Document secret : Washington a tenté de saboter les efforts d’Alger pour le règlement de la crise libyenne
Les Etats-Unis ont demandé au Maroc de «jouer un rôle» pour faire échouer la démarche de paix engagée par l’Algérie en Libye. C’est un document confidentiel, daté du 2 octobre 2014 (voir rubrique Documents), qui le prouve. Il s’agit d’un rapport d’Omar Hilale, représentant permanent du Maroc aux Nations unies, dans lequel il informe son ministre des Affaires étrangères sur ce qu’il appelle les «confidences de M. Feltman concernant le rôle potentiel du Maroc en Libye». Au cours d'un déjeuner organisé le 2 octobre 2014, à la résidence du représentant permanent du Maroc aux Nations unies, pour l'adieu de Mme Rosemary DiCarb, ambassadrice, représentante permanente-adjointe des Etats-Unis, Jeffrey Feltman, secrétaire général-adjoint américain aux affaires politiques, a confié à Omar Hilale – «en aparté», précise le diplomate marocain – que «l'ONU suit avec inquiétude l'activisme de l'Union africaine dans le processus politique en Libye». Mais la plus grande préoccupation de Feltman est que «l'agenda de l'UA s'identifie à celui de l'Algérie et concurrence, voire gêne les efforts du représentant spécial du secrétaire général en Libye, l'Espagnol Bernardino Léon». Par déduction, on comprend que l’effort de l’ONU en Libye s’identifie, lui, à l’agenda des Etats-Unis, ce qui explique la crainte exprimée par le diplomate américain de voir les efforts des Nations unies «phagocytés par l'Algérie» et sa suggestion au Maroc de s’appuyer sur les parties libyennes, hostiles à l’Algérie, qui «regardent d'un mauvais œil les préparatifs pour la réunion convoquée prochainement à Alger». C’est carrément un appel que lance Jeffrey Feltman au Maroc pour saboter les réunions envisagées à Alger entre les protagonistes qui s’entretuent en Libye. L’Algérie veut parvenir à un vrai accord qui instaurerait la paix, ou du moins réduirait l’état d’insécurité dans ce pays, mais, de toute évidence, c’est ce que ne veulent pas les Etats-Unis. Feltman use de propos flatteurs concernant l'«influence» du Maroc dans la région pour l’amener à interférer dans la démarche de l’Algérie, sous prétexte de soutenir les efforts de Bernardino Léon. Le représentant marocain aux Nations unies a promis d’agir dans le sens souhaité par les Américains. Pour cela, Omar Hilale dit avoir préparé l’organisation d’«un déjeuner de travail réunissant M. Léon avec les représentants permanents influents». La suite, on la connaît : un «dialogue entre les rivaux politiques libyens» a été lancé au Maroc pour poursuivre des négociations qui avaient commencé sous l'égide de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul), mi-janvier, à Genève et le 10 février à Ghadamès, à la frontière avec la Tunisie. En réalité, personne n’est dupe, les Etats-Unis et les pays occidentaux qui les suivent ne veulent pas d’une véritable solution en Libye qui redonnerait sa stabilité à ce pays et lui permettrait de reprendre le chemin du développement. Ce n’était pas leur but quand ils ont organisé l’assassinat de Kadhafi et plongé la Libye dans le chaos. Au contraire, l’aggravation de la situation avec l’irruption de Daech leur offre un prétexte pour intervenir directement et encore une fois militairement. La duplicité des Etats-Unis ne surprend plus personne. Ils ont créé Daech et les autres groupes terroristes pour déstabiliser les pays arabes récalcitrants et hostiles à Israël, et ils prétendent combattre ces mêmes groupes terroristes. En paroles, au grand jour et publiquement, ils encensent l’Algérie et, en pratique, «en aparté» et dans l’ombre, ils planifient les coups bas pour saboter la diplomatie algérienne. En Algérie, s’il y avait encore quelqu’un pour croire à la sincérité des éloges des Etats-Unis à l’égard de l’Algérie, sur «la lutte antiterroriste et la stabilité régionale», le document d’Omar Hilale est là pour le ramener à la lucidité.
Houari Achouri