Quand la trajectoire du développement croise celle des aspirations démocratiques
«Le terme d'économie politique désigne les tentatives d'analyser l'intersection de l'économie et de la politique au niveau des changements institutionnels et des choix politiques, que ces tentatives reflètent la nouvelle économie politique qui prend racine dans l'économie ou (qu'ils reprennent) une tradition d'analyse distincte fondée sur la sociologie», Merilee S. Grindle (in Meier et Stiglitz, 2000). Les dernières décennies ont vu se diffuser la théorie du «public choice» dénonçant pêle-mêle l'information imparfaite des décideurs publics, les effets latéraux des politiques publiques, leurs effets pervers, la recherche de rentes, la substitution de la rationalité administrative à la rationalité économique, les pressions des lobbies, la sensibilité à la conjoncture politique et à la venue des élections, etc. Aucune intervention de politique économique extérieure ou de politique économique interne ne pouvait échapper à une critique aussi diversifiée, et l'on a vu s'imposer le «fondamentalisme libéral «dénonçant toute intervention publique.
Mondialisation libérale
Dans les années 70, la vision néolibérale et la mondialisation ont remis en cause le «libéralisme encastré «(Ruggie, 1982), né de la volonté d'éviter les déséquilibres de l'entre-deux-guerres. En effet, pour éviter le retour du protectionnisme, les accords de Bretton Woods adoptaient le principe de cheminer vers la libéralisation internationale par une coopération entre les politiques extérieures et, pour éviter le retour au chômage et aux inégalités des années 30, laissaient une marge de liberté aux politiques internes de plein-emploi et d'Etat-providence. La mondialisation libérale est venue déséquilibrer ce compromis et a conduit à prolonger la libéralisation internationale par une libéralisation interne. Cette pénétration du libéralisme à l'intérieur des pays a été imposée, dans les pays en développement, par le consensus de Washington et les institutions financières internationales (IFI), et a été appuyée partout par la «contre-révolution libérale», qui a renforcé les effets mécaniques de la mondialisation par une critique systématique des politiques publiques. Cette critique a été nourrie par un inventaire méticuleux des possibles «défaillances de l'Etat» comme, en d'autres temps, la vogue des idéologies interventionnistes avait polarisé la réflexion théorique sur les «défaillances du marché». A cette critique a été jointe une stratégie de réformes libérales, conçue comme un engrenage où chaque réforme a deux objectifs : d'une part, respecter une contrainte (ou saisir une opportunité) de la mondialisation, et d'autre part, créer une nouvelle contrainte réduisant la marge de manœuvre des autorités publiques. Ainsi, la réduction des tarifs douaniers était simultanément une mesure de libéralisation et une incitation à la prolonger par d'autres mesures, comme la réduction des subventions internes. De même, la libéralisation des entrées et des sorties de capitaux était à la fois un respect des règles de la libéralisation et un instrument de pression sur les politiques fiscales internes ; ou encore l'ouverture des entreprises aux actionnaires étrangers était à la fois un acte de libéralisation et un instrument d'introduction des règles et des comportements libéraux de la «corporate governance» anglo-saxonne. En outre, puisque la mondialisation et la libéralisation ont provoqué, non une concurrence pure et parfaite, mais une concurrence oligopolistique, on a vu proposer et pratiquer des politiques de développement des avantages compétitifs (Porter), des politiques de soutien des champions nationaux, des accords interétatiques de cartel, des politiques «stratégiques «inspirées de la politique industrielle et de la nouvelle économie internationale (Krugman) et même des politiques dites de «guerre économique». L'expérience a montré que ces multiples objectifs ont souvent coexisté et que les Etats ont, pour les combiner, disposé de marges de manœuvre que n'ont supprimées ni l'hégémonie de la pensée libérale, ni l'efficacité des engrenages libéraux, ni les pièges de la libéralisation. Chaque Etat a pu, en fonction de ses avantages compétitifs et de ses traditions sociopolitiques, construire une politique qui lui permette de s'intégrer dans un monde compétitif (Palan, Abbott et Deans, 1999). Les pays développés n'ont pas supprimé leurs politiques sociales (même si celles-ci sont plus orientées vers la compensation que vers la protection ; Rodrik, 1997). Les pays asiatiques ont pu combiner exportation et protection. Les pays en développement PED (à l’instar de l’Algérie) ont pu, par des méthodes non orthodoxes, maintenir des économies rentières et de multiples modes de prédation et de redistribution.
Politiques pragmatiques des puissances émergentes
Lorsqu'ils essayaient de rattraper les pays économiquement en pointe, les pays actuellement développés (PAD) avaient recours à des politiques industrielles, commerciales et technologiques interventionnistes, afin de pousser leurs industries naissantes. Les formes de ces politiques et l'accent mis sur l'une plutôt que sur l'autre peuvent avoir été différents selon les pays, mais il ne fait aucun doute qu'ils en ont fait un usage actif. Et en termes relatifs (c'est-à-dire en tenant compte de l'écart de productivité avec les pays plus avancés), nombre de pays pauvres protègent leurs industries beaucoup moins lourdement que ne l'ont fait les pays aujourd'hui développés. Compte tenu de cela, on conclura qu'en recommandant de soi-disant «bonnes» politiques, les PAD sont bien en train de «tirer l'échelle» grâce à laquelle ils ont grimpé au sommet, la plaçant hors de portée des pays en développement.
Les puissances émergentes telles que la Chine, l'Inde, le Brésil ou l'Afrique du Sud ont accepté le principe de la mondialisation libérale sans pour autant renoncer à combiner des politiques publiques dites libérales et des politiques publiques naguère interdites par le consensus de Washington. Leur pragmatisme et leur pouvoir de négociation permettent à ces pays d'attirer des capitaux tout en leur imposant des contrôles, d'entrer à l'OMC avant d'en respecter toutes les normes, de ne pas masquer leurs réticences à respecter les brevets, de négocier durement avec les entreprises pharmaceutiques, d'influencer les prix mondiaux par des commandes groupées, de mener des politiques sociales, de s'appuyer mutuellement dans la défense du pouvoir de l'Etat (parfois même dans leur refus de la démocratie), de réaffirmer le droit à la diversité des modèles de développement sans contester leur ralliement au capitalisme, etc. Ce pragmatisme des pays disposant de leur autonomie de décision est loin de la vision de l'Etat minimum imposée naguère par les ajustements structurels aux petits pays sans pouvoir (qui sont désormais tentés de chercher des appuis auprès de ces puissances émergentes). Il est opportun de souligner que cette capacité de réaction des «perdants» de la libéralisation signifie que, contrairement à l'idée d'un alignement fatal sur la globalisation de l'économie, l'action politique a encore un espace de liberté. Dans les pays industrialisés, à la différence de que l'on a voulu et pu imposer aux pays sous ajustement, l'action politique interne a encore une influence non nulle sur la répartition des gains et des coûts de la libéralisation. L'utilisation des espaces de liberté est surtout visible au niveau des nations, ce qui peut s'expliquer par le fait, rappelé par Vincent Cable (1999), que ce n'est encore qu'au niveau national qu'il existe des acteurs politiques. C'est là que se font les alternances politiques. De même, les acteurs sociaux continuent à imprimer un rythme national aux conflits et aux compromis nés de la globalisation.
Mondialisation des politiques publiques
L'addition du fondamentalisme libéral, des stratégies d'engrenage libéral et des pièges de la libéralisation progressive a pu faire croire, un temps, que l'on allait vers la quasi-élimination des politiques publiques. On a vu proposer ou imposer un Etat minimum dont seraient réduits les pouvoirs, les dépenses, les recettes, les fonctions, les administrations, les personnels, les interventions dans les entreprises, les subventions et les taxations, les interventions sur les marchés, les compétences monétaires et bancaires, etc. Mais le fait est qu’il n'y a pas eu, pour autant, élimination des politiques publiques. Dans le cadre d'une concurrence internationale accrue, les politiques se sont vu attribuer, outre l'objectif de retrait, au moins trois autres buts : l'insertion dans la concurrence internationale, qui exige de pratiquer des politiques de compétitivité des exportations et d'attraction des capitaux tout en respectant les normes d'une concurrence loyale (la politique se mettant, en quelque sorte, au service de la globalisation) ; la protection, provisoire ou durable, de certains secteurs et acteurs menacés par la libéralisation (la politique limitant la globalisation et permettant à chaque pays de choisir un mode d'insertion conforme à son histoire, à ses avantages compétitifs et à ses compromis politiques) ; et l'indemnisation des perdants, qui permet d'ouvrir les frontières en tentant de respecter la condition parétienne de ne pas accepter une réforme qui détériore la condition d'un seul (hausse des retenues sociales pour compenser l'accroissement des risques créés par l'ouverture à la mondialisation libérale ; Rodrik, 1997). Or, il faut savoir que dans une période de mondialisation des acteurs privés, tant que les politiques publiques agissent uniquement au niveau national, cela provoque une réduction relative des domaines et des pouvoirs des politiques publiques. C'est évidemment la première cause du déficit de gouvernance. Mais la mondialisation des politiques publiques n'est pas la seule issue possible de ce déficit. Celui-ci peut être réduit – et, jusqu'ici, a été surtout réduit – par une croissance de la gouvernance privée (pratique des transnationales et idéologie des théoriciens de marché). Et il peut ne pas être réduit du tout. Quelle que soit l'ampleur du retour des politiques publiques, celles-ci ne peuvent ni ne veulent, pour le moment, s'opposer à la poursuite de la globalisation. Les firmes transnationales poursuivent leur expansion. Les engrenages libéraux poursuivent leur action : chaque libéralisation nouvelle est présentée comme créant le besoin d'une autre libéralisation. La mobilité des capitaux et du travail qualifié est devenue l'argument le plus utilisé par les partisans de l'allégement de la fiscalité.
Développement institutionnel
Les six institutions qui sont habituellement considérées comme des composantes essentielles d'une «bonne gouvernance» dans les pays développés sont les suivantes : la démocratie, l'administration (y compris la magistrature), les droits de propriété, les institutions du gouvernement d'entreprise, les institutions financières (y compris celles gérant les finances publiques) et les systèmes de sécurité sociale et de gestion de l'emploi. Afin de se conformer aux «normes mondiales», les PED sont soumis à une forte pression pour améliorer la qualité de leurs institutions bien qu’il ait fallu longtemps aux pays développés pour développer des institutions au début de leur développement. Les raisons de la lenteur de ces progrès sont variées, mais les institutions mettent habituellement des décennies, et parfois des générations, à se développer. Il n'est donc pas réaliste d'exiger, comme on le fait aujourd'hui, que les pays en développement se dotent d'institutions aux normes mondiales sans délai ou après une transition très courte, de l'ordre de cinq à dix ans. Pour ce qui concerne le développement institutionnel, la situation est plus complexe que pour les politiques industrielles, commerciales et technologiques. On peut toutefois affirmer que la plupart des institutions aujourd'hui recommandées aux pays en développement comme faisant partie de la boîte à outils de la «bonne gouvernance» ont été le résultat, plus que les causes, du développement économique des PAD à ses débuts. Il n'est donc pas évident de déterminer quelles sont celles qui sont en fait «nécessaires» aux PAD – tellement nécessaires, aux yeux des organismes internationaux en charge du développement, qu'elles doivent être imposées à ces pays par de fortes pressions externes, aussi bien bilatérales que multilatérales. Soutenir que nombre des institutions habituellement recommandées par le discours sur la «bonne gouvernance» peuvent ne pas être nécessaires, ni même favorables, aux pays actuellement en développement ne veut pas dire qu'elles n'ont aucune importance ou que les pays en développement n'ont pas besoin d'améliorer leurs institutions. Au contraire. Historiquement, les améliorations de la qualité des institutions semblent bien être allées de pair avec de meilleures performances en matière de croissance. Attention ! Les «bonnes» institutions ne produisent de la croissance que lorsqu'elles sont combinées avec de «bonnes» politiques. Or on doit constater que, malgré des progrès continus – et qui s'accélèrent probablement – dans la qualité de leurs institutions, les PED ont vu ces vingt dernières années un ralentissement marqué de leur croissance. Cela est essentiellement dû à leur incapacité chronique à mettre réellement en œuvre de «bonnes» politiques de développement en raison de réformes incomplètes et surtout inachevées.
Nuances entre croissance et développement
Les deux termes ne sont évidemment pas équivalents. Avec «croissance économique», nous sommes dans le quantitatif, on mesure ce que les hommes ont réussi à produire au cours d'une année et on observe l'augmentation de ces quantités produites. La croissance correspond à un accroissement durable de la production globale d’une économie. Le développement désigne l’ensemble des transformations économiques, démographiques et sociales qui généralement accompagnent la croissance. Ces mutations structurelles et qualitatives rendent la croissance irréversible. Il est donc difficile d'envisager qu'il y ait croissance à long terme sans développement. Mais produire plus (la croissance économique) ne peut pas être présenté comme l'objectif ultime d'un pays. Le «développement» inclut la réflexion sur ce que l'on fait de ce qui est produit et sur les transformations des structures économiques et sociales que la poursuite de la croissance entraîne et implique. En simplifiant, la croissance, c'est avoir plus ; le développement, c'est être mieux tout en rendant possible la poursuite de la croissance.
Equité et développement économique
L’idée de développement économique suppose une création de richesse et est sous-tendue par l’idée de progrès dès lors qu’il entraîne, en principe, une progression du niveau de vie des populations concernées. En termes d’évaluation, il convient de noter que l’indicateur habituel du développement économique, même s’il est contesté, reste le PIB qui est une somme des valeurs ajoutées sur un territoire donné. Il nous semble néanmoins que l'équité est par définition une condition intrinsèque du développement au sens large, si l'on admet que le développement n'est pas seulement un concept économique (le niveau de PIB par habitant), mais inclut le respect des droits humains, dont l'égalité des chances et l'absence de pauvreté absolue sont parties intégrantes.
Economie sociopolitique du développement
L'économie sociopolitique du développement (ESD) se donne pour objet l'étude des interactions entre des processus sociopolitiques et économiques dans la dynamique du développement. Elle se réclame des grands classiques sur l'émergence du capitalisme (Weber, Marx, Braudel…) et sur ses transformations (Schumpeter, institutionnalistes, etc.). Elle prolonge les textes fondateurs des années 1950 sur le sous-développement et sur les stratégies de développement (Hirschman, Myrdal, Rostow dans ses travaux historiques…). Et elle bénéficie – au point parfois de s'y perdre – de la masse d'informations réunies grâce à la mobilisation, notamment à partir des années 1960, de toutes les sciences sociales (histoire, anthropologie, démographie, science politique) sur les transformations observées dans les sociétés traditionnelles dominées.
Elle se méfie principalement de l'impérialisme des économistes «purs» dans les diagnostics ; elle entend insister sur la complexité des sociétés et la pluralité des valeurs, au point, parfois, de refuser de formuler des projets économiques ou même de recommander le développement. Elle accorde, à l'inverse, une attention prioritaire à l'histoire des conflits, des armistices et des compromis sociaux nationaux et internationaux. Elle focalise son attention sur l'historicité et la diversité des institutions, des histoires sociales et politiques, des modes de formation et d'érosion des Etats, des nations, des mouvements sociaux, des politiques publiques et des trajectoires de développement (ou de sous- développement). Tant qu'elle est demeurée fidèle à son propos initial (la mise en évidence des interactions entre économies, politiques et sociétés), elle a su mettre au jour des interactions de plus en plus complexes et de plus en plus fines. Elle a, au contraire, connu des échecs et perdu beaucoup de temps lorsque, dans ses diagnostics ou ses recommandations, elle a voulu établir la primauté de l'économique sur le politique.
Economie de marché
De fait, «économie de marché» constitue une manière détournée de dire «capitalisme». Il est facile de comprendre le succès de cette formule euphémique désormais consacrée, car parler de «capitalisme «suggère directement l'existence de «capitalistes», c'est-à-dire d'une classe sociale dominant un système hiérarchisé, alors qu' «économie de marché» renvoie à une société d'égaux. Comme le résumait Maurice Allais en 1954, «toute situation d'équilibre d'une économie de marché est une situation d'efficacité maximale, et réciproquement toute situation d'efficacité maximale est une situation d'équilibre d'une économie de marché». Fermez le ban, la messe est dite ! La question peut paraître a priori saugrenue. Donner plus de place au marché entraîne forcément les économies vers plus de libéralisme, c'est une évidence. Les économistes peuvent se battre, et ils ne s'en privent pas, pour savoir dans quelle mesure le marché est un mode d'organisation efficace économiquement et socialement optimal. Mais cela ne change rien au fond de l'affaire : ce sont bien les libéraux qui réclament plus de marché, de concurrence et de liberté pour l'initiative individuelle. Le marché est libéral. Mais dans l'économie de marché, la concurrence est rarement libre et quasiment jamais «non faussée». Au même titre que d'autres instances de régulation, l'Etat y est toujours présent, réclamé par les acteurs privés eux-mêmes ; et les compromis politiques sont à la base des règles qui permettent aux marchés de fonctionner. Qui a dit que le marché était libéral ? Le marché nécessite donc des institutions politiques stables pour assurer une régulation économique optimale par les prix. Le marché, par l’instauration de la concurrence, génère des gains de productivité qui sont un préalable nécessaire au processus de développement. La régulation marchande et celle de l’État ne s’opposent pas, elles sont complémentaires. Il s’agit donc de développer les synergies entre secteur public et secteur privé, comme l’ont très bien réalisé la plupart des nouveaux pays industrialisés (NPI).
Rôle décisif de l’Etat dans le développement
Il se perçoit en s'éloignant de la thèse de l'Etat minimal, sans abandonner pour autant la méfiance envers les Etats interventionnistes et développeurs. Il n'y a pas de changement d'attitude à l'égard du marché, et il s'agit moins d'une critique du libéralisme que d'un approfondissement théorique et philosophique de sa forme anglo-saxonne (Campbell, 2001). Ce que l'on demande à l'Etat et aux institutions, c'est essentiellement de faire respecter le droit, la propriété, le respect des contrats, l'impartialité des décisions de justice et leur effectivité. Il est reconnu que le marché n'est pas la condition suffisante du développement et qu'il faut des politiques publiques pour le faire apparaître et respecter ; mais il n'est encore guère question de rectifier le marché par des politiques publiques.
Progressivement, les (IFI), après avoir recommandé la réhabilitation de l'Etat, la rigueur macroéconomique, l'amélioration des projets et la défiance à l'égard des gouvernements rentiers et prédateurs, ont réuni l'ensemble de ces prescriptions sous le vocable de «bonnes politiques» nécessaires et suffisantes pour réussir un développement. Le vocabulaire s'éloigne alors nettement des anciennes critiques de toute action des Etats. On met au premier plan les institutions et même parfois les Etats forts. Depuis lors, il n'est plus d'ouvrage orthodoxe qui n'insiste sur la nécessité de ces bonnes politiques publiques et ne renchérit, en outre, sur la nature proprement politique des décisions de développement. Même les conseils des bailleurs de fonds, naguère supposés être apolitiques et scientifiques, se présentent désormais comme politiques. Cette réhabilitation ne va cependant que rarement jusqu'à faire l'inventaire des défaillances du marché qui pourraient justifier les politiques publiques. Au reste, les attributions du label de «bonnes» politiques ne sont pas toujours très précises. Lorsqu'il est attribué ex post, c'est parfois au vu, non des méthodes, mais du succès d'un pays, ce qui frôle la tautologie. Mais la Banque mondiale (BM) a fait un pas de plus dans la réhabilitation des politiques publiques, depuis qu'elle a mis au centre de sa stratégie la lutte contre la pauvreté. Il est désormais admis qu'il existe des défaillances du marché que l'Etat peut et doit corriger. Il est aussi reconnu que la répartition n'est pas spontanément optimale et qu'il peut être souhaitable de procéder à des politiques de redistribution des revenus, des patrimoines et des pouvoirs. Il est même admis que la démocratie n'est pas spontanée, qu'elle n'a peut-être pas de formes universelles et que la démocratie représentative doit se voir substituer une démocratie participative (ce qui peut être discuté). Enfin, il est à nouveau reconnu que les bailleurs de fonds doivent, comme au premier temps de la lutte contre le sous-développement, aider les politiques visant la satisfaction des «besoins essentiels». On met à nouveau l'accent sur les politiques de santé, d'éducation, de création d'emplois et de lutte contre l'exclusion. Il serait excessif de parler d'un retour, au niveau mondial, des politiques sociales naguère minées par la globalisation purement économique. Mais il y a, partout, réhabilitation de politiques sociales relevant, au moins partiellement, des autorités publiques. D'ailleurs, si la réhabilitation de ces politiques se fait parfois avec un vocabulaire nouveau (on dira qu'il faut renforcer les facteurs de «croissance endogène»), elle retrouve aussi un vocabulaire traditionnel (on traite de «services sociaux», ou même de «services publics»).
La démocratie
Pour M. Duverger, la démocratie est le système où «les institutions politiques reposent sur les principes fondamentaux suivants : souveraineté populaire, élections, parlements, indépendance des juges, libertés publiques, pluralisme des partis», tout cela devant permettre d’«empêcher que le pouvoir politique ne soit trop fort, afin de préserver les libertés des citoyens». On peut retenir de cette définition que la démocratie est l’instrument qui permet de réaliser la liberté des citoyens. Pour J. H. Hallowell, «la démocratie repose sur le principe que nul gouvernement n’est légitime si son autorité et ses fonctions ne découlent pas du consentement des gouvernés». Dès lors, «afin de garantir qu’un gouvernement est effectivement fondé sur le consentement des gouvernés, que la politique gouvernementale est bien le reflet d’une réflexion et d’une décision populaires, il existe un certain nombre d’institutions créées à cette fin». Parmi ces institutions, il cite les «libertés civiles», un «système judiciaire impartial» et une «Assemblée législative élue par le peuple». On peut constater que, à la différence de Duverger, Hallowell insiste sur le fondement du pouvoir pour définir la démocratie. Son apport qui s’inscrit dans la lignée de Montesquieu, apparaît nettement plus idéal, sinon idéaliste. En effet, s’il fallait vraiment vérifier les critères établis par Hallowell, on risquerait de trouver fort peu de démocratie sur la surface de la Terre. Pour J. Rawls, la démocratie s’établit dans ce qu’il appelle la théorie de la justice comme équité. Cette théorie énonce deux principes :
1- Chaque personne a un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous.
2- Les inégalités sociales et économiques sont autorisées à condition (a) qu’elles soient au plus grand avantage du plus mal loti ; et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances.
Cette dernière proposition est intéressante surtout en ce qu’elle intègre la dimension socio-économique, même s’il reste à déterminer comment résoudre le paradoxe des inégalités qui seraient au bénéfice du plus mal loti, tout en supposant que l’égalité des chances ne reste pas au stade du principe. Partant donc de tout ce qui précède, Guy Rossatanga-Rignault propose l’esquisse de définition suivante : «La démocratie est le règne de la plus grande liberté qu’une société peut réaliser à un moment donné en garantissant la plus grande égalité entre ses membres sur le fondement d’un pouvoir légitime et légal, produit de la responsabilité de tous dans la plus grande tolérance».
Souveraineté et démocratie
Il est nécessaire redonner à l'expression de la souveraineté populaire la possibilité de prendre des décisions sur l'ensemble des domaines de la politique économique, car cette dernière ne relève pas de la science, mais de la combinaison d'intérêts divergents et contradictoires, c'est-à-dire de la politique. Ce qui fait la démocratie, ce n'est pas seulement la liberté de parole, c'est le fait que cette dernière aboutisse à produire des dirigeants en mesure de prendre des décisions et devant en assumer les responsabilités. Sans pouvoir d'agir et de décider, il n'y a plus de souveraineté, et quand il n'y a plus de souveraineté, il n'y a plus de démocratie.
Développement économique et démocratie
La croissance économique, lorsqu’elle a lieu au sein des PED, rime encore avec la pauvreté du plus grand nombre, d'où la crainte que l'intégration internationale ne se traduise par une désintégration sociale et la montée d'un populisme nourrissant un imaginaire critique de la globalisation. C’est pour cette raison qu’un vif débat est aujourd’hui ouvert sur l'effet de la démocratie sur le développement économique. Quelle que soit la position que l'on peut avoir sur cette question, il est clair que les PAD ne se sont pas développés sous des régimes démocratiques. Ce n'est qu'à partir de 1920 que la plupart d'entre eux ont adopté le suffrage universel pour la majorité blanche de la population masculine. Un suffrage véritablement universel ne s'est généralisé dans ces pays qu'à la fin du XXe siècle (l'Espagne a rétabli la démocratie dans les années 70 ; les minorités ethniques n'ont eu le droit de vote qu'en 1962 en Australie et en 1965 aux Etats-Unis ; les femmes, dans de nombreux pays, ne l'ont obtenu qu'après la Seconde Guerre mondiale, et même, en Suisse, qu'en 1971). En outre, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, la démocratie, là où elle existait formellement, était d'une médiocre qualité. Le scrutin à vote secret n'a été introduit qu'au début du XXe siècle en France et en Allemagne, et la corruption (achat de suffrages, fraude électorale, corruption des élus) s'est prolongée tard dans le XXe siècle dans la plupart des pays.
Schumpeter et la démocratie
Chez Schumpeter, la démocratie ne vient pas perturber le processus d'évolution qui caractérise le capitalisme. Au contraire, elle le soutient, voire l'encourage. Elle devient un outil qui fabrique et est fabriqué dans le cadre du système capitaliste. Dès lors, le caractère hétérodoxe de la pensée schumpeterienne en matière d'articulation de l'économique et du politique doit être nuancé. Les perturbations ne proviennent pas du politique, de l'Etat ; elles résultent des caractéristiques endogènes du capitalisme. Schumpeter tend vers un économisme envahissant. Sa vision de l'histoire procède d'un évolutionnisme «libéral «, où les innovations et les entrepreneurs sont les rouages les plus importants. Le politique remplit un rôle qui ne peut en faire la première cause du changement social. Il «économicise» le politique tout en le neutralisant. Se méfiant du collectif, de l'Etat, il veut rendre à la concurrence un rôle prédominant, puisqu'il en constate les effets positifs : le fonctionnement du capitalisme engendre une hausse du bien-être, notamment pour les classes populaires. La démocratie ne doit pas et n'influence pas de façon déterminante la dynamique sociale : elle ne fait que l'entériner.
Promotion du développement endogène par la pratique démocratique
«Le développement et plus précisément le développement endogène – comme le souligne Alain Touraine – répond à trois conditions principales : l’abondance et le bon choix des investissements, la diffusion dans toute la société des produits de la croissance, la régulation politique administrative des changements économiques et sociaux au niveau de l’ensemble national ou régional considéré». «En termes plus concrets encore – précise-t-il – la transformation de l’économie de marché en développement suppose un Etat capable d’analyse et de décision, des entrepreneurs et des forces de redistribution». «Or ces trois agents du développement – ajoute-t-il – ont des rapports étroits» avec les trois composantes de la démocratie que représentent la citoyenneté, la représentation des intérêts et la limitation du Pouvoir. Initiant ainsi une modernisation autocentrée, la démocratie est en même temps, comme régime politique fondé sur la défense des droits et des libertés, un facteur de redistribution. Comme système politique autonome chargé de médiatiser la relation entre l’économie de marché et le développement, la démocratie électorale-représentative permet de gérer politiquement les tensions entre l’investissement et la répartition des produits de la croissance. Sa fonction spécifique est, dans ce cas, d’articuler sous le principe du service de l’intérêt général à long terme, ces deux exigences contradictoires, en tenant compte à la fois des besoins de l’économie et des besoins sociaux. Finalement, c’est en tant qu’elle permet à l’Etat d’agir comme agent de développement en limitant son pouvoir par les droits et libertés, que la démocratie électorale-représentative est le facteur absolu du développement endogène. C’est aussi, parce qu’elle réalise l’intégration des acteurs sociaux et économiques du développement en permettant au plus grand nombre de participer aux décisions et d’avoir accès aux crédits publics, que la démocratie est la force motrice du développement endogène.
Le développement endogène ne résulte donc ni de l’accumulation du capital par un Etat dirigiste qui favorise l’allocation des ressources par le marché, ni d’une économie de marché fonctionnant librement sous l’accompagnement politique d’un régime démocratique. Il résulterait plutôt de la détermination du développement par les principes constitutifs de la démocratie électorale représentative. Le développement devient endogène lorsque la conscience des droits, la représentativité des forces politiques et la citoyenneté structurent et dirigent le processus de la modernisation économique et de l’industrialisation. Cette transformation des structures par la rationalisation des systèmes de production devient émancipatrice lorsqu’un système politique, fondé sur la défense des droits et des libertés individuelles et collectives, permet de gérer de manière ouverte les tensions entre l’investissement et la redistribution sous le principe du service de l’intérêt général et de la réalisation du bien commun. Le principe démocratique de citoyenneté permet de construire et de renforcer la société nationale, par la modernisation et l’intégration sociale qui visent à «instaurer une dignité minimale des conditions de vie qui donne une forme sensible et tangible au fait de la concitoyenneté». Le principe de représentation des intérêts s’exprime par la redistribution des produits de la croissance dans le processus de la modernisation économique. Déterminés par le souci d’incarner les droits et les libertés dans les existences individuelles et collectives, l’investissement et l’industrialisation démocratiques sont mis en œuvre pour briser les mécanismes de reproduction sociale et pour substituer l’égalité de condition aux hiérarchies traditionnelles.
La société civile : espace et agent de démocratie et de développement
C’est au moment où le système démocratique occidental s’érige en référence que l’exercice réel de la citoyenneté semble dans ces pays menacé voire étouffé par des agents ou des structures de pouvoir peu contrôlables par la société. Parmi ceux-ci, les agents économiques occupent une place de choix. L’économie paraît «décoller» de la politique et celle-ci paraît «décoller» de la société. Le résultat en est une citoyenneté mutilée. Au milieu du brouillard que l’on rencontre lorsque l’on regarde l’avenir sous l’angle de la démocratie et du développement, une piste est cependant apparue : la société civile, dépositaire non pas d’une confiance excessive, mais pour le moins d’espérances, source d’un certain imaginaire face aux multiples barrières. La société civile est «le domaine de la vie sociale civile organisée qui est volontaire, largement autosuffisant et autonome de l'État». Une élection est un des événements principaux où la société civile se trouve mobilisée, notamment à travers l'éducation de l'électorat. C'est le corps social, par opposition à la classe politique (source Wikipédia). Par rapport à la démocratie, cette notion remplit l’énorme vide qui sépare l’Etat décentralisateur d’une citoyenneté aliénée et atomisée. Par rapport au développement, elle agit comme «troisième acteur «entre la planification démocratique et le marché ségrégateur. La société civile a été vue comme espace et agent de démocratie et de développement, non pas pour éliminer la nécessité des autres agents qu’elle côtoie, mais pour la réorienter en fonction des individus et des collectivités réels. La démocratie précède-t-elle le développement ou le développement constitue-t-il une condition nécessaire de la démocratie ? En fait, la question qui sous-tend le rapport entre développement et démocratie est simple, sinon simpliste : la démocratie est-elle compatible avec le sous-développement et la pauvreté qui en est le corollaire ? Si l’on ne devait s’en tenir qu’à la vulgate néo-libérale en vogue et aux théories de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire, la question du rapport entre démocratie et développement ne devrait plus se poser. Elle ne se poserait plus simplement parce que la réponse serait connue d’avance : il n’y a pas de développement sans démocratie. Le sens de l’Histoire serait donc la course automatique et naturelle vers la démocratie, laquelle porte en elle les germes du développement. La réalité des faits est malheureusement beaucoup plus complexe, pour ne pas dire plus compliquée.
Les pays en développement ont-ils les moyens d’entretenir la démocratie ?
Nous parlons bien d’entretenir et non d’établir la démocratie. Car établir la démocratie est chose relativement aisée, l’entretenir l’est moins. Plus sérieusement, il est bon de savoir que la démocratie moderne coûte cher. Qu’il s’agisse du coût de l’organisation des procédures électorales ou de celui du fonctionnement des institutions que suppose la démocratie. Concrètement, ce qui précède devrait se réduire aux deux questions suivantes : faut-il d’abord développer avant de démocratiser ?ou, faut-il démocratiser avant de développer ? C’est autour de ce double questionnement que vont s’articuler les derniers développements dont les deux axes principaux seront constitués par les réponses à ces questions.
Le développement comme condition de la démocratie
Une partie importante de la doctrine en science politique considère qu’il ne peut y avoir de démocratie sans développement et que, par conséquent, le développement devrait précéder la démocratie. Les tenants de cette affirmation se recrutent essentiellement au sein de l’école développementaliste qui connaîtra son heure de gloire à la fin des années 1950 et dont le postulat peut être ainsi résumé : un système politique ne peut être «développé», c’est-à-dire démocratique, que s’il est fondé sur un minimum de développement économique. Dès lors la priorité doit être accordée à la mobilisation des énergies et des moyens pour assurer le développement économique et social avant de songer à démocratiser. Représentatif de ce courant de pensée, l’Américain S. Huntington estimait qu’une libéralisation politique trop brutale et désordonnée (liberté totale de la presse, instruction généralisée, compétition électorale…) ne pouvait que conduire à des impasses qui allaient très vite révéler une «saturation du système» en aspirations et revendications. Analysant la société comme un système, c’est-à-dire «un ensemble d’éléments liés entre eux et formant un tout organisé», les tenants de cette thèse estiment que le système (dans ses composantes économiques et politico-administratives) ne pouvant manifestement pas satisfaire toutes ces demandes ne peut qu’imploser. Ainsi donc, en croyant paver le chemin du paradis démocratique, on arriverait tout droit à l’enfer du désordre. En situation démocratique, le système sociopolitique, parce qu’il est ouvert, reçoit forcément plus de demandes qu’en situation autoritaire. Or, et c’est bien là le problème, sollicité au-dessus de ses capacités, le système ne pourrait que se bloquer. Dès lors, l’enfer dont nous parlions plus haut se manifeste par ce que, en voulant bien faire et réaliser ce qui peut être considéré comme un progrès (la démocratie), on fera, en fait, le lit de la régression en ce sens que non seulement on ne réalisera pas la démocratie, mais, pis, on compliquera l’entreprise de développement. Si on admet que la démocratie est potentiellement constitutive de demandes et de revendications de toutes sortes (politiques, économiques, sociales, matérielles…), est-il raisonnable de l’introduire dans un système qui n’a pas les moyens d’y répondre ? Dans cette optique, G. Lavau estimant que «la démocratie, c’est le contraire du loto : ce n’est jamais “facile’’, cela peut coûter cher, et il est rare que cela “rapporte gros’’, du moins en seul coup» en arrive à la conclusion que «force est de reconnaître, même si on n’aime guère les raisonnements de S. Huntington, que, dans une société contenant de fortes inégalités sociales, certaines extensions mal équilibrées de la démocratie activiste peuvent provoquer des désordres». Si de tels propos peuvent paraître pessimistes, ils n’en posent pas moins de réels problèmes.
– Comment concilier ces libertés (ou du moins leurs manifestations excessives) avec l’état actuel des économies en développement qui ne peuvent pas, c’est une évidence, supporter des mouvements de grèves trop fréquents ou désordonnés ?
– Comment prendre certaines décisions fondamentalement impopulaires, mais peut-être nécessaires pour l’équilibre général du système ?
– Comment répondre à des demandes légitimes auxquelles on ne peut manifestement apporter aucune solution ?
Ce sont des questions de ce type qui ont conduit un auteur kényan à conclure que ce qu’il fallait aujourd’hui en Afrique ce serait une «démocratie minimaliste» reposant davantage «sur un gouvernement efficace que sur un gouvernement démocratique». M. Mugyenyi reconnaissait d’ailleurs avoir pris le risque de se voir critiqué pour avoir proposé «une dictature qui ne dit pas son nom». On retrouve là la thèse de l’opposition entre «bonne gouvernance «et «pure démocratie» : il vaudrait mieux des gestionnaires intègres et responsables, même autoritaires, que des démocrates démagogues et peu scrupuleux. En illustration à ces thèses, les tenants de ce courant affirment que, sans les régimes autoritaires qu’ils ont eu à connaître les «nouveaux pays industrialisés» (Corée du Sud, Taïwan…) n’auraient pas pu atteindre le stade de développement qui est le leur aujourd’hui.
Enfin, il n’est pas inutile de signaler que la plupart des chefs d’État africains et du monde arabe s’inscrivent volontiers dans ce courant. Et, c’est ce qui a pu faire dire à B. BADIE que «les “derniers développementalistes’’, les plus intransigeants, sont désormais les princes des sociétés en développement». Ainsi donc, «de paradigme de la science politique, le développement est devenu une idéologie du pouvoir».
La démocratie comme préalable au développement
Ce postulat qui apparaît comme une évidence est aujourd’hui celui de la doctrine dominante. Les tenants de ce courant érigent la liberté et partant la démocratie au rang de valeur cardinale dont le sacrifice ne saurait par rien être justifié. Ils arguent, par conséquent que, non seulement l’autoritarisme n’est en rien une condition du développement, mais en plus sans démocratie (entendue comme obligation pour les gouvernants de rendre compte aux gouvernés) il ne peut y avoir de réel développement. C’est donc uniquement dans la liberté que l’homme peut créer et prospérer. La création de richesse, condition d’un véritable développement, n’est guère possible dans un système oppressif. L’homme, pour s’épanouir, a donc besoin de ce qui constitue la «condition humaine naturelle». Résumant cette conception, J. F. Revel déclarait : «D’authentiques démocrates occidentaux disent souvent avec tristesse : "L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie." Sans doute l’est-elle fort peu. Mais elle l’est encore moins pour la dictature». Autrement dit, s’il fallait choisir entre deux maux, le moindre resterait encore la démocratie. De plus, des économistes comme A. Lipietz affirment que la sortie des régimes autoritaires est un préalable absolu au développement économique. À l’appui de cette affirmation, ils démontrent que les pays européens les moins développés sont aussi ceux qui sont plus tardivement sortis de l’autoritarisme.
Conclusion
Les excès du capitalisme sauvage ont remis en cause les idées économiques libérales. Un «nouveau libéralisme» plus social et plus démocratique et surtout moins confiant dans les seules vertus du marché doit voir le jour. S’il est évident que la démocratie n’assure pas par elle-même le développement économique et ne garantit pas ce qui a toujours été vu comme le pilier central de sa solidité, les stratégies de développement doivent par contre être des stratégies de démocratisation parallèlement à l’instauration des mécanismes marchands de régulation économique. Sur le plan historique, la stabilité démocratique occidentale s’est élevée sur le socle d’une longue période de croissance économique, accompagnée de fortes exclusions politiques. Un énorme «péché originel» est donc à la base de son actuelle légitimation. Si l’on pouvait attendre, de nos responsables politiques et de nos élites, un respect effectif de l’esprit de la démocratie électorale-représentative et une mobilisation de ses ressources institutionnelles et de ses valeurs, en vue de servir l’intérêt général et de promouvoir le bien commun du peuple algérien, il ne serait pas déraisonnable d’espérer que le développement endogène puisse devenir une réalité concrète en Algérie où, faut-il le souligner, l’autoritarisme n’a généré nul développement véritable en plus d’un demi-siècle. Cette mobilisation des potentialités émancipatrices de la démocratie pourrait permettre de surmonter l’obstacle rédhibitoire que constitue la dépendance de notre économie tout d’abord pathologique à l’égard du sous-sol, puis technologique vis-à-vis de l’extérieur et enfin structurelle envers l’import.
Mourad Hamdan, consultant en management
Principales références
Christian Chavagneux (diplômé de la London School of Economics, docteur en économie, rédacteur en chef d'Alternatives Economiques et rédacteur en chef de la revue L'Économie politique),
Michel Husson (économiste, membre du conseil scientifique d'Attac),
Jean Coussy (EHESS-Ceri),
Philippe Minard (spécialiste d'histoire économique et sociale de la France et de l'Angleterre au XVIIIe siècle),
Guy Rossatanga-Rignault (professeur de droit et spécialiste de sociologie politique),
Alexis Dieth (docteur en philosophie),
Ha-Joon Chang (spécialisé en économie du développement, il enseigne actuellement l'économie politique du développement à l'université de Cambridge),
Fabrice Dannequin (chercheur au Lab.Rii, université du Littoral, et au Hermes/Lame, université de Reims),
Jean-Paul Maréchal (maître de conférences en science économique à l'université de Rennes II),
Bernard Billaudot (professeur de sciences économiques, LEPII-CNRS-UPMF-Grenoble),
Jean-Pierre Cling (a travaillé à l’INSEE, puis a été conseiller à la direction des relations économiques extérieures (DREE) notamment pour l’Afrique australe. En 2000, il prend la direction de DIAL, centre de recherche en économie du développement),
John Maynard Keynes (fondateur de la macroéconomie keynésienne),
Joseph Stiglitz (professeur à Yale et prix Nobel d’économie),
James K. Galbraith (professeur à la Lyndon B. Johnson School of Public Affairs),
Pierre Jacquet (chef économiste de l'Agence française de développement),
Arnaud Montebourg (ministre du Redressement productif dans le gouvernement Jean-Marc Ayrault).