Pérou : les «huacas» de Lima, ou le sacré pré-inca en péril dans la ville
Au coin d'un carrefour, sous une décharge sauvage ou sur un chantier d'immeuble… Lima fourmille de sites archéologiques pré-incas, des centaines de «huacas», ruines d'édifices sacrés pour la plupart livrées à elles-mêmes, entre croissance urbaine et indifférence générale.
Au coin d'un carrefour, sous une décharge sauvage ou sur un chantier d'immeuble… Lima fourmille de sites archéologiques pré-incas, des centaines de «huacas», ruines d'édifices sacrés pour la plupart livrées à elles-mêmes, entre croissance urbaine et indifférence générale.
Au coeur du quartier résidentiel de Miraflores, une des meilleures tables de la capitale péruvienne s'étend sur une terrasse longeant une pyramide de la civilisation Lima : des mets fins dans un décor de 1.500 ans, embelli d'un éclairage nocturne.
C'est la Huaca Pucllana, une vedette archéologique de Lima, impeccablement conservée grâce à un partenariat avec le restaurant, rare synergie privé-public qui tranche avec la règle de l'abandon ailleurs.
A quelque 3 km, dans le quartier populaire de Chorrillos, un panneau marque l'existence d'une «zone archéologique inviolable». A ses pieds fleurit une décharge sauvage, tandis qu'un petit sanctuaire catholique se dresse en plein milieu de la huaca, érigée «grâce au parrainage» du maire local, rappelle dûment une plaque.
Il n'existe pas de registre des huacas (du quechua wak'a, lieu sacré), ces vastes constructions en adobe (pisé à base de terre argileuse) qui étaient des sites religieux, funéraires parfois, et seraient plus de 300 disséminées, pour certaines recouvertes, dans la métropole aux 9 millions d'âme.
«La majorité des huacas sont officiellement patrimoine culturel de la nation, mais la zone préservée autour d'elle n'est pas délimitée», se désespère l'archéologue Cristian Vizconde, chef de projet d'un site majeur dans le nord du Pérou.
«Cette omission permet aux urbanistes de rogner sur leur espace, de même que les maires qui installent des parcs, des aires de sport». Quant aux huacas qui ne sont pas inscrites au patrimoine culturel, «elles ont pratiquement disparu», ajoute-t-il.
Lima en pleine croissance, comme l'économie du pays (6,9% en 2011, 8,7% en 2010), construit à tour de bras, en foulant les fondations du passé, comme toujours.
L'archéologue Elias Mujica rappelle que le palais présidentiel de la place d'Armes – ou plutôt son prédécesseur, bâti par Francisco Pizarro après la fondation de Lima en 1535 – fut érigé sur l'emplacement du grand palais de Taulichusco, sorte de mairie pré-colombienne de la ville.
Juste à côté, la mairie s'éleva en 1549 sur l'emplacement d'un site sacré, la huaca de Cabildo, et la cathédrale sur le temple dédié au dieu Puma Inti.
Les huacas restantes «dans leur grande majorité ne sont pas protégées, des familles sans logis s'y installent ou bien elles se transforment en décharges, ou en abris utilisés par des délinquants», explique Luis Caceres, directeur d'Archéologie auministère de la Culture.
A quelques exceptions près comme la Pucllana ou la huaca Huallamarca, vaste pyramide du IIe siècle aujourd'hui ceinte d'un parc et d'un musée, la plupart des huacas de Lima ont un avenir incertain, «faute de budget pour un plan de conservation», admet-il.
«L'Etat ne peut être rendu responsable de tout. Nous pensons qu'il faut travailler au plus près avec la population locale» vivant près des huacas, avec les écoles, considère Jorge Silva, archéologue à l'université de San Marcos.
Un «circuit (touristique) des huacas» a été lancé en 2010 pour englober 10 huacas à Lima, mais peine à décoller. Le Parlement a impulsé une campagne «Sauver une huaca», visant à faire «adopter» un site par le secteur privé et qui demeure pour l'heure la meilleure chance de salut du Lima préhispanique.
R. C.