Khalifa Airways : victime collatérale de la guerre économique entre Airbus et Boeing ? (VIII)
La compagnie aérienne Khalifa Airways éblouit les Algériens, mais l’éclat est trompeur. Désormais, il devenait loisible de prendre les airs pour traverser d’une ville à une autre en un rien de temps. Les avions frappés à l’aigle bleu cassaient avec le rouge et blanc dominant d’Air Algérie, la compagnie nationale dont Khalifa Laroussi fut le tout premier directeur général. Lorsque la crise sécuritaire était à son apogée, les compagnies aériennes étrangères boudaient les aéroports algériens après le détournement de l’Airbus A320 d’Air France en 1994. Air Algérie prit sur elle de briser l’isolement imposé au pays, depuis. Ses aéronefs vieillissaient à vue d’œil mais cela ne l’empêcha pas de continuer à transporter les voyageurs algériens et les quelques étrangers qui osaient encore fouler le sol algérien. Pour des raisons éminemment politiques, le plus gros de ses vols était orienté vers les capitales étrangères, une façon pour les autorités algériennes, embourbées dans une lutte antiterroriste sans merci, de marquer la présence algérienne hors de ses frontières. En quelque sorte, Air Algérie jouait un rôle diplomatique.
Le marasme qui frappe le transport aérien n'épargne aucune compagnie mondiale, pas même les puissantes compagnies américaines prises dans le tourbillon d’une crise qui sera aggravée, plus tard, par les attentats du 11 septembre. British Airways annonce des comptes déficitaires avec une chute de plus de 97% de son bénéfice au dernier trimestre 2001 dont 40 millions de livres dans la semaine qui a suivi les attentats. 6 000 à 8 000 des 9 000 salariés sont menacés de licenciement économique. La Sabena est la première compagnie nationale de l'Union européenne à disparaître. Les autres ne se portent guère mieux. Le 17 novembre 1997, le conseil d'administration de la compagnie nationale belge prenait la décision la plus ambitieuse de l'histoire de la société en décidant d'acquérir 34 Airbus moyen-courrier de la famille A320 et d'amplifier le développement de la flotte long-courrier. Au total, les engagements pris ce jour-là représentaient 1,5 milliard d'euros, soit près de dix fois les fonds propres. Mais quatre ans plus tard, la plus ancienne compagnie aérienne européenne après la KLM est mise en faillite.
Khalifa a-t-il été pris dans le tumulte du trou d’air qui a entraîné une perte d’altitude pour Airbus et Boeing dans ce contexte économique morose ? Il se pourrait bien. C’est que la bataille qui met aux prises les deux géants mondiaux de l’aéronautique pèse lourd dans les relations entre Américains et Européens. Non seulement les Etats-Unis et l'Europe s'accusent mutuellement – et ouvertement – de subventions indues à leur constructeur respectif, mais la concurrence est telle que tous les coups sont permis. Grâce à un accord passé en 1992, chacun fermait les yeux sur les subventions directes ou indirectes reçues par l'autre, jusqu’au jour où le constructeur européen a imposé sa suprématie dans les carnets de commandes. Et la guerre a repris de plus belle, chacun accusant l'autre d’abuser des dégrèvements fiscaux et des soutiens aux exportations. La bataille commerciale a même pris une coloration diplomatique et s'est renforcée avec la campagne présidentielle aux Etats-Unis. La France se serait, alors, sentie trahie à la vue de son protégé signer un gros contrat avec Boeing et se prendre en photo à la Maison Blanche, serrant la main à George W. Bush.
Une hypothèse qui tenait la route lorsqu’on sait qu’Airbus peinait à décoller dans des pays comme le Japon, gros «consommateur» d’aéronefs. En effet, le premier avionneur mondial Airbus a décidé de renforcer sa filiale au Japon pour casser le monopole de Boeing. L’absence de concurrence au pays du Soleil levant fait que Boeing détient un monopole absolu. Ce qui a fait dire à un haut responsable d’Airbus : «Nous partons de 0% des commandes, cela peut difficilement être pire.» Perdre un client comme Khalifa dans ces circonstances, même si la compagnie privée algérienne est loin de peser aussi lourd que les compagnies nippones, peut tout de même saper le moral. D’ailleurs, Airbus échouera à quatre gros appels d’offres successifs, pour un total de près de 200 appareils, émanant des deux principales compagnies japonaises, Japan Airlines (Jal) et All Nippon Airways (Ana), entre juin 2003 et février 2005.
Début mars 2005, le président Bouteflika reçoit le ministre des Transports dans son bureau. L’entrevue est courte et l’ordre du jour précis : plus de compagnies aériennes privées avant cinq ans et des vols-taxi avec des modules de 50 places au maximum pour les compagnies en activité. Comprendre Aigle Azur, Star avion et Air Express. Arezki Idjerouidène, PDG d’Aigle Azur, qui ambitionne d’assurer des dessertes intérieures, avoue que l’Etat algérien a été échaudé par l’Affaire Khalifa et qu’il ne comptait pas trop sur un éventuel encouragement de sa part.
M. Aït Amara
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