Khalifa Bank ne répondait pas aux injonctions de la Banque d’Algérie
Khalifa Bank ne tenait pas compte des rapports établis après les inspections de la Banque d'Algérie relevant des «anomalies et des violations» de la réglementation en vigueur, a indiqué, hier lundi, devant le tribunal criminel de Blida, Mohamed Khemoudj, responsable de la direction générale de l'inspection (DGI) de la Banque d'Algérie, rapporte l’agence APS. Mohamed Khemoudj, auditionné par le juge Antar Menouar, en tant que témoin au 18e jour du procès Khalifa, a déclaré que «plusieurs anomalies ont été constatées dès la première inspection», ajoutant que «Khalifa Bank n’avait pas agi dans le sens de remédier aux défaillances constatées» dès la première mission d’inspection effectuée au mois de mars 1999. La première mission fait ressortir, indique le témoin, «deux infractions majeures». La première anomalie concerne le changement opéré à la tête de la direction de la défunte banque qui n’avait pas pourtant bénéficié d’une autorisation préalable, témoigne Khemoudj, qui ajoute que «la deuxième infraction» porte sur la cession des actions de la banque, une procédure qui n’est pas conforme à la réglementation. «Les deux faits reprochés sont en contradiction avec les textes régissant l’activité bancaire», souligne le témoin, qui note que Khalifa Bank s’est engagée à redresser la situation, un engagement qui «n’a pas été tenu dans la réalité». Faisant le point de la deuxième inspection, Khemoudj dresse le constat selon lequel «les engagements de Khalifa Bank n’ont été respectés que partiellement, mais qu’une certaine détérioration de la situation a été constatée dans la gestion de la banque», qui n’a pas tardé à donner des signes d’un déséquilibre financier. L’ancien responsable de la DGI au niveau de la Banque d’Algérie a indiqué, devant le juge, que Rafik Abdelmoumene Khalifa a été convoqué par le gouverneur de la Banque d’Algérie, Abdelouahab Keramane, remplacé par la suite par Mohamed Laksaci. Le patron de Khalifa Bank a été ainsi sommé, selon le témoignage de Khemoudj, «d’ouvrir le capital de la banque et de clarifier la relation de la banque avec Khalifa Airways». Les soupçons entourant la relation entre Khalifa Bank et Khalifa Airways ont été par ailleurs confirmés, explique Khemoudj, dans la 8e mission d’inspection, qui «a constaté un transfert d’argent de la banque Khalifa vers la compagnie aérienne Khalifa Airways». Ce mouvement d’argent constitue, indique-t-il, une violation de la loi sur la monnaie et le crédit. Interrogé par le juge si la DGI n’avait pas vu des signes de faillite de la banque qui accordait des taux d’intérêt battant toute concurrence de toutes les banques publiques, le témoin a déclaré que «la direction se focalisait sur la qualité des actifs» de la banque Khalifa. A propos du gel des activités commerciales externes de la banque, Khemoudj a affirmé que cette issue «s’imposait dans la mesure où le travail de la direction du commerce extérieur manquait d’organisation» et qu’elle manquait aussi de base pour permettre un contrôle interne, constituant dès lors un danger pour la banque. Le témoin a indiqué, par ailleurs, que la dixième inspection a constaté que Khalifa Bank disposait encore l’argent des dépôts estimé à 93 milliards de DA contre des crédits évalués à 10,5 milliards de DA, ajoutant que «le cœur de l’activité bancaire, ce sont les crédits accordés aux clients». Pour sa part, le président de l’inspection générale des finances, Abdelmadjid Amghar, qui était membre de la commission d’inspection installée par l’ancien ministre des Finances, Mohamed Terbache, a déclaré qu’aucune plainte «n’a été déposée auprès de la Justice, car les inspecteurs désignés n’étaient pas assermentés». Oualtsane Mohamed, membre de la commission bancaire, auditionné également en tant que témoin, a déclaré que les inspecteurs n’étaient pas assermentés, expliquant que «la Banque d’Algérie a le devoir de proposer alors que leur désignation est du ressort du ministère de la Justice». Le procès se poursuit aujourd’hui mardi avec l’audition d’autres témoins.
Le premier rapport de la Banque d'Algérie relevait des infractions mais pêchait par l'absence de PV
Le premier rapport établi par la commission bancaire de la Banque d'Algérie, le 18 décembre 2001, sur Khalifa Bank, «relevait effectivement des infractions relatives au mouvement des capitaux mais ne contenait pas des procès-verbaux, par conséquent n'était pas suffisant pour actionner la justice», a indiqué l'ancien secrétaire général du ministère des Finances, Abdelkrim Lakehal. Lakehal, qui comparaissait en tant que témoin dans cette affaire, a indiqué que «le rapport sur les activités de Khalifa Bank, adressé au ministre des Finances de l'époque, Mourad Medelci, par le vice-président de la Banque d'Algérie, Ali Touati, mentionnait effectivement des manquements à la loi sur la monnaie et le crédit, mais pêchait par l'absence de procès-verbaux dûment établis, étant ses rédacteurs non habilités à le faire». «Ils n'étaient pas qualifiés du fait qu'ils n'étaient pas assermentés», a précisé l'ancien responsable, ajoutant que le rapport «plutôt informatif, n'était pas suffisant pour engager une action en justice». Lakehal a rappelé que ledit rapport n'avait été exhumé que quatre mois plus tard avec la venue de Terbèche Mohamed Taleb, à la tête du ministère qui avait demandé la mise en place d'un groupe de travail pour examiner la situation, précisant à l'occasion, qu'il n'avait pas consulté la teneur du document car il était destiné au ministre. «Terbèche n'avait pas trouvé le rapport à son installation et a dû le demander une seconde fois auprès de la Banque d'Algérie», a-t-il témoigné. Selon le témoin, le rapport en 14 pages dans sa version finale daté du 11 novembre 2002, contenait également des parties sur les autres filiales du groupe, dont Khalifa Airways, à laquelle ont été consacrées pas mois de quatre pages. Un point sur lequel s'est attardée la défense de l'accusé Rafik Abdelmoumène Khelifa, mettant en exergue le fait que les contrôles de la «Banque d'Algérie concernent exclusivement les institutions financières». En outre, le tribunal criminel a appelé à la barre pour témoigner des membres de la commission bancaire, dont Akhrouf Kamel qui était son secrétaire général, qui ont mis l'accent sur la nature de leur mission de contrôle qui se fait sur «pièce et sur place, à travers des documents et des inspections sur les lieux», déclarant que la commission avait saisi le parquet de Blida sur les infractions de Khalifa Bank en 2004 afin de prendre les mesures qui s'imposaient. De son côté le magistrat de la cour suprême, Maachou Ben Omar, délégué au sein de la commission bancaire a relevé que les commissaires au compte de Khalifa bank communiquaient «leurs états budgétaires mensuels avec du retard et avec beaucoup de chiffres contradictoires», en avançant l'argument de la non-tenue de l'assemblée générale des actionnaires de la banque. Il a précisé à cet effet, que Khalifa Bank avait obtenu plusieurs autorisations du tribunal pour proroger le délai de tenir son assemblée générale.
La décision de retrait d’agrément à Khalifa Bank, «irréversible» pour manque de liquidités
Les membres de la commission bancaire appelés à témoigner dans le procès Khalifa se sont expliqués sur «l’irréversibilité» du retrait de l’agrément à Khalifa Bank, indiquant que la décision a été prise pour manque de liquidités en mai 2003. Le magistrat de la Cour des comptes, délégué au sein de la commission bancaire, Namouss Amar, a déclaré devant le tribunal que «la désignation d’un administrateur visait à s’enquérir d’abord de la situation réelle et redresser la banque ensuite», mais le constat était que les fonds faisaient défaut pour payer les clients. Selon ce témoin, le gouverneur de la Banque d’Algérie avait demandé aux actionnaires le soutien financier mais l’argent était indisponible, précisant que même la Banque d’Algérie «ne pouvait pas refinancer Khalifa Bank, du fait de l’absence d’effet (garanties) à quoi s’ajoutent les nombreuses infractions à la loi sur la monnaie et le crédit relevées par les différents rapports de la commission bancaire». «Le retrait de l’agrément était irréversible», a-t-il dit. Benziada Brahim, inspecteur au ministère des Finances et membre de la commission a rappelé pour sa part que le retrait de l’agrément a été fait en présence de Guellimi Amar et Abdelaziz Ahmed Lakhdar Khelifa, actionnaires dans Khalifa Bank. Les membres de la commission ont affirmé par ailleurs, qu’ils ne s’étaient rendus compte que les autres entités notamment Khalifa Airways et Khalifa construction étaient des filiales du groupe qu’après sa mise sous administration, mettant en évidence l’absence d’«assises juridiques à la notion de groupe», pensant qu’il s’agissait plutôt de «prises de participation de moins de 50% comme le stipule la loi», a encore expliqué Namouss. L’expert comptable désigné par le juge d’instruction, Hamid Foufa, a déclaré avoir procéder à deux expertises, la première au niveau de la caisse principale et la seconde au niveau des agences d’Oran, El-Harrach, Les Abattoirs, Didouche Mourad et Koléa. Selon lui, dans sa première mission le 6 décembre 2003, au niveau dela caisse principale il avait à confirmer ou infirmer onze écritures bancaires entre sièges, qui étaient faites «dans le but d’équilibrer un stock physique et le stock comptable» et dont la structure récipiendaire les a rejetées car venues d’une manière irrégulière. Il expliquera que ce sont des «prélèvements effectués par Abdelmoumène Khelifa par les fameux bouts de papiers». Lors de la seconde mission au niveau des agences le 12 mars 2005, Foufa qui a précisé qu’environ 300 opérations bancaires illégales avaient été effectuées, a déclaré qu’il s’agissait de faux en écriture entre la caisse principale et les agences précitées, ajoutant que ces faux en écriture bancaires inexistantes, ont causé un gouffre de 3,2 milliards de dinars pour la caisse principale et plus d’un milliard de dinars pour les cinq agences. Foufa a précisé en réponse à une question du procureur général Mohamed Zerg Erras, que la responsabilité de ces opérations bancaires incombe au président directeur général du groupe, Rafik Abdelmoumène Khelifa et tous ceux qui avaient un lien au niveau de la comptabilité au niveau du groupe Khalifa.
R. N.