D’où cela vient de ne pas parler intelligiblement et écrire correctement ?
Je ne vais pas faire une analyse approfondie des causes qui ont fait que nos jeunes – dans les grandes villes – parlent un langage qui leur est propre, souvent en mélangeant le français mal assimilé à l’école et l’arabe algérien (derdja). Par ailleurs, n’avez-vous pas remarqué la difficulté de communiquer avec les jeunes pour des raisons de rupture entre les générations ?
Je ne vais pas faire une analyse approfondie des causes qui ont fait que nos jeunes – dans les grandes villes – parlent un langage qui leur est propre, souvent en mélangeant le français mal assimilé à l’école et l’arabe algérien (derdja). Par ailleurs, n’avez-vous pas remarqué la difficulté de communiquer avec les jeunes pour des raisons de rupture entre les générations ?
Le constat : il en est résulté, en milieu urbain, un nouveau langage du type créole que j’appellerai le « frandja» : contraction de «français» et de «derdja» qui donne, fran + dja = «frandja». En plus de la faiblesse de l’enseignement à l’école, le parler «frandja» a été surchargé par le langage des trabendistes et parfumé par l’esprit hittiste et houmiste. En rappel, Malika Grifou-Boudalia en parle dans son livre De Pavlov à Benbadis qui traite du milieu scolaire.
Quelques discussions que j’ai relevées dans la rue :
– «matnirviniche, discuti maâya tidocement» ;
– «repreni edossier ntaâou hadhak li baâtlanou el convocation bèch i signi» ;
– «ech hal qaâdou men el jipates» ( combien reste-t-il de jupes) ;
– «baâtlou la roquette ou rani enaâss éjugem » ( je lui ai envoyé la requête, j’attends le jugement) ;
– «rouh dibouchi ezzigou ou red elberrouitta » (va déboucher les égouts et ramène la brouette).
Les jeunes Algériens sont des ethnographes. Créatifs dans le langage, certains mots valent autant par leur détonation que par leur consonance (matnirviniche), d’autres sont secs (frini), nerveux, rapides (bipi) concis (zoumitte : zoom) et quelquefois colorés (bled erratage ouel piratage).
Quelques expressions choisies dans mon «Glossaire de 500 locutions» en cours d’édition.
– Matrispiktiniche
– Formataouèh
– Em’riyache (riche)
– Ipentère ( il peint)
– Mestiki (bien habillé)
– Dodanette ( dos d’âne)
– Manoblijikche (je ne t’oblige pas)
– Ennproposilek ( je te propose)
– Jib el ponge (amène l’éponge)
– Axiliri (accélère)
– Tiliphounali (il m’a téléphoné)
– Exporta ( il a exporté)
– Trompitti (tu t’es trompée)
– Bipittelou m’a répondage ( j’ai bipé, pas de réponse.)
Dans une chanson raï d’un cheb, récoltée à Saïda, que je cite de mémoire, on peut entendre : «enntouma jil 1928, rakoum dipassi / ehna jil 1998, rana l’avinir». Def-tak/def-tak/def-tak/… et le rythme de la derbouka appuie le message. A bon causeur, salut !
Ils ont raison, les jeunes. Nous sommes dépassés, à eux l’avenir.
Et le Président, M. Bouteflika, lors de sa visite à Constantine le 8 mars 2006, Journée de la femme, confirme : «Qu’est-ce langage où l’on francise notre parler comme par exemple mategziztich ? Le Président a également dit : «On ne parle bien ni le français, ni l’arabe.» Il a également cité le secteur de la justice où le personnel parle mal arabe.
Je me souviens, des longues discussions des années 1970 à propos de la mise en application de la politique et du programme de l’arabisation, bien que l’endoctrinement et l’abrutissement des enfants avait commencé dès l’indépendance avec l’envoi des cordonniers de la Vallée du Nil. A l’époque, dans le temple du savoir et des innocences qu’est l’école, on fabriquait les futurs chouyoukh incultes et plus tard sortiront les terroristes quand la multitude avait été enflammée par les passions religieuses. Bilan : 200 000 morts.
L’arabisation au pas de charge, c’était quoi ?
Le chef de l’Etat ordonne sous la pression des cercles d’influences. Le ministre s’exécute. Les directeurs, les conseillers mettent en œuvre. C’était vous, c’était moi : les cadres francophones de cette époque. Nous avons laissé faire. Nous récoltons ce que nous avons semé. Seul avait démissionné de son poste, Lacheraf, ministre de l’Enseignement à l’époque, pour incapacité d’appliquer le système mis en place, auparavant, par des fonctionnaires algériens francophones.
Je ne finirai pas sans ce mot de Cheb Khaled : «Lorsqu’on chante l’amour, il faut mettre la main à la pâte» (dans une interview parue dans la presse-10.11.2000.).
Nous avions tous mis la main à la pâte… pour le désamour.
Chez nous, serait-il que tout est provisoire, accidentel mais fréquent. Malgré le doute, l’Algérie ne va pas si mal, les gens s’en accommodent du fait que chacun tente et le plus souvent parvient à tirer profit de la façon dont vont les choses.
Abderrahamane Zakad, urbaniste
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