Visite d’Ernest Moniz : la France et les Etats-Unis se disputent le gaz de schiste algérien
L’avalanche de commentaires, émanant aussi bien d’experts que de profanes, sur la décision du Conseil des ministres de donner son feu vert à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie a, visiblement, masqué l’information, pourtant de première importance, sur ce qu’a dit le secrétaire américain à l'Energie, Ernest Moniz, en visite à Alger, après son entrevue avec le président Bouteflika. «Je lui ai parlé en particulier de la production de gaz de schiste et du pétrole de schiste et les précautions que nous prenons en ce qui concerne la protection de l'environnement pendant la phase de production.» Ernest Moniz confirme sa fixation sur le gaz de schiste algérien après avoir rencontré le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi. Il déclare : «Nos compagnies sont intéressées par le marché algérien parce qu'elles ont une grande expérience en matière (d'exploitation) de gaz et de pétrole de schiste qui nous a permis d'assurer un boom économique et une indépendance énergétique.» Le secrétaire américain à l'Energie n’a pas attendu longtemps pour demander sa part de contrats : «J'espère que l'expertise acquise (par les sociétés américaines) durant ces dernières années sera également utilisée en Algérie.» Est-ce par cynisme ou mépris pour les Algériens que parmi les arguments avancés par Ernest Moniz, il y a l’expertise américaine dans l’off-shore : «Il ne faut pas négliger non plus le secteur off-shore en eau profonde (…). Beaucoup de sociétés activent dans ce domaine notamment dans le golfe du Mexique et leur expérience peut servir en Algérie où la profondeur de l'eau est à peu près similaire.» Il est vrai que les Etats-Unis ne sont pas à une catastrophe écologique près. La dernière en date, avril 2010, a été très médiatisée et n’en finit pas à ce jour de produire ses effets : l’explosion qui a détruit la plateforme pétrolière Deepwater Horizon de British Petroleum (BP) a entraîné la mort de 11 personnes, le naufrage de la plateforme et provoqué une marée noire de très grande ampleur dans le golfe du Mexique, le site pris comme référence par le secrétaire d'Etat américain à l'Energie. La recherche effrénée de pétrole a amené les Américains à autoriser BP à effectuer des forages en haute mer, parce que les réserves les plus proches des côtes avaient été épuisées. Les techniques de forage utilisées étaient supposées «sans risque». Le grain de sable dans cette machinerie bien huilée a été une pièce défectueuse et ce fut l’accident qui a mené à des dégâts irréparables. Ce que nous propose le secrétaire d'Etat américain à l'Energie, c’est tout simplement de refaire cette expérience sur le beau littoral d’Annaba ou celui féérique de Béjaïa. Et, en face, personne pour lui rappeler poliment ces vérités. Au contraire, il est cru sur parole. Youcef Yousfi ne perd pas son temps à chercher des arguments pour convaincre les anti-gaz de schiste : «Avec la partie américaine, nous avons discuté des risques générés par l'exploitation des gaz et pétrole de schiste sur l'eau et des précautions à prendre dans le processus de production (…). Il s'avère que l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels n'est pas plus polluante que les autres ressources.» Il pense clore un débat qui n’a pas eu lieu. Dans quelques jours, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, sera à Alger. C’est le gaz de schiste qui semble le faire courir lui aussi, attiré par l’appât du fameux feu vert donné par le Conseil des ministres. Quels arguments aura-t-il pour convaincre les Algériens d’accepter que les sociétés françaises effectuent des expérimentations pour trouver une alternative à la technique américaine de la fracturation hydraulique ? La rivalité franco-américaine autour de l’Algérie devient, de ce point de vue, passionnante. Pour le moment, les Algériens sont préoccupés par les deux cas de coronavirus, détectés par les services sanitaires, dans notre pays.
Kamel Moulfi