Dossier – Pourquoi Air Algérie a-t-elle repris l’affrètement d’avions de 18 ans d’âge en 2012 ? (III)

L’affrètement d’avions pour Air Algérie semble être soumis à des critères moins rigoureux que ceux d’il y a quatre ans. Cherchant visiblement à optimiser ses gains, la compagnie nationale dont de nombreuses lignes sont déficitaires semble avoir opté pour une politique d’affrètement moins coûteuse, mais peu fiable sur le plan sécuritaire. Le cas de l’avion de Swiftair qui s’est crashé au Nord-Mali est illustratif de cette politique périlleuse à la fois pour les passagers et la compagnie. Le PDG d’Air Algérie a beau marteler que les cahiers des charges ont été respectés dans toutes les opérations d’affrètement, il n’arrive toujours pas à convaincre grand monde, surtout qu’il reconnaît désormais que sa compagnie a recouru au fréteur le moins disant pour renforcer son réseau durant l’été 2014. Un aveu de taille qui conforte l’idée selon laquelle les avions affrétés ne présentaient pas toutes les garanties de sécurité. Selon nos sources très au fait du dossier, le McDonnell Douglas MD-83 était «un choix hasardeux, voire même contraire aux standards d’Air Algérie». Alors, pourquoi ce choix ? D’abord, jusqu’à 2012, Air Algérie refusait l’affrètement de vieux avions module 150 dépassant 15 ans. Il suffit de consulter les précédents appels d’offres (2011-2012) pour le confirmer (voir page 1 du document invitation to Bid"year of manufacture: not earlierthan 1998, soit 15 ans en 2012). «Si cette exigence a été maintenue pour les consultations d'affrètement en 2014, il conviendra d'expliquer pourquoi le McDonnell Douglas MD-83 (immatriculé EC-LTV) affrété auprès de la société Swiftair a pu être retenu alors qu'il ne répondait pas à ce critère important, puisqu'il a été livré à son premier propriétaire en 1996 (premier vol d'essai le 1er juin 1996), soit 18 ans d'âge ?» se demandent nos sources. Et si ce critère d'âge qui a son importance en matière de sécurité aérienne a été abandonné, poursuivent-elles, il conviendra alors d'en connaître les raisons. Aussi, ce type d’avion n’est pas exploité par Air Algérie, laquelle n'est pas qualifiée pour sa maintenance qui, dans le cadre d'un contrat ACMI, est à la charge du fréteur. «La conception de cet avion, héritier du DC9, remonte aux années 70 et sa mise en service au début des années 80. Aujourd'hui, à l'exception notable d'American et Delta Airlines (renouvellement de leurs flottes en cours), pratiquement aucune grande compagnie internationale n'exploite ce type d'avion. En Europe, Alitalia et Iberia ont abandonné l'exploitation de cet aéronef depuis au moins cinq ans et SAS plus récemment», précisent les mêmes sources proches du dossier.
Avion hors normes
Le MD-83 immatriculé EC-LTV (numéro de série constructeur MSN 53190) a été livré à son premier propriétaire, la compagnie égyptienne Héliopolis, en août 1996, qui l'a exploité pendant une année, relèvent nos sources. Par la suite, cet aéronef a connu plusieurs propriétaires ou opérateurs (Ansett, Avianca, Austral, Awas et Swiftair). Pourquoi la compagnie nationale a-t-elle accepté un tel appareil ? La réponse sera donnée par les enquêteurs en charge du dossier du crash du vol AH 5017. Le pire est que cet avion a été affrété auprès d’une société peu connue dans le transport aérien de passagers. Swiftair est beaucoup plus une compagnie charter portée sur le fret. La majorité de sa flotte Jet et une partie de sa flotte turbopropulsée sont configurées en version fret. La majorité de sa clientèle est constituée de sociétés de courrier express (DHL, UPS, Fedex,TNT, etc.) Le transport de passagers est une activité très marginale pour cette compagnie qui n’exploite que des avions d'ancienne génération ; l'âge moyen de sa flotte est de 23,2 années, et de 22,5 années pour les quatre MD-83, seuls modules 150 dédiés au transport de passagers. «Ceci implique que dans le cas de la mise en œuvre de la clause de substitution du contrat d'affrètement, pour cause de panne ou autre du EC-LTV, Air Algérie aurait été amenée à exploiter un autre MD-83, encore plus vieux», relèvent nos sources. Un point suffisant pour qu’Air Algérie n’accepte pas de traiter avec cette compagnie qui ne semble pas certifiée ISO.
Equipages non qualifiés pour l’Afrique ?
Au vu de tous ces éléments, Air Algérie aurait dû demander le rapport d'audit (IAR ou Iosa Audit Report) à la compagnie ou à l'IATA avant de prendre une décision en faveur de son offre d’affrètement de cette compagnie. Autre point non négligeable, soulignent nos sources, les avions affrétés devaient servir toutes les lignes existantes entre l’Algérie et le continent africain. Autrement dit, des lignes réputées pour être difficiles et délicates en raison notamment de la météo et du contrôle du trafic aérien pas aux meilleurs standards. Ces vols nécessitent donc des équipages de conduite bien formés à ce type de liaisons aériennes. Les qualifications et expériences des PNT de Swiftair répondaient-elles à ces exigences ? Pas sûr ! Tous ces éléments et bien d’autres renseignent sur la manière avec laquelle Air Algérie effectue ses opérations d’affrètement. Elle qui n’hésite pas à faire appel à des sociétés de service pour le transport aérien, comme le Groupe Avico pour renforcer sa flotte ou remplacer un avion inopérant. Surtout dans la précipitation. Le cas d’Air Asia à laquelle Air Algérie avait affecté en août dernier des vols additifs, malgré son incapacité à les assurer dans les meilleures conditions, en dit long sur ces opérations. Soucieuse de la sécurité de ces vols, Air Asia avait refusé d’exécuter le programme tracé par Air Algérie, en raison de la multiplication des bases, mais aussi pour le repos des équipages.
Hani Abdi
(Suivra)

 

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