La Kabylie en feu depuis un mois, les autorités aux abonnés absents
«Bienvenue dans la wilaya de Tizi Ouzou, ceinture de sécurité obligatoire, 43°C.» Cette imposante plaque vous accueille majestueusement à l’entrée de la ville de Tademaït, à 18 km du chef-lieu de wilaya. La couleur est annoncée. C’est la canicule. Il est à peine 14h, la majorité des commerces de la nouvelle-ville ont baissé rideau. Sur le long boulevard Krim Belkacem, le thermomètre affiche 53 degrés. Oui, vous avez bien lu 53 degrés ! La Kabylie brûle. Doucement. Dangereusement. Cette chaleur torride ne nous vient pas d’un réchauffement climatique annoncé, mais des flammes qui dévastent la «planète» Algérie. Le décor est on ne peut plus apocalyptique. Désolant. Révoltant par endroits. Dès l’entame de l’autoroute d’Oued Aïssi, un écran de fumée nous étouffe et réduit la vue. Ici, la climatisation répond à peine. Elle résiste, plutôt. Aucune des 67 communes du Djurdjura n’est épargnée par ces incendies criminels, dont les foyers sont quasiment inaccessibles au vu de la densité des maquis et des reliefs montagneux. Impuissants, les agriculteurs constatent les dégâts. L’image épouvantable ne tarde pas à apparaître. Entre Larbaâ Nath Irathen (ex-Fort National) et Aïn El-Hammam, soit un tronçon de 18 km, aucun mètre carré n’est sauf. L’image fait peur d’autant que les flammes ont frôlé les habitations ; les stocks de cultures ont été sauvés in extremis. «J’ai tout perdu. Il faudra au moins cinquante ans pour voir ces oliviers et ces figuiers renaître de leurs cendres. Mon voisin a perdu plus de cent ruches d’abeilles qu’il entretenait depuis vingt ans. En moins d’une demi-heure, il a vu ses efforts partir en fumée. Les flammes avancent à une vitesse vertigineuse. J’ai vu le mont d’Ichariden transformé en braises en moins de quinze minutes», tempête Saïd, un sexagénaire outré par ce sinistre.
Aucun responsable de l’Etat sur le terrain
Depuis la route Thaourarine (les collines), les villages de Béni Yeni sont invisibles. Les cendres ont envahi le ciel. Ça crame partout. Le pire est que l’eau se fait rare. Certains villages sont alimentés un jour sur deux. D’autres recourent encore aux stocks de guerre. «On dirait que nous sommes encore dans l’indigénat. C’est vrai que nos pompiers se déplacent à chaque fois qu’on les appelle, mais ils n’ont pas de gros moyens pour intervenir en profondeur dans les forêts. Ils travaillent encore avec des camions-citernes pour sauver ce qui peut l’être. Pas plus. Hier, le versant de Mekla et Thakhoukhth a encore pris feu dans des endroits qu’on croyait sauvés. Ce matin, les versants de Larbaâ Nath Irathen, d’Iferhounène et des Ouadhias ont connu des flammes ravageuses. Nous ne comprenons rien. Les forêts de Yakouren et de l’Akfadou jusqu’aux limites de Béjaïa sont également ravagées par ces sinistres. Il y a des incendies partout, comme vous le voyez et aucun responsable de l’Etat n’est là pour rassurer les citoyens», témoigne Omar, quatre-vingts ans. En effet, sur ces routes serpentant dans le Djurdjura, les passants contemplent ces milliers d’hectares détruits chaque minute, chaque heure, chaque jour. Les villages d’Ath-Menguellet ne sont pas ménagés par cette canicule. La température affichera 46°C à Souk El-Djamaâ, relevant de Yatafen. Il est 16h. Les villageois reviennent de Thasewiqth, un rituel consacré aux bambins la veille de l’Aïd pour s’offrir un cadeau.
30 jours non-stop sous les feux de forêt
Au dernier jour du Ramadhan, la Kabylie brûle sous une chaleur ardente qui contredit le calendrier ancestral et qui voudrait que les premières pluies apparaissent au milieu du mois d’août. «Nous avons passé tout l’été comme ça. La nuit, chaque membre de la famille assure la garde pour prévenir en cas d’incendie. C’est fatiguant. L’Etat devrait faire mieux. Les moyens héliportés sont absents. L’année passée, des jeunes ont été carbonisés par les flammes en voulant sauver des familles. Cette année, nous avons évité le pire, certes, mais nous vivons dans un enfer à ciel ouvert», dira encore Hocine, un jeune commerçant qui s’attèle à quitter la Kabylie pour travailler ailleurs. Et d’ajouter : «Chaque année, c’est comme ça. Alors, je tente ma chance ailleurs. Je ne reviendrai jamais ! Ils n’ont jamais condamné quelqu’un pour ces crimes. Il n’y a jamais eu d’enquête sur ces incendies.» Il est 18h30. Nous quittons le versant sud du Djurdjura. Le soleil décline, jauni par ces flammes et ces cendres qui ont effacé du décor ces sites panoramiques pour laisser place à l’enfer. Pendant trente jours, les incendies ont meublé les discussions. Partout. Dans les marchés, les médias, les cafés et les fêtes. Trente jours non-stop, sans que de gros moyens n’aient été déployés afin de sauver cet écosystème en voie de destruction.
Yanis B.
Comment (9)