La diplomatie de l’autruche

Je n'exagérerais certainement pas si je disais que l'interview que j'ai accordée, en février 2006, à la chaine de télévision britannique Channel 4, en ma qualité de conseiller près l'ambassade d'Algérie au Royaume-Uni, constituait l'une des dernières offensives de notre diplomatie, avec la vive protestation qui a été élevée par cette même ambassade, quelques mois plus tard, auprès du gouvernement britannique, à la suite de l'arrestation abusive, pendant plusieurs heures, du directeur du journal Echorouk, à la gare Saint Pancras de Londres, en provenance de Paris, au motif que son journal soutenait ouvertement les islamistes, dont le Royaume-Uni et son Londonstan ont été le théâtre d'un attentat sanglant le 7 juillet 2005. En effet, conformément à la doctrine algérienne en la matière, basée, entre autres, sur les principes sacrés de l'inviolabilité de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays, j'ai réitéré au journaliste qui m'avait posé la question à ce sujet la position de principe de notre pays, qui refuse catégoriquement de permettre à un juge britannique de s'ingérer dans le fonctionnement de la justice algérienne, à travers le contrôle, le «monitoring», que la justice britannique voulait exercer sur la nôtre, après l'extradition en Algérie, à la demande de la partie britannique, de ressortissants algériens accusés d'activités subversives et terroristes sur le territoire britannique. En tout état de cause, après un soutien franc et massif à mes déclarations, le gouvernement algérien a commencé à reculer jusqu'à finir par fournir à la partie britannique les garanties et assurances écrites du président Bouteflika, demandées par Toni Blair, Premier ministre britannique, que les présumés terroristes, dont la présence en Grande-Bretagne constituait un fardeau et lui avait valu de nombreuses critiques de la part d'ONG locales et européennes, ne seront pas maltraités dans les prisons algériennes. La soumission à la volonté des puissances étrangères et leur octroi de facilités et de concessions bilatérales toujours plus importantes, dans de nombreux domaines, afin d'acheter leur soutien à un pouvoir illégitime, qui s'impose au peuple algérien par la force et la fraude massive, la présence atone dans les fora internationaux et l'immobilisme sur les scènes internationale et régionale ont peu à peu remplacé l'indépendance farouche, la générosité naturelle et le dynamisme fécond dont la diplomatie algérienne faisait montre jusqu'à la fin des années 1990. Le recroquevillement que notre diplomatie a connu durant la décennie 2000-2014 sur les scènes arabe et africaine notamment n'a cependant pas pu être occulté par l'agitation à laquelle ses principaux responsables se livraient au sein de l'Union africaine et de la Ligue des Etats arabes et, qui ne jouaient en fait que le rôle qui a été dévolu à notre pays, en panne flagrante d'imagination afin de discréditer son glorieux héritage arabe et africain, en montrant les limites de son appareil diplomatique entièrement arrimé à une présidence de la République stérile, qui n'a pas hésité à interdire à nos ambassadeurs, consuls généraux et consuls de prendre toutes initiatives qui ne seraient pas conformes à sa vision archaïque et étriquée du fait diplomatique et les sommait de faire le dos rond face aux abus dont sont régulièrement victimes les ressortissants algériens à travers le monde afin de ne pas gêner les autorités des pays d'accueil. L'affaire de l'ambassadeur Hassani, injustement accusé de l'assassinat de l'opposant Ali Mécili, qui a été emprisonné puis placé en résidence surveillée en France pour de longs mois et celle du général Khaled Nezzar, qui allait être arrêté par la police en France et en Suisse, pour crime contre l'humanité, constituent le comble de l'infantilisation de notre diplomatie victime de la défaillance et de la déliquescence accélérées de l'Etat algérien, essentiellement dues aux abus, méfaits et forfaits impunément commis par les prédateurs cupides et obstinés qui sont au pouvoir depuis avril 1999 ainsi qu'à la grande vulnérabilité dans laquelle se trouvent l’économie et la société algériennes, minées par de nombreux problèmes graves. Le ballet d'hommes d'affaires et politiques, qui se rendent en Algérie en vue de profiter de ses réserves en devises, accumulées grâce à une exceptionnelle augmentation des prix du pétrole et du gaz, qui constituent plus de 98% des exportations algériennes, et dépensées à tous les vents, fait certes la fierté du gouvernement algérien, en quête de légitimité, mais il ne trompe personne. Surtout pas les experts qui connaissent la grande vulnérabilité de l'économie algérienne et l'improvisation de sa diplomatie, qui faute de se diversifier et de prendre des initiatives porteuses d'une ambition réelle, comme notre pays le faisait naguère, s'évertue aujourd'hui à entraver celles qui sont prises par d'autres pays sur les plan international et régional, au risque de se retrouver, une fois encore, parmi les parias de la communauté internationale, isolé ou peu fréquenté. La fuite en avant suicidaire pratiquée par le gouvernement algérien afin de ne pas avoir à rendre compte au peuple algérien de sa gouvernance désastreuse du pays depuis avril 1999 notamment, constitue une entrave sérieuse aux efforts déployés par le peuple algérien pour transcender la situation de crise durable dont il pâtit à cause de dirigeants autoproclamés dépourvus d'une vision et d'une stratégie cohérentes de sortie de crise politique pacifique. La politique de l'autruche pratiquée par le pouvoir algérien illégitime confine dangereusement notre pays dans des rangs peu honorables, indignes de ses formidables ressources humaines, naturelles et financières et dans une logique de régression, dans de nombreux domaines, grosse de tous les risques pour la cohésion, la stabilité, la sécurité et l'unité nationales. La mascarade constitutionnelle que les aventuriers au pouvoir sont en train de préparer, en catimini afin de mettre le pays face à un autre fait accompli, va sceller le sort de ce pouvoir honni, qui connaît une dérive dictatoriale, vivement dénoncée par l'opposition et la société civile algériennes et de nombreuses ONG étrangères. Enfin, le SOS lancé récemment dans plusieurs médias algériens par des ambassadeurs et des consuls rappelés il y a quelques mois à l'administration centrale où ils n'ont pas encore reçu d'affectation montre s'il en est besoin, l'ampleur des carences relevées sans cesse dans la gestion des ressources humaines du MAE, qui reflète largement l'état calamiteux dans lequel se trouve la diplomatie algérienne. Par ailleurs, le malaise profond qui ronge les différents corps des personnels du MAE depuis plusieurs années déjà a de fortes chances d'aboutir à une grève générale plus dure que celle qui a secoué ce département ministériel en février 2013, à l'appel du Syndicat autonome des personnels des AE, dont les initiatives et activités ont été jusqu'à présent systématiquement entravées par l'administration du MAE et ses complices au sein de l'ancien bureau exécutif de ce syndicat.
Rabah Toubal
 

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