Les voyous
Nous sommes dans une société où les richesses se sont vite et facilement constituées, un argent démesuré pour les uns et pour un grand nombre la précarité visible. Ceux qui sont laissés sur la route désespèrent. Parmi eux, certains lèvent le nez vers le minaret, d’autres s’enfoncent dans le verre et la drogue. Et pour la jeunesse, il se déroule devant elle le tapis de la plus grave solitude, celle de ne rien faire, celle de tous ces jeunes, épars, qui regardent et écoutent, étrangers à ce monde qui se fait sans eux.
On taxe les jeunes des cités populaires de fainéants, voire de «voyous». Les cités-douars dans lesquelles ils vivent n’ont pas eu les mêmes vertus que leur ancien modèle, modèle au sens de houma ; elles les ont même inversées et physiquement ruralisées. Ces cités produisent une société qui ne se reconnaît dans rien, qui pointe des paraboles vers le ciel pour chercher une vie meilleure, par la procuration des images qu’elles chassent inlassablement pour s’évader. Des images venues d’ailleurs, qui semblent décrire la vie que le douar cloné ne permet pas d’avoir et qui font espérer que viendrait l’époque où de nouveaux urbanistes découperont l’espace et le peupleront autrement qu’en référence au douar, au béton et aux barres. Même les élus ont un esprit «douar», eux qui sont chargés de les mener vers la modernité. La plupart des jeunes qui grignotent leur âge en pensant déjà à la vieillesse n’ont jamais voté et, surtout, dans les partis, seule la chkara a rempli les urnes, ce qui a permis à des incultes d’occuper la scène. Comment pourrait-on régler les problèmes des jeunes si les élus ne leur tendent pas les bras, si on ne les écoute pas afin de les connaître : les connaître dans leurs désirs, dans leur ambition et dans leur misère sociale. Ces voyous sont pour certains la cause des maux qui touchent notre pays, la racine de tous les fléaux, la gangrène. Bien sûr, tout cela perturbe le bourgeois et les nouveaux riches qui voient leur confort menacé. Les gouvernants, les élus, les juges, les policiers, ne font pas le poids de la déliquescence humaine devant les voyous, ces terribles et impitoyables gardiens de parking ou vendeurs de mouchoirs en papiers et de lunettes fumées. Ils sont peut-être voyous, voleurs ou bandits, quelquefois de grossiers personnages mais jamais ils n’ont été skinheads ou égorgeurs fanatiques comme les islamistes de la triste époque. Ils ne sont qu’un symbole de la révolte pure et dure déjà exprimée et toujours en gestation. Ils n’ont pas droit au partage des richesses que la ville leur plaque en plein visage. La misère, la hogra, le besoin sont leur viatique, et à défaut d’une école formatrice d’hommes responsables pour des emplois pérennes, ils se morfondent dignement. Et la rue leur appartient à défaut de travail dans les chantiers et les usines. Ce n’est pas une honte d’être pauvre ou chômeur, mais c’en est une de ne rien faire pour sortir de cette situation. Vis-à-vis de sa mère et en lui-même. Et que peut-il faire ?
Etre anarchique n’est pas un hasard, mais une construction et une nécessité pour survivre, et le cri du ras-le-bol. Allez-y, chassez le voyou de son parking, la dellala de son trottoir et vous aurez une jeunesse sans raison de vivre. Chacun refoule ses déceptions et son stress à sa manière, quelque part et n’importe comment. Ces voyous les refoulent par la violence urbaine quand ils n’en arrivent pas au suicide. C’est ce que font les harraga. Il leur arrive même de faire «un chahut de gamin» comme l’avait proclamé un ministre en 1988. Un chahut qui a brisé toute les vitres de la maison Algérie pour enfin voir ce qui s’y passe. Le réel fléau n’est autre que les producteurs de voyous et non les voyous.
Au fait, Ali La pointe, dans quelle catégorie le placerons-nous ?
Abderrahmane Zakad, urbaniste
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