Révision constitutionnelle : entre méthode machiavélique du pouvoir et réelle méthode démocratique
Depuis l’avènement de l’indépendance territoriale (celle du peuple reste à réaliser), il nous est sorti un thème appelé juridique, politique et administratif non pas pour le devenir de l’Algérie, mais pour justifier la main mise sur cette dernière par des prédateurs. A chaque fois, il est fait appel à un texte de loi qu’ils appellent «Constitution ou Loi fondamentale». Par son nombre, nous avons battu le record mondial. Face à leurs échecs, à demi reconnus sournoisement et suite à une prétendue élection pour un autre mandat de trop à la magistrature suprême découlant du putsch constitutionnel de 2008, le pouvoir récidive dans ses démarches machiavéliques en utilisant une kyrielle de slogans populistes dont il a la maîtrise. Cette fois-ci, il nous est sorti celui de consensus pour une énième révision constitutionnelle, les contours ont été préparés par les tenants du pouvoir réel. Est-ce un leurre de plus ? Or, le thème révision constitutionnelle «consensuelle» utilisé n’a pas de sens juridique donné, car cela suppose des arrière-pensées politiques qui veulent dire qu’il n’y a pas d’unité du détenteur de la souveraineté et qu’il y a un pacte entre plusieurs détenteurs. Ce qui sous-entend que l’Algérie est dans une situation où son peuple et son Etat sont dans un processus de décomposition face à des seigneurs de guerre qui imposent leur diktat et ce n’est pas ce qui est le cas chez nous où l’unité nationale prime avant tout, malgré les contraintes imposées injustement par le pouvoir. Aussi, il faut oublier ce thème, car si nous partons du principe que le pouvoir constituant en Algérie c’est le peuple, il y a donc un seul détenteur du pouvoir matérialisé par ce qu’on appelle la Constitution qui représente les normes politiques juridiques et sociales qui s’imposent aux gouvernants et aux gouvernés. Une Constitution, outil cardinal dans la vie d’une nation, suppose au préalable un compromis politique des acteurs sociaux. Ils doivent s’entendre sur un minimum démocratique et républicain, dégager un consensus sur le contenu de la loi-cadre qui sera tranché par le détenteur de la souveraineté nationale, c'est-à-dire le peuple. Là-dessus, il ne peut y avoir de tergiversation, puisque c’est l’émanation d’un pacte de tous les acteurs avalisés par le seul souverain : le peuple.
Une révision constitutionnelle n’est pas un acte administratif consistant à étaler sur le papier une série de textes d’articles de loi, sans portée pratique, révisables ou amendables au gré des tenants des pouvoirs réels qui se sont succédé depuis 1963, mais une œuvre réfléchie traduisant les réalités acceptables du pays. Elle n’a de sens en l’absence d’un substrat civilisationnel, d’une politique constitutionnelle, que si elle accompagne tout l’ensemble du contenu de la Loi fondamentale. C’est au préalable un ensemble de pratiques qui signifient qu’il y a une volonté :
– d’instituer une véritable gouvernance et de réelles consultations citoyennes, propres, pluralistes et disputées honnêtement dans la transparence,
– d’apaiser le climat politique et social,
– de restituer la religion à son caractère universel,
– de redonner au Parlement son pouvoir législatif, la réelle possibilité de contrôle des politiques du pays et du gouvernement,
– d’affirmation de l’identité algérienne composée d’arabité et d’amazighité qui n’est pas née du néant ou venue d’ailleurs, ne s’est pas recroquevillée sur elle-même, et qui s’intègre dans l’universalité, la modernité et rejette les archaïsmes,
– de donner de la considération aux partis politiques,
– de rendre le climat plus vivable en y instaurant le calme,
– d’officialisation de tamazight, au même titre que l’arabe ; un fait naturel et irréfutable du patrimoine original et immémorial pour le devenir de l’Algérie, il ne doit souffrir d’aucune contestation, ni d’omission, car cette langue n’est pas née ou venue d’ailleurs à l’exemple des autres qui se sont enfermées sur elles-mêmes : ignorer cela, c’est bafouer le droit et cautionner les périls que cela génère,
– de rendre effective la séparation des pouvoirs politiques, législatifs et judiciaires, exécutifs et religieux,
– de rendre effective l’application de la déclaration universelle sur les droits de l’Homme ainsi que les actes, chartes et conventions internationaux et africains,
– de mettre en pratique et promouvoir l’égalité citoyenne sans distinction de sexe, religion, langue, sociale, économique, identitaire, régionale, de culte, de conscience et de croyance ou non, d’organisation et manifestations pacifiques,
– de mettre fin aux tracasseries administratives et au système bureaucratique, à la concentration des pouvoirs, à l’achat de la paix sociale à des fins politiques, aux diverses influences,
– de rendre la liberté d’action effective aux partis politiques et aux associations citoyennes ne rejetant pas la libre pensée, la croyance ou non de l’autre (c’est ce qui s’appelle vivre ensemble dans la cité, dans la différence et l’acceptation de l’autre),
– de rendre la cité plus vivable en y instaurant le calme.
Ce n’est qu’ainsi qu’il peut y avoir révision constitutionnelle efficiente. Agir autrement n’est que turpitude, autisme, cécité et fuite en avant nuisibles pour le pays assis sur un volcan en voie d’éruption à tout moment.
Madjid Aït Mohamed, membre fondateur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme, ancien membre du MCB (1980)