouïas (confréries soufies) et les mosquées. L’enseignement privé musulman, bien que pourchassé, perdura sous forme de madrasa alternatives, souvent mobiles, discrètes, rurales. La langue arabe devint un refuge identitaire, un outil de préservation de l’histoire collective et de l’autodétermination.

Dans les années 1930 et 1940, des intellectuels comme Tewfik Al-Madani, Moubarek Al-Mili, ou encore Abdelhamid Ben Badis, jouèrent un rôle capital dans la revivification de la langue arabe et dans son ancrage dans le combat pour l’indépendance. L’arabité n’était pas seulement culturelle : elle devint politique. Le slogan de l’association des Oulémas, «l’islam est notre religion, l’arabe notre langue, l’Algérie notre patrie» fut le manifeste d’un peuple refusant la langue du maître comme unique horizon. J’écris l’arabité, sachant que la berbérité y figure, mais ça, c’est une autre histoire.

Héritage postcolonial et conflits de mémoire

A l’indépendance, la question linguistique ne disparut pas. Elle ressurgit dans d’autres termes, avec d’autres enjeux. L’arabisation entreprise dans les années 1960 et 1970 visait à réparer l’injustice coloniale, mais fut parfois menée sans concertation, ni égard aux spécificités régionales, notamment berbérophones. Cette politique produisit de nouvelles crispations.

Mais le legs colonial fondamental demeure : la fracture entre le français, langue du savoir et des élites, et l’arabe ou le berbère, langues populaires. Ce clivage est le fruit direct d’une volonté coloniale de hiérarchiser les langues pour hiérarchiser les peuples. La guérison ne pourra advenir que par une reconnaissance pleine et entière de la pluralité linguistique algérienne, sans instrumentalisation ni exclusion.

Se purifier de la pensée insidieuse coloniale

Plus de soixante ans après l’indépendance, l’Algérie continue de porter en elle les stigmates d’un colonialisme profond, non seulement matériel et politique, mais mental. Ce que Frantz Fanon appelait la colonisation de l’esprit ne s’efface pas par décret. Elle s’infiltre dans les habitudes, les discours, les hiérarchies internes, les imaginaires. Elle survit à la décolonisation juridique parce qu’elle s’est logée dans les structures mentales mêmes de l’ancien colonisé. Comment, dès lors, se purifier de cette pensée insidieuse, toujours active, parfois même méconnue de ceux qu’elle habite ?

L’idéologie coloniale au cœur de sa pensée

Jules Ferry est l’un des artisans majeurs de l’empire colonial français de la Troisième République. Dans son célèbre discours du 28 juillet 1885 à la Chambre des députés, il proclame : «Il faut dire ouvertement que les races supérieures ayant un droit vis-à-vis des races inférieures, il y a pour elles un droit de civiliser.»

Cette phrase, souvent citée, condense toute la vision ferryenne du monde : les peuples colonisés ne sont pas les égaux des Européens, mais des sujets à soumettre et à instruire – au sens colonial du terme. L’Algérie, déjà conquise militairement, devient dans sa bouche le laboratoire de cette prétendue «mission civilisatrice». Mais il ne s’agit pas d’une école de l’émancipation : c’est l’école de l’aliénation, fondée sur l’effacement des cultures autochtones et la domination linguistique et administrative.

L’école contre les indigènes

Contrairement à la légende, Jules Ferry ne conçoit pas l’instruction universelle comme un droit applicable aux colonisés. Dans une lettre adressée en 1882 au gouverneur général de l’Algérie, il écrit : «Il ne faut pas pousser trop loin l’instruction des indigènes musulmans. Il serait dangereux de leur apprendre à lire et à écrire au-delà de ce qui est strictement nécessaire à leur fonction subalterne.»

Cette phrase révèle le fond de sa pensée vile et abjecte : l’école n’est pas un outil d’émancipation, mais un moyen de contrôle. Enseigner le français aux indigènes, oui, mais seulement pour en faire des intermédiaires dociles, des auxiliaires du pouvoir colonial. Il s’agit de former des interprètes, des scribes, des fonctionnaires inférieurs – non de futurs citoyens.

La politique éducative de Ferry en Algérie a donc consisté à restreindre l’enseignement, à détruire les écoles traditionnelles arabes, à interdire l’usage de la langue arabe dans les établissements publics, et à imposer un programme déconnecté de la culture autochtone. Le résultat fut un analphabétisme de masse, entretenu par l’administration coloniale pendant plus d’un siècle.

Une hostilité constante à toute forme d’égalité

Ferry s’est également opposé de manière véhémente à toute tentative de réforme accordant des droits politiques aux indigènes algériens. Il s’inscrit dans la continuité du Code de l’indigénat, mis en place en 1881 sous son gouvernement, qui fait des Algériens musulmans des sujets sans citoyenneté, soumis à des peines collectives, à des amendes arbitraires et à des tribunaux d’exception.

Lorsqu’on évoque la possibilité d’assimilation ou d’octroi de droits civiques aux indigènes, Ferry s’emporte. Il écrit : «La citoyenneté française ne peut être accordée aux indigènes qu’à la condition expresse qu’ils renoncent à leur statut personnel musulman. Or, cela est impensable : leur religion, leur droit, leur langue les en éloignent radicalement.»

Autrement dit, la seule façon pour un Algérien d’être considéré comme citoyen français serait de renier son identité religieuse, juridique et culturelle, de renoncer à son être. C’est une exclusion de principe. L’indigène est assigné à son altérité, traité comme un mineur perpétuel, sans espoir d’égalité.

Une politique de dépossession assumée

Jules Ferry fut également l’un des architectes de la politique de colonisation des terres en Algérie. Il appuie les sociétés de colonisation agricole, qui distribuent des terres aux colons français tout en expulsant les tribus locales. Il participe à une entreprise de spoliation massive, que le gouvernement justifie au nom du progrès et de la productivité. Pour Ferry, la terre doit «changer de mains» afin d’être «mise en valeur» – selon un lexique typiquement colonial qui associe les autochtones à l’inculture et à la stérilité.

L’administration ferryenne a ainsi renforcé la dualité coloniale en Algérie : un pays de deux peuples, l’un dominant, l’autre dominé ; l’un instruit, l’autre maintenu dans l’ignorance ; l’un propriétaire, l’autre dépossédé ; l’un citoyen, l’autre sujet. Et dire que l’on exalte en 2025 en France la laïcité, selon ce même Jules Ferry !

Un héritage empoisonné

La figure de Jules Ferry reste paradoxalement célébrée en France comme un fondateur de la République, alors même qu’il a délibérément nié les principes républicains en terre coloniale. Liberté, égalité, fraternité ne s’appliquaient pas aux Algériens. Pire : ces principes furent souvent invoqués pour justifier leur asservissement, comme s’il s’agissait de les «forcer à être libres» en les privant de tout droit réel.

Son racisme n’était pas viscéral ou passionnel comme celui de certains militaires ou colons, il était administratif, méthodique, républicain, ce qui le rend d’autant plus redoutable. Il s’inscrivait dans une pensée froide, planificatrice, où les peuples colonisés étaient traités comme des variables d’ajustement d’un grand projet impérial.

Autres penseurs racistes français des XIXe et XXe siècles

Arthur de Gobineau (1816–1882)

Auteur de L’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853–1855), Gobineau est considéré comme le père du racisme pseudo-scientifique moderne. Il affirme que l’histoire humaine est le produit des races, et que la «race aryenne» serait supérieure aux autres. Il voit dans le métissage une dégénérescence inévitable. Gobineau fut le père spirituel d’Adolf Hitler.

«Les civilisations ne sont pas le produit des climats ou des circonstances, mais celui des races.»

Même si Gobineau se montre sceptique envers la colonisation (il pense qu’elle accélère le métissage), ses thèses ont largement nourri la doctrine raciale en France, notamment chez les élites impériales.

Gustave Le Bon (1841–1931)

Psychologue social, il est l’auteur de Psychologie des foules (1895), ouvrage dans lequel il décrit les peuples colonisés comme immatures, irrationnels, influençables, donc incapables d’autonomie.

Dans La civilisation des Arabes (1884), il feint l’éloge tout en insistant sur leur décadence irrémédiable. Il écrit : «Les Arabes n’ont produit que des épopées stériles et n’ont transmis qu’une science grecque déjà en déclin.»

Il soutient la colonisation comme acte de tutelle civilisationnelle.

Emile-Félix Gautier (1864–1940)

Géographe et historien, il a enseigné à l’Ecole de lettres d’Alger et publié Le passé de l’Afrique du Nord (1937) et Les siècles obscurs du Maghreb. Il y développe une vision profondément anti-arabe, voyant l’islam comme une force d’obscurantisme et les Arabes comme des destructeurs de civilisation.

«L’Arabe a stérilisé l’Afrique du Nord comme le feu ravageur d’un incendie.»

Gautier défend la thèse selon laquelle seuls les Berbères, s’ils sont séparés des Arabes, pourraient être réintégrés dans le monde «civilisé». Cette idée inspirera la politique coloniale de division ethnique, dite «politique berbère».

Louis Veuillot (1813–1883)

Journaliste et polémiste catholique, Veuillot, bien qu’hostile au républicanisme, partage avec Ferry le mépris des Arabes. Il écrit après l’invasion de l’Algérie : «Ce sont des races perdues, barbares, incurables. Il ne faut pas se faire d’illusions : ces gens-là ne peuvent être que dominés.»

Son journal, L’Univers, légitime les massacres commis en Algérie au nom de la chrétienté et de l’ordre.

Camille Rousset (1821–1892)

Historien officiel de l’armée française, auteur de La conquête d’Alger et de plusieurs volumes consacrés à la colonisation. Il présente la Guerre d’Algérie comme une entreprise juste, une mission héroïque, et minimise les crimes de l’armée.

«Ce pays, livré à des tribus sans loi, devait être repris par la main de la civilisation.»

Son œuvre a contribué à naturaliser la conquête comme nécessité historique.

Ernest Mercier (1878–1955)

Fondateur de l’Institut d’Afrique du Nord, il publie Histoire de l’Afrique septentrionale (en plusieurs volumes), où il développe une vision ethno-raciale du Maghreb : les Berbères sont présentés comme des proto-Européens à civiliser, tandis que les Arabes sont décrits comme des envahisseurs destructeurs.

Il écrit : «L’élément berbère, pur, peut être régénéré ; l’élément arabe est incompatible avec l’esprit moderne.»

Sa pensée a influencé les orientations administratives en matière d’éducation et de recensement.

Adolphe Joanne (1813–1881)

Auteur de guides touristiques et d’ouvrages de vulgarisation sur les colonies. Il décrit l’Algérie comme un espace vierge, en gommant la présence humaine. Il parle de «terres à conquérir» et des indigènes comme de fantômes d’un autre âge.

«La France a trouvé un désert et y a semé la vie.»

Cette rhétorique du vide (terra nullius) a justifié les expropriations.

Henri Lorin (1864–1945)

Professeur de droit colonial, il publie Le gouvernement des indigènes (1903), ouvrage de référence dans les écoles coloniales. Il y défend une stricte inégalité juridique, et s’oppose à toute assimilation : «Il faut administrer les indigènes comme des mineurs, incapables de se gouverner eux-mêmes.»

Il célèbre la spécificité du Code de l’indigénat comme modèle juridique pour l’ensemble de l’empire.

Une pensée raciste systémique

Ces penseurs, parfois encore célébrés en France, ont nourri une véritable doctrine raciale française, distincte mais compatible avec le racisme anglo-saxon. Elle s’appuie sur une hiérarchie des peuples, une lecture culturaliste essentialiste et une légitimation morale de la violence coloniale. Le racisme y est non seulement assumé, mais théorisé, normalisé et enseigné dans les institutions.

Loin d’être des accidents de parcours, ces discours ont structuré l’imaginaire colonial français et continuent, dans leurs traces, de marquer les débats mémoriels contemporains.

Renan, Ferry et leurs héritiers intellectuels : de la colonisation des corps à celle des esprits

Le racisme ne se répète pas à l’identique. Il se transforme, mute, se travestit. En 2025, il ne s’affiche plus toujours en blouses d’ethnologues ou en discours parlementaires sur les «races supérieures», mais s’insinue dans les débats sécuritaires, les lois migratoires, les plateaux télévisés, les éditoriaux anxiogènes, les programmes scolaires appauvris et les déclarations présidentielles feutrées. Les mots ont changé, pas les logiques. Après l’ère des Ferry, Renan et Gautier, la France républicaine s’est dotée de nouveaux porte-voix de la hiérarchie humaine. Inutile de les citer, on les connaît tous sur le bout des doigts.

Le racisme républicain : «l’universel» contre l’altérité

Dans les discours actuels, l’égalité est constamment brandie… pour justifier l’inégalité. Les minorités qui réclament la reconnaissance de leur histoire, de leur mémoire, de leurs blessures sont sommées de «s’assimiler», d’oublier, de se taire, de ne pas être. Ceux qui refusent d’être invisibles deviennent alors suspects, communautaristes, séparatistes, voire «indigénistes» ou «islamo-gauchistes».

Cette pensée, souvent qualifiée de «républicaine», rejoue l’ancienne partition coloniale : vous serez égaux à condition de ne plus être vous-mêmes. Il s’agit d’un racisme dénié, mais non moins virulent : un racisme d’effacement.

Le recyclage académique : Finkielkraut, Zemmour, Houellebecq

Des intellectuels médiatiques comme Alain Finkielkraut, Eric Zemmour ou Michel Houellebecq rejouent les vieux mythes du déclin occidental, du choc des civilisations et de la menace intérieure. Le juif ashkénaze Finkielkraut parle de la «haine de la culture française» dans les banlieues, pendant que le juif séfarade Zemmour décrit les immigrés comme des envahisseurs «remplaçant» les Français. Houellebecq, lui, imagine un islam conquérant dans ses romans. Leur stratégie est toujours la même : essentialiser l’autre, l’assigner à un comportement, une religion, un danger.

Ils se disent victimes d’une censure, mais sont omniprésents. Ils invoquent la République pour exclure, la laïcité pour humilier, l’histoire pour effacer. Ils ne font que recycler la rhétorique coloniale dans un langage postmoderne.

Les intellectuels blanchis par l’Etat

La reconnaissance institutionnelle, les décorations officielles et les tribunes dans les grands médias ont remplacé les chaires coloniales. Pourtant, la mission reste la même : produire un savoir légitime qui exclut les voix non-blanches, ou qui les tolère à condition qu’elles parlent le langage de la neutralité.

Les grands médias, les manuels d’histoire, les programmes éducatifs continuent de véhiculer une France universelle fondée sur la grandeur coloniale, la dénégation du crime et l’occultation de l’esclavage. Les véritables voix dissidentes sont reléguées dans des marges suspectes, qualifiées de radicales, communautaristes ou non représentatives.

Le racisme d’Etat : lois, police et justice

Les lois contre «le séparatisme», les dissolutions d’associations, les contrôles au faciès, la surincarcération des jeunes racisés, les discriminations à l’embauche, les inégalités scolaires, les humiliations policières, etc., tout cela constitue un racisme structurel que les institutions refusent de nommer.

De 1830 à aujourd’hui, une continuité coloniale lie les pratiques de l’Etat en Algérie à celles exercées aujourd’hui dans les quartiers populaires en France : même suspicion généralisée, même criminalisation de l’identité, même brutalité étatique sous prétexte d’ordre et d’unité.

Les crânes algériens envoyés au MNHN sont le fruit direct de cette triple-logique : militaire, idéologique, scientifique. Ils témoignent du moment où la République trahit ses idéaux pour mieux justifier l’impérialisme et nier l’humanité de ceux qu’elle prétendait éduquer.

La République au miroir de ses ossements

Depuis la Révolution française, la République se veut l’incarnation des idéaux universels de liberté, égalité, fraternité. Ce triptyque est inscrit sur les frontons des mairies, enseigné à l’école, gravé dans l’imaginaire collectif. Pourtant, dans les colonies – et singulièrement en Algérie, colonie de peuplement – ces principes ont été systématiquement bafoués, jusqu’à leur inversion totale.

La France coloniale n’a pas seulement opprimé un peuple ; elle a trahi ses propres valeurs. Elle s’est dite civilisée tout en autorisant la barbarie, s’est dite républicaine tout en légitimant la torture. Cette fracture morale est le nœud douloureux de la mémoire franco-algérienne et un impensé qui ronge encore le récit national français.

Oublier peut-être, pardonner jamais

La fabrique de l’oubli n’est pas une absence de mémoire, mais un système de déni actif, entretenu par l’euphémisation, la censure, le retard dans la restitution. Elle protège des équilibres politiques, mais au prix d’un effondrement moral. L’effacement n’efface rien : il retarde seulement l’inévitable retour du réel.

Reconnaître, ce n’est pas s’agenouiller. C’est se redresser. Ce n’est pas céder au passé, c’est ouvrir un avenir sans fracture. L’histoire non dite revient toujours, parfois déguisée, parfois brutale. Il ne s’agit plus de choisir entre mémoire et oubli. Il s’agit de cesser de faire de l’oubli une politique.

A.-F. B.

Historien, anthropologue

Comment (7)

    Lahouaria
    20 avril 2025 - 16 h 10 min

    La Tunisie a condamné par contumace Bernard-Henri Lévy à 33 ans de prison ferme pour espionnage.

    Youuuuu Youuuuu Youuuuu Youuuuu !!!

    Hamdoullah Ya Rabi

    dz
    20 avril 2025 - 14 h 12 min

    c est pour cela quil faut developper le pays pour donner une chance aux futurs generation un meilleur avenir

    Safarat&Lastipol
    20 avril 2025 - 14 h 03 min

    Ce qu’il faut retenir en premier c’est que tous ces criminels ont fini par crever un jour. Les suivants aussi. En deuxième notre prise de conscience des dangers qui nous guettent. Union, sagesse, discrétion et sens de la responsabilité. Aucune place au passe-droit et à la corruption.

    Lolipop
    20 avril 2025 - 13 h 36 min

    Les noms cités par l’auteur de l’article sont tous des « TDC », les anglophones diraient « assholes.
    Pour ce qui est de la photo d’illustration Zemmour, il a fait un crochet par les iles d’Océanie où vivent les réducteurs de têtes, ils ne l’ont pas mangé, car totalement indigeste, les sionisme est un poison mortel.

    L'origine du mal
    20 avril 2025 - 12 h 34 min

    Les 3 homos cités zemmour, finkielkraut et l’autre abruti de houlebecq ont belle et bien un point commun essentiel à savoir ont reçu dès la naissance des minables et insignifiants attributs physiques à commencer sous le slip sauf la gueule qu’ils n’ont cesser « d’améliorer » pour en devenir des grosses gueules .

    Dr Kelso
    20 avril 2025 - 11 h 32 min

    Excellente contribution.
    Merci AP

    Dr Kelso
    20 avril 2025 - 10 h 20 min

    Je reprends encore une ÉNIÈME fois @Anonyme 13/07/19 :
    Un raciste restera toujours un raciste.
    Il est temps pour nous Algériens de changer notre politique envers cette France pour le bien de l´Algérie.
    Une des priorités de la nouvelle république….est de régler le contentieux historique avec la France!
    La France devra ou pas demander pardon pour ces crimes, c est son affaire: on ne peut pas exiger de la grandeur de celui qui n´en a pas.
    Mais on doit obligatoirement exiger des réparations pour 132 années de crimes et d’exploitation de pillage.
    C est meme une question d’estime de soi!
    Sans omettre la guerre terroriste par procuration décennie noire.

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