Comment Bouteflika implique directement l’armée dans la présidentielle à travers Gaïd-Salah
Le premier réflexe que Bouteflika a eu, lorsqu’il a été terrassé par son accident vasculaire cérébral grave et évacué en urgence à l’hôpital du Val-de-Grâce, en France, fut de se montrer aux côtés du l’imposant chef d’état-major de l’ANP. Le message était clair pour les initiés : le Président, amoindri, a voulu signifier aux décideurs que l’armée était de son côté, sous ses ordres, et qu’il était prêt à la faire réagir au cas où «certains» essayaient de l’écarter du pouvoir. Dès son retour au pays, Bouteflika fit de ses rencontres «bilatérales» avec le chef d’état-major, devenu vice-ministre de la Défense tout en gardant la haute main sur les troupes – créant ainsi une fusion entre la fonction de commandement des forces armées et celle, politique, de membre de l'Exécutif –, un épouvantail contre les responsables politiques et militaires qui envisageaient sérieusement le recours à l’article 88 de la Constitution suite à son incapacité à diriger le pays, dans son état. Ayant planifié le quatrième mandat depuis son accession au pouvoir en 1999, le président-monarque n’a négligé aucun détail, jusqu’à l’éventualité d’un empêchement quelconque qui eût pu freiner son objectif de se maintenir au pouvoir ad vitam ad aeternam. Rattrapé par ses efforts physiques herculéens – malgré sa nature frêle – consentis durant plus de dix ans, qui lui ont causé une maladie irréversible, et contraint de se cantonner dans sa résidence présidentielle de Zéralda, Bouteflika a dû actionner ses leviers de loin, mettant ainsi en œuvre son plan B. Décidé à rempiler pour un quatrième mandat, en dépit du bon sens, le président sortant s’est appuyé sur son congénère, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd-Salah, pour compenser son incapacité physique. Ce dernier, fidèle parmi les fidèles, s’est entièrement dévoué à la cause du clan présidentiel, au point de mettre en avant – bien que subrepticement – sa rivalité avec le patron des services secrets, par «agitateurs» politiques interposés, arrangeant ainsi, à bien des égards, le président-candidat très remonté contre le DRS pour avoir «osé» instruire les dossiers de corruption et de détournement de fonds, impliquant l’ancien ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, l’ancien ministre des Travaux publics muté aux Transports, Amar Ghoul, et le secrétaire général du FLN, Amar Saïdani, entre autres. Cette implication de l’armée dans le pavage du terrain à la réélection de Bouteflika pour un quatrième mandat – ce n’aurait pas été le dernier si son âge et sa santé le lui permettaient –, la présidente du PT l’a bien assimilée. Sa récente rencontre avec le vice-ministre de la Défense entrait dans ce cadre, mais Louisa Hanoune serait sortie de son entrevue avec Ahmed Gaïd-Salah complètement retournée, abasourdie par les propos désordonnés que lui aurait tenus son interlocuteur, trop en deçà du niveau requis par la fonction névralgique qu’il occupe par la grâce des calculs politiciens du chef de l’Etat. Mais cette implication de l’armée ne signifie pas que le vote des militaires serait orienté. Les officiers supérieurs de l’ANP ne connaissent que trop bien l’état d’esprit des soldats, jaloux de leur liberté de pensée, malgré leur discipline sans faille au service de l’institution. L’enjeu se situe ailleurs. Hors des casernes.
M. Aït Amara