Rabah Boucetta à Algeriepatriotique : «Le RCD flirte avec les islamistes pour plaire à l’émir du Qatar»
Algeriepatriotique : Où en êtes-vous dans la structuration de votre mouvement ?
Algeriepatriotique : Où en êtes-vous dans la structuration de votre mouvement ?
Rabah Boucetta : Permettez-moi de faire un commentaire avant de répondre à votre question. Moi, qui me suis sacrifié 23 ans durant au RCD pour la construction de l’alternative démocratique, il m’a fallu tout ce temps pour comprendre que le parti est pris en otage par son leader et que nous étions l’obstacle même de cette perspective. Nous sommes le parti qui s’est distingué, par ses positions, en faveur de la liberté de la presse et, paradoxalement, nous sommes aussi le parti qui s’est distingué par le boycott de cette même presse. Dès qu’un organe «ose critiquer» le chef, pour le RCD, il venait de franchir une ligne rouge. C’est ce que faisait le FLN du temps du parti unique, c’est pourquoi il se suffisait d’El Moudjahid comme organe de propagande. Aujourd’hui, l’appareil d’El-Biar boycotte la quasi-totalité de la presse indépendante pour avoir évoqué des sujets jugés de trop par le «leader historique» du Rassemblement. Savez-vous qu’aujourd’hui, le parti boycotte Algérie News, La Dépêche de Kabylie, L’Expression, Echorouk, Ennahar, Le Temps, El Waqt, après avoir boycotté, par le passé, Liberté ? Un boycott qui n’honore pas le combat démocratique pour la liberté de la presse. Je reviens maintenant à votre question. Avec la structuration de la wilaya d’Oran, le 6 juillet dernier, et l’installation de M. Boufaden Abderhim comme président du bureau régional et Mme Djemaoui Karima au bureau national de la CNCE, nous sommes à la 10e wilaya structurée. Un bilan très positif, vu la complexité de la situation. L’appareil du parti a perdu la bataille le jour où [ils] ont décidé de faire appel à l’administration pour nous interdire les assemblées que nous sommes en train de tenir. En d’autres temps, on aurait fait appel aux militants. Mais le fossé qui sépare l’appareil du collectif militant est si grand qu’ils ont jugé utile de changer de fusil d’épaule. Certes, la force publique a réussi à nous faire reporter le rendez-vous de Béjaïa, mais elle ne réussira jamais à l’annuler puisqu’il est reprogrammé pour cette semaine.
Cinq mois après le lancement de la CNCE, avez-vous toujours l’espoir d’atteindre votre principal objectif qui est la tenue d’un congrès extraordinaire du RCD ?
Nous serons au rendez-vous et la date sera arrêtée bientôt. Lors de la rencontre nationale prévue après la clôture de l’opération de structuration des wilayas. Un rendez-vous auquel seront conviés l’ensemble des membres du conseil national et les membres des bureaux régionaux. L’ordre du jour portera sur l’installation de la commission préparatoire du congrès extraordinaire et la décision relative à l’élection présidentielle de 2014. D’ailleurs, c’est à ce moment que nous allons introduire la demande officielle pour l’organisation du congrès extraordinaire. Aujourd’hui, si nous avons réussi à sillonner une dizaine de wilayas, avec seulement la volonté comme moyen, la conviction comme arme et la crédibilité du parcours comme clef de contact, c’est parce que nous appartenons à une génération de militants convaincus que rien ne peut venir à bout d’une dynamique née avec l’espoir du Printemps berbère et marquée par le sang du printemps noir. Néanmoins, le congrès extraordinaire n’est pas une finalité. C’est une étape, avant d’arriver à la construction de cette passerelle avec d’autres forces démocratiques pour conjuguer l’effort nécessaire à l’alternative que nous attendons depuis un demi-siècle.
Depuis la tenue de sa «convention nationale» le 29 juin dernier, la direction de votre parti a surpris tout le monde en se rapprochant ostensiblement des partis islamistes. Quelle est votre réaction ?
D’abord, il faut analyser ce rendez-vous sur trois plans : organique, politique et stratégique. Sur le premier plan, je suis bien placé pour savoir que sur les 700 personnes présentes à cette «convention», la moitié sont des extras au parti, invités pour les besoins de remplissage et d’autres sont des islamistes. Sur les 250 membres du conseil national, à peine une soixantaine ont assisté à cette kermesse. Côté personnalités, à l’exception de Youcef El-Khatib, nul n’a daigné répondre à l’invitation de l’appareil. Des partis nouvellement créés ont brillé par leur absence en déléguant des représentants non visibles. Sur le plan politique, cet acte est un second assassinat des 126 martyrs du RCD. Car s’allier avec ceux qui se sont félicités que le rebelle Matoub Lounès ne soit pas enterré dans un cimetière musulman est une double trahison : trahison de sa mémoire et de son combat. Mais quand on lit ce qui s’écrit sur la Toile concernent les complicités dans l’assassinat du chantre de l’amazighité, on peut comprendre mieux cette alliance. Enfin, sur le plan stratégique, ce sont les islamistes qui tirent les dividendes. Ils sont dans une position de vendre l’image de leur mouvance à l’Occident pour dire qu’ils sont fréquentables. Ils sont dans leur rôle. En phase avec la stratégie dictée par les Etats-Unis via le Qatar. Quant aux membres de l’appareil du RCD, ils savent que ce mariage blanc ne mène nulle part, sauf à occuper le militant qui risque, à tout moment, de basculer et rejoindre la dynamique que nous avons lancée à Akbou le 9 février dernier. Néanmoins, cette alliance est une offre de service adressé à l’émir du Qatar. A la lecture de ces reniements, il n’est pas exclu de voir l’appareil du RCD soutenir un candidat islamiste en 2014.
La vie politique nationale semble gagnée par une forme d’immobilisme généralisé. Les partis politiques n’activent vraiment qu’à l’approche des échéances électorales. Est-ce dû, à votre avis, à la nature du système politique ou à des considérations conjoncturelles ?
D’abord, il faut reconnaître que la classe politique actuelle n’est pas représentative. Lors des dernières élections, les électeurs ont voté sur les personnes. En analysant de près les résultats obtenus par les partis politiques en 2012, on constate qu’il y a deux sortes de listes qui ont émergé. La première est celles composée de militants, quel que soit le sigle avec lequel ils ont participé. La deuxième, c’est les listes de la «chkara» (argent, ndlr), ceux qui ont pollué la politique ces dernières années. D’ailleurs, nous n’avons enregistré aucune divergence idéologique pendant les négociations de constitution des majorités. Une seule liste s’est distinguée, par contre, en défendant d’abord et avant tout le projet politique, c’est celle du PST à Barbacha. En observant, aujourd’hui, dans les municipalités ou à l’Assemblée nationale, personne ne pourra identifier qui et qui. Aucune divergence entre les partis. Aussi, il faut admettre que le nomadisme politique de ces dernières années n’a pas facilité la donne. Mais il a discrédité encore plus la politique. Aujourd’hui, aux yeux de la population, tous les sigles se valent : FLN, RCD, FFS, FIS, MSP… C’est cette image qui a favorisé l’immobilisme généralisé. Comment voulez-vous que demain le citoyen se mobilise quand il constate des alliances contre-nature ? Les acteurs politiques ont le devoir de respecter les électeurs. Les rencontres d’aujourd’hui entre laïcs et islamistes nous rappellent les premier et deuxième collèges : au premier, on peut se permettre tout et partout, au second on se limite à regarder avec les yeux de ceux d’en-haut.
Le RCD a présenté sa vision d’une «Constitution pérenne» pour répondre au projet de révision constitutionnel qui sera soumis bientôt. Adhérez-vous à cette démarche ?
Nous voulons débattre de la Constitution qui sera soumise à l’approbation du peuple algérien. Quant à ceux qui ont choisi la fuite en avant, c’est un coup d’épée dans l’eau. Croyez-vous que les Algériens sont intéressés par ce «Carnaval fi dechra» ? (titre d’un film satirique algérien, ndlr) La politique, c’est du sérieux. Lorsqu’on est incapable d’organiser une élection plurielle dans son propre parti, le minimum c’est de rentrer chez soi car la démocratie a besoin de démocrates. Quant à cette convention, en kabyle, on raconte l’histoire d’un marginal qui a souillé une source pour que les villageois évoquent son nom. Sur cet angle, la stratégie est compréhensible.
Entretien réalisé par Lina S.
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