Mezri Haddad à Algeriepatriotique : «La Tunisie ne doit pas espérer grand-chose du Maroc»
Algeriepatriotique : En tant qu’ancien ambassadeur, quelle lecture faites-vous de la visite du roi du Maroc en Tunisie à l’invitation du président Moncef Marzouki, qui fut votre meilleur ami ?
Mezri Haddad : C’est d’abord un monarque qui rend visite à l’un de ses sujets devenu, par un caprice de l’Histoire, président d’une République non pas bananière mais jasminière. Puisque nul ne le connaît plus que moi, sachez que, comme son père, sa mère, ses frères et sœurs, Moncef Marzouki est un sujet de «Sa Majesté», puisqu’il porte la nationalité de ce royaume. Du temps de son «combat» mythique pour les droits de l’Homme, il a toujours épargné Hassan II, dont on connaît la ferveur démocratique et l’attachement aux droits de l’Homme ! Ces cibles préférées ont toujours été Ben Ali, Saddam Hussein, Al-Assad, Moubarak, Kadhafi, Zeroual et Bouteflika. Celui qui s’est fait longtemps passer pour un prophète des droits de l’Homme, cultive une admiration bien républicaine pour les rois comme ceux du Maroc, et même pour les roitelets, notamment Hamad Ben Khalifa, dont il a été un vulgaire mercenaire. Depuis la «révolution» dite du jasmin qui a «libéré» la Tunisie de son indépendance, le satrape du Qatar, qui a joué un rôle majeur dans la déstabilisation de la Tunisie et la destruction de la Libye, s’est rendu en Tunisie à quatre reprises pour dicter à la troïka sa feuille de route. Depuis le limogeage du satrape et de son Premier ministre Hamad Ben Jassim, Marzouki s’est trouvé un nouveau parrain en la personne de Mohammed VI. J’espère que sa visite se passera bien, car le Marzouki est un cancre politique et un être imprévisible et versatile.
Certains médias ont écrit que cette visite était «un coup de pouce à Marzouki qui est en perte de vitesse dans son pays». Qu’en pensez-vous ?
Ce n’est pas faux, mais un autre journal, marocain cette fois-ci, a écrit que cette visite était une réaction au futur «axe politico-militaire Alger-Le Caire», et que «si Marzouki joue la carte du Maroc, c’est surtout pour éviter que son pays tombe dans le giron algérien». Pour le coup de pouce, laissez-moi vous dire que, quoi que fassent les monarques de «légitimité» chérifienne, Marzouki n’en a plus pour longtemps au Palais de Carthage qu’il occupe par usurpation et effraction et que, très bientôt, il ne sera plus qu’un mauvais souvenir pour les Tunisiens qui ont pu découvrir sa médiocrité politique autant que ses turpitudes morales. Son parti, le CPR, n’est plus qu’une coquille vide et ses conseillers désertent Carthage pour ne pas avoir à supporter plus tard la vindicte du peuple, si ce n’est le verdict de la Justice. Le roi du Maroc devrait lui offrir un clone d’André Azoulay parce qu’il en a bien besoin. Pour ce qui est maintenant des arrière-pensées géopolitiques de cette visite, indéniablement, Marzouki et son tutélaire Rached Ghannouchi, redoutent un axe Le Caire-Tripoli-Alger, c’est-à-dire une alliance stratégique entre Abdelfattah Al-Sissi, Khalifa Haftar et Abdelaziz Bouteflika, qui sont tous les trois déterminés à éradiquer le fléau islamo-terroriste et à marginaliser les régimes printologues qui l’ont boosté et soutenu. Il ne faut jamais oublier qu’après avoir tenté, en vain, de déstabiliser l’Algérie au moment de l’hystérie pseudo-révolutionnaire, la Tunisie, le Qatar, la Libye, la Turquie et l’Egypte sous Morsi, ont mis toute leur énergie pour anéantir la Syrie. Il faut rappeler qu’en Tunisie, qui subit aujourd’hui un terrorisme qui n’est qu’à ses débuts, c’est Moncef Marzouki et Rached Ghannouchi, sous les instructions du satrape qatari et de certains «démocrates» occidentaux, qui ont reçu à Tunis les mercenaires islamo-atlantistes syriens et qui ont expédié par centaines et par milliers des djihadistes en terre syrienne. Nous étions alors en pleine imposture du «printemps arabe», c’est-à-dire en accélération vertigineuse du Grand Moyen-Orient, c’est-à-dire encore en réalisation de l’«axe vert sunnite», selon la terminologie des stratèges anglo-américains, qui devait s’étendre de Damas à Rabat, en passant par Ankara, Beyrouth, Le Caire, tripoli, Tunis et Alger.
En quoi cet «axe vert sunnite» était-il si important pour les Occidentaux et comment expliquez-vous, alors, ce paradoxe marocain : faire partie de cet axe, c’est-à-dire des victimes potentielles du printemps arabe, et être à la fois un allié stratégique de l’Occident ?
Dans les études prospectives et géopolitiques anglo-américaines et, plus exactement, néoconservatrices, l’axe vert sunnite ou néo-ottoman, devait servir de contrepoids et même d’antagonisme militaire à l’axe vert chiite : Téhéran, Bagdad, le Hezbollah… Entre l’islamisme réactionnaire et atlantiste des Frères musulmans et l’islamisme révolutionnaire et anti-impérialiste des khomeynistes, le choix est vite fait pour les gardiens de la conscience universelle et les architectes du «printemps arabe». Ce n’est pas du tout un hasard si ce «printemps» a touché exclusivement les républiques autoritaires et épargné les monarchies totalitaires. Le cas du Maroc, qui n’est pas totalitaire, est atypique, puisqu’on lui a confectionné un «printemps arabe» soft et à la mesure de son altesse royale : un monarque qui conserve les principaux leviers du pouvoir miliaire, sécuritaire et économique, en confiant l’intendance à un gouvernement islamiste «élu» par le peuple.
C’est donc en raison de l’échec du projet de Grand Moyen-Orient que l’on prête aujourd’hui à l’Algérie, à l’Egypte et éventuellement à la Libye la constitution d’une alliance stratégique contre le terrorisme ?
Ces trois pays n’ont pas besoin de considérations conjoncturelles pour combattre l’islamo-terrorisme, puisque ce combat est à la fois vital et global, même si certaines puissances occidentales l’ont exploité et, dans une certaine mesure, l’utilisent encore notamment en Syrie, pour faire plier les Etats-nations et faire main basse sur leurs réserves énergétiques, comme c’est le cas en Irak et en Libye. D’où la nécessité impérieuse d’un axe Alger-Le Caire et, je l’espère demain, Tripoli, Damas, Beyrouth et même Moscou, pour faire face aux menées subversives de l’islamo-fascisme et aux appétits boulimiques de l’impérialisme. Je tiens à le dire très clairement : nous vivons depuis le début du «printemps arabe» en Tunisie une offensive néocoloniale contre tous les pays arabes, y compris ceux qui se croient à l’abri des conspirations islamo-atlantistes, à l’instar du Maroc ou de l’Arabie Saoudite. Comme autrefois, les Etats et les peuples arabes doivent s’unir contre cette nouvelle croisade qui vise autant les Etats en tant qu’entités politiques que l’islam en tant que religion.
Avec ce qui s’est passé en Egypte (élection du maréchal Al-Sissi) et en Libye (offensive du général Haftar), il semble pourtant que le reflux des Frères musulmans est engagé et que même les Américains n’y seraient pas défavorables…
Sans doute. Et certains disent même que le déplacement du roi du Maroc en Tunisie s’inscrirait dans cette nouvelle volonté américaine d’isoler les Frères musulmans et que le roi d’Arabie Saoudite a tout fait pour convaincre Mohammed VI d’aller dans ce sens, en effectuant cette visite officielle en Tunisie. Méfions-nous des ratiocinations politiques et des projections conjecturelles qui brouillent les cartes, voilent les véritables analyses géopolitiques et déroutent les opinions publiques. Même si en Egypte et en Libye les Américains semblent faire preuve de pragmatisme, les Frères musulmans restent pour eux et pour les Britanniques des alliés stratégiques. C’est ainsi depuis 1928, si ce n’est avant, avec la création sur une base confessionnelle de l’Arabie Saoudite et du Pakistan. J’attends de voir un changement dans l’attitude belliqueuse américaine et d’ailleurs saoudienne en Syrie, pour pouvoir constater une mutation de la géopolitique américaine et occidentale en général.
Pour revenir à la visite du roi du Maroc en Tunisie, la presse marocaine et tunisienne parlent d’une importante délégation d’hommes d’affaires pour «renforcer la coopération économique» entre les deux pays…
Pas plus que l’oligarchie islamo-mafieuse du Qatar, la Tunisie ne doit pas espérer grand-chose du Maroc qui est, certes, un pays ami, mais qui a toujours été un concurrent direct et coriace de la Tunisie, que ce soit en matière de tourisme, de textile, d’agrumes, de phosphate ou dans l’attraction des entreprises européennes. Sans offenser mes amis marocains qui ont raison de défendre les intérêts de leur pays, le Maroc a été le premier bénéficiaire de la déstabilisation de la Tunisie en janvier 2011. Nos millions de touristes fidélisés après quarante ans d’investissement et de dur labeur ont changé de destination, vers le Maroc. Sur les 1 200 petites, moyennes et grandes entreprises françaises installées en Tunisie, il ne reste plus qu’à peine 400. Sur les 800 qui sont parties, 530 ont délocalisé au Maroc. Ce n’est pas aux Marocains que j’en veux, qui, je le répète ont raison d’aimer leur patrie et de défendre ses intérêts, mais à mes propres compatriotes qui ont ruiné leur propre pays, en substituant à la ferveur patriotique la stupidité pseudo-révolutionnaire, voire, pour certains, la trahison. Si son altesse royale veut vraiment aider un pays sinistré et en faillite économique, il devrait peut-être commencer par persuader les chefs d’entreprises et hommes d’affaires français et allemands qui ont fui l’anarchie et les grèves répétitives, de revenir en Tunisie. Les Tunisiens savent maintenant qui sont leurs amis, comme l’actuel Premier ministre Mehdi Jomaa sait combien l’Algérie a été généreuse et authentique dans le soutien financier qu’elle a récemment apporté à son gouvernement provisoire. Sans le bouclier sécuritaire algérien, la Tunisie serait aujourd’hui sous la barbarie d’Aqmi, d’Ansar Al-Charia et d’Al-Qaïda. Les Tunisiens, qui se sont fait avoir en janvier 2011, savent désormais qu’ils ne peuvent compter ni sur les Etats-Unis ni sur l’Europe pour combattre l’islamo-terrorisme et sauver ce qui reste de leur économie, mais uniquement sur eux-mêmes et sur leurs frères algériens, auxquels les lient l’Histoire, l’avenir, la géographie et le sang versé à l’époque de la guerre d’Indépendance.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi