Badinter : «J’observe le retour d’un racisme colonialiste en France»
La montée de la xénophobie, les déclarations et autres actes racistes de tous ordres en France ces derniers mois n’ont pas laissé indifférent Robert Badinter, l’ancien ministre français de la Justice, entre 1981 et 1986, sous François Mitterrand. Dans un entretien accordé au magazine Les Inrockuptibles, M. Badinter n’a pas hésité à user d’un langage sans concession pour évoquer la recrudescence de l’innommable dans un pays pourtant considéré comme celui des droits de l’Homme. Il n’a d’ailleurs pas hésité à pointer du doigt le retour d’un «racisme colonialiste» dans l’Hexagone. «J’observe le retour d’un racisme colonialiste en France», a-t-il, en effet, dénoncé en réponse à une question sur la banalisation de la parole et de l’acte raciste dans son pays, notamment après la stigmatisation dont a été victime la ministre française de la Justice, Christiane Taubira. Si l’ancien ministre tient à «relativiser» ce phénomène «à l’échelle de l’histoire», il estime, en revanche, qu’assimiler cette personnalité à une guenon, comme l’a fait le journal Minute, est «une infamie». «C’est du racisme à l’état pur. Il faut que le parquet poursuive et que la condamnation soit à la hauteur de l’atteinte», affirme-t-il tout en s’interrogeant sur «les ressorts cachés de ce propos». «Quand des enfants brandissent des bananes et insultent Madame Taubira, je vois le retour d’un racisme colonialiste que l’on croyait disparu», finit par lâcher l’ancien garde des Sceaux. Interrogé sur la «lepénisation des esprits», une formule dont il est l’auteur depuis une quinzaine d’années, M. Badinter assure continuer à penser de la même façon, estimant que «lier, comme on l’a fait, immigration et insécurité ne fait que nourrir le Front national». Pour lui, «le FN joue sur les deux tableaux : la peur et la xénophobie, hélas !, très ancrées dans l’histoire de la République». Questionné sur la politique anti-immigration menée par Nicolas Sarkozy du temps où il était président et la poursuite de la même démarche par l’UMP, il relève que «si le dessein de Sarkozy était de la combattre, les propos et les moyens utilisés ont contribué à la renforcer dans le public». Il n’hésite d’ailleurs pas à faire un lien entre cette période et la décennie 1920-1930 où, avec la crise économique des années 1930, «le rejet de l’étranger est apparu, la peur du chômage s’est installée, nourrissant la pulsion xénophobe». «On vit aujourd’hui le même processus. Espérer apaiser le pays en prenant des mesures législatives qu’on annonce comme décisives alors qu’il n’en sera rien est un leurre. Loin de désamorcer l’angoisse, on la nourrit d’autant plus», réagit l’ancien ministre de la Justice à la multiplication des lois anti-immigration. Ce dernier plaide, par ailleurs, pour le droit de vote des étrangers aux élections municipales qui reste, à ses yeux, «absolument légitime».
Amine Sadek
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