Lettre ouverte aux intellectuels algériens

L’Algérie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Alors, il est très urgent, me semble-t-il, que tout ce que le pays recèle de cadres et d’intellectuels de tous bords s’implique, d’une manière franche et directe, dans le débat politique. Il est admis qu’actuellement, contrairement aux années qui ont suivi l’indépendance du pays, l’Algérie dispose d’énormes potentialités humaines de grande valeur morale et intellectuelle, non seulement en intra-muros, mais aussi éparpillés aux quatre coins du globe. C’est à cette catégorie d’Algériens que je m’adresse, ici, dans cette lettre ouverte, dictée par ma seule conscience d’Algérien jaloux et inquiet en même temps du devenir de son pays. Personne n’ignore qu’un verset coranique stipule ce qui suit : «Dieu ne changera rien dans la situation des hommes s’ils ne changent pas ce qui est en eux» (Coran, Ar Ra’ad, Le tonnerre, sourate XIII-verset 11).
Partant de ce principe si simple dans son application, il m’a semblé très utile de m’adresser, par le biais de cette lettre ouverte, à vous, mes chers compatriotes, car je sais pertinemment, qu’ensemble, par nos interventions publiques à travers les médias nationaux et pourquoi pas aussi ( ?) étrangers, nous arriverons facilement à renverser la vapeur et à détourner le cours de l’Histoire de l’Algérie qui s’oriente tout doucement mais inexorablement vers une catastrophe. Jugez-en.
L’Algérie a plus de cinquante ans d’indépendance. Ce n’est peut-être rien à l’échelle de l’Histoire. Mais, faut-il le reconnaître, c’est l’âge adulte pour un peuple qui a eu à mener l’une des plus grandes et des plus glorieuses guerres du siècle passé. C’est même beaucoup pour un peuple qui aspirait, dès l’indépendance acquise, à construire un Etat-nation avec des valeurs démocratiques héritées de son combat libérateur, valeurs démocratiques écrites noir sur blanc par des hommes lucides et intègres de ce pays lors du Congrès de la Soummam. Avec le temps, force est d’admettre que ces valeurs se sont délitées à tel point qu’aujourd’hui, le parti, sous la bannière duquel les Algériens de l’ancienne génération s’étaient regroupés pour mettre dehors l’ancienne puissance coloniale, en vient à porter sévèrement atteinte à l’un des piliers de notre défense nationale, le DRS. Mais, le problème ne s’arrête pas là. Il est vrai que cette sortie médiatique du SG du parti auquel on fait allusion ici a été sévèrement réprimée par des hommes et des femmes qui restent, malgré tout, attachés aux valeurs de Novembre. Cette déclaration inopportune et provocatrice a fait couler beaucoup de salive et beaucoup d’encre. La presse dans sa globalité, publique et privée, en a fait état régulièrement et pendant plusieurs jours de suite. Elle a même fait réagir, au dernier moment peut-être, un peu tardivement selon certains, le premier magistrat du pays, Abdelaziz Bouteflika, par le biais d’un communiqué lu à la télévision nationale. Et comment pourrait-il en être autrement ? L’on sait très bien que l’homme est malade… et bien malade, incapable même de prononcer le moindre mot du fait des séquelles cognitives liées à son AVC du 27 avril de l’année 2013. Et pourtant, et c’est là que le bât blesse, il se trouve que certains partis politiques, pour des raisons d’intérêts personnels propres à leurs chefs (qui font partie du gouvernement actuel), essayent par tous les moyens illégaux de nous convaincre ou plutôt de convaincre certains Algériens naïfs, et probablement sans culture politique, qu’en dehors de Fakhamatouhou, il n’y a point d’hommes en Algérie capables de relever le défi et par conséquent point de salut pour l’Algérie. Cela est grave.
De ce fait, il me semble qu’il est du devoir des intellectuels algériens, qui sont pour un changement politique pacifique en Algérie, d’apporter la contradiction à ces laudateurs, à ces thuriféraires, en expliquant de façon calme et posée qu’en démocratie, la règle principale est l’alternance au pouvoir, qu’il est temps que l’ancienne génération, qu’on n’a, du reste, jamais cessé de remercier pour sa participation à la lutte d’indépendance nationale, est arrivée aujourd’hui à ses limites tant politiques que physiques et biologiques, et qu’elle doit passer le flambeau à la nouvelle génération. Le président actuel lui-même l’avait reconnu, lors de son fameux discours du 8 mai 2012, à Sétif, en disant, texto, en dialecte algérien, «ma génération tab djenanha». Quand un président en arrive à tenir, publiquement, un tel langage, cela veut tout dire. Et cela, bien avant qu’il ne tombe gravement malade. Sa maladie, son handicap physique, sa disparition de la scène politique, hormis quelques séquences vidéo montées avec bricolage et amateurisme et qui, malgré tout, montrent un homme au regard hagard, figé dans la position décrite dans les livres de médecine de «le malade fuit sa paralysie et regarde sa lésion», ne sont pas faits pour arranger les choses. Toujours est-il qu’à cette occasion nous lui réitérons notre vœu sincère de le voir complètement rétabli et nous lui souhaitons longue vie au milieu de ses proches et de sa famille. Mais accepter que le pays soit gouverné pour les prochaines cinq années par un tel homme est un non-sens, je dirai même une insulte à ce peuple qui a vaincu le colonialisme français et le terrorisme islamiste. Beaucoup d’Algériens sérieux et sincères, qu’ils soient au fait de la chose politique ou simple profanes, réclament, aujourd’hui, l’instauration de la 2e République. Que cela soit. Que la 2e République naisse en ce 17 avril 2014 sans forceps et sans césarienne. Sans souffrance et sans effusion de sang.
Abdelaziz Ghedia, membre fondateur de Jil jadid
 

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