Un ex-soldat israélien à Algeriepatriotique : «Les juifs doivent dénoncer ce qu’Israël fait en leur nom»
Algeriepatriotique : Vous rentrez de la frontière avec Ghaza où vous avez discuté avec des soldats israéliens. Que pensent-ils de cette guerre asymétrique ? Un soldat est formé pour affronter un autre soldat. Or, à Ghaza, ce sont des enfants qui sont tués chaque jour. Les soldats israéliens sont-ils conscients qu’ils sont en train de commettre des crimes de guerre ?
Algeriepatriotique : Vous rentrez de la frontière avec Ghaza où vous avez discuté avec des soldats israéliens. Que pensent-ils de cette guerre asymétrique ? Un soldat est formé pour affronter un autre soldat. Or, à Ghaza, ce sont des enfants qui sont tués chaque jour. Les soldats israéliens sont-ils conscients qu’ils sont en train de commettre des crimes de guerre ?
Eran Efrati : Les soldats israéliens ne croient généralement pas que la guerre est asymétrique. Parce que l’Etat et les médias leur ont inculqué la peur, comme pour la plupart des Israéliens et ce, tout au long de leur vie. Quand un soldat entre dans la bande de Ghaza pour se battre dans une «guerre», en réalité, il se bat contre son passé, présent et futur. Depuis notre enfance, tout au long de notre parcours scolaire, notre récit historique national, les parents et les amis nous disent que nous sommes peu contre beaucoup et que nous, les juifs, sommes toujours persécutés. Et tout ce processus d’endoctrinement était juste pour nous contraindre à intégrer l’armée israélienne. Lorsque les soldats s’enrôlent dans l’armée, ils subissent sept mois de formation de base, durant laquelle ils sont préparés à toutes les guerres contre les pays dotés de grandes armées. Il n’existe pas de formation pour occuper et contrôler ou pour opérer une épuration ethnique, toutes ces missions qu’ils sont appelés à effectuer, tout en servant en Cisjordanie et à Ghaza. Et même si la réalité qu’ils voient de leurs propres yeux est un massacre auquel ils participent, leur esprit interprète la situation comme étant une partie de leur mission pour essayer de défendre le peuple juif, depuis les temps bibliques jusqu’à nos jours. Seulement, quelques-uns de ces soldats sont assez courageux pour affronter la réalité et sortir du moule.
Vos appels contre la guerre au Proche-Orient ont-ils un écho auprès de la population israélienne ?
Il y a quatre ans, je travaillais pour une ONG israélienne appelée «Briser le silence». Nous étions un groupe de vétérans qui s’exprimait sur les réalités de l’occupation. Dans mon travail, j’ai pris des centaines de témoignages de soldats de Tsahal et je les ai publiés dans des brochures en hébreu. J’ai donné des conférences dans les universités, les académies militaires et au grand public en Israël, de même que j’ai organisé des visites guidées chaque semaine dans Hébron et le mont sud. Je croyais vraiment que le travail que je faisais était significatif et contribuait à changer le discours dans mon pays. Malheureusement, au fil du temps, j’ai remarqué que le public israélien semblait ne se déplacer que vers la droite sur l’échiquier politique, et que, de plus en plus, mon travail, ma liberté d’expression et même mon mouvement étaient censurés. J’ai commencé alors à comprendre que les intérêts économiques et l’endoctrinement de l’opinion publique israélienne, ainsi que la couverture médiatique et la mentalité d’assiégé que le public israélien a adoptée, ont érigé des murs mentaux beaucoup plus élevés que ceux construits sur le terrain. Et au lieu de se faire l’écho de la voix des quelques personnes qui appelaient à la solution humaine et à la paix, nous avons été étouffés par la violence et la censure. J’ai ensuite rejoint le boycott du groupe de l’intérieur, un groupe israélien appelant le monde à faire pression sur Israël à partir de l’extérieur, et à nous aider à libérer les Palestiniens ainsi que nous-mêmes et nos esprits de cette occupation continue.
Vous avez vous-même été soldat et vous connaissez donc l’armée israélienne de l’intérieur. Cette armée pourrait-elle, selon vous, dire un jour «stop !» aux faucons qui entretiennent le conflit armé au Proche-Orient ? Quelle actions envisagez-vous dans les tout prochains jours pour tenter de mettre fin à cette sale guerre qui se déroule en ce moment ? Qu’est-ce qui pourra mettre fin à l’impunité d’Israël, selon vous ?
L’élite militaire, comme n’importe quelle autre dans le monde, est motivée par le pouvoir et l’argent. Les actions de Tsahal dans les territoires occupés, tout comme les Etats-Unis partout dans le monde, occupent des terres pour tester de nouvelles armes, exploiter les ressources, la main-d’œuvre, créer des marchés attractifs et avoir le monopole du savoir et de la technologie militaire. Rien de tout cela ne concerne la défense ou quelque chose de ce genre. Israël, en tant qu’Etat, ne laissera jamais ce pouvoir tomber entre d’autres mains, à moins d’y être contraint. De même, la majorité du peuple israélien n’est pas prêt à renoncer à ses privilèges, à moins qu’il y soit également forcé. Le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) a déjà un impact énorme sur les décideurs et sur la population israélienne. Je crois que la seule façon de mettre fin à cette situation est qu’il n’y ait plus de fonds pour l’armée israélienne à travers une pression internationale. Il faut également cesser le commerce des armes avec Israël en mettant en place un embargo international.
Avez-vous un contact avec les Palestiniens à l’intérieur de Ghaza ? Comment décrivent-ils la situation là-bas, hormis ce que nous voyons à travers les chaînes de télévision ?
J’ai effectivement des contacts à Ghaza. En une phrase, c’est une situation d’une atrocité terrible. Les gens sont affectés par ce qui se passe maintenant et disent que la situation actuelle est bien pire que l’opération de 2009 (Plomb durci) qui est considérée comme le pire massacre qui ait été perpétré au cours de ces dernières années. Aux bombardements aveugles s’ajoute le manque de nourriture, de médicaments et d’eau. Il y a aussi une nouvelle population de réfugiés qui s’est créée. Ces réfugiés vivent dans une des zones les plus pauvres et les plus surpeuplées au monde.
Qu’en est-il de la population israélienne : reproche-t-elle à son gouvernement sa politique belliciste ou est-elle derrière lui malgré les nombreuses victimes innocentes de l’autre côté de la frontière ?
90% des Israéliens au moins soutiennent l’opération de l’armée israélienne. Ces derniers temps, des militants de gauche ont été la cible – presque autant que les Palestiniens – de lynchages commis dans la rue par des militants de la droite israélienne.
Vous appelez les juifs américains à s’opposer à la politique israélienne. Pourquoi spécialement cette catégorie de citoyens ?
Je crois que les juifs du monde entier devraient se lever et crier en chœur : «Ne faites pas ça en mon nom !» Le gouvernement israélien prétend agir au nom de tous les juifs et il est important de distinguer entre judaïsme et sionisme. En me référant à l’histoire juive, il est important pour moi de voir des juifs partout dans le monde se lever et dire «plus jamais ça !».
Pourquoi les médias occidentaux soutiennent-ils la politique expansionniste d’Israël ?
Les médias, les compagnies et les gouvernements obéissent à leurs propres intérêts et aux lobbies juifs. Les gens qui dirigent les médias font partie de l’élite mondiale dont les intérêts convergent avec ceux du gouvernement israélien. La puissance militaire et la domination financière sont les deux faces d’une même pièce. De même que l’oppression est partout la même.
Israël s’est-il précipité dans ses conclusions sur la mort des trois adolescents israéliens ou a-t-il fait exprès d’orienter l’opinion publique vers une fausse piste pour justifier l’agression contre Ghaza, selon vous ?
On sait aujourd’hui que le gouvernement israélien savait que les trois adolescents avaient été tués dès le premier jour, mais il a utilisé les sentiments de l’opinion publique pour gagner son soutien et justifier une offensive dans la bande de Ghaza. Le gouvernement savait même que le Hamas n’était pas derrière les enlèvements. Les raisons de cette dernière agression d’Israël contre Ghaza sont nombreuses : le succès du mouvement BDS dans le monde ; la réunification du Hamas et du Fatah qui menace la domination israélienne dans les territoires palestiniens ; la grève de la faim de 150 détenus administratifs dont l’action a commencé à avoir un écho dans le monde ; les pays de l’UE qui appellent leurs citoyens à retirer leurs fonds d’Israël ; l’armée israélienne qui demande plus d’argent au gouvernement ; les pourparlers de paix menés par Kerry et qui ont échoué ; l’effondrement de la coalition qui a mis le pouvoir de Netanyahu en danger ; les sociétés de fabrication d’armes qui ont déclaré qu’elles avaient eu de mauvaises ventes et dont la situation est, maintenant, meilleure.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi