Recrudescence du salafisme en Algérie : entre alarmisme et laxisme inquiétant des autorités
Les salafistes les plus extrémistes ont pris l’habitude, depuis longtemps, de marquer leur présence durant le mois de Ramadhan par leur activisme zélé, mais jamais les citoyens n’ont senti une telle inquiétude. Coïncidant avec la vague d’attentats terroristes perpétrés dans plusieurs pays arabes, les différentes sorties dans les médias d’activistes connus ont tout d’un coup ravivé le souvenir d’une époque où les islamistes du FIS exerçaient leur tyrannie, en imposant aux Algériens un mode de vie différent. Cela va de prêches à connotation salafiste à la télévision, mais aussi dans certaines mosquées, à des agressions physiques contre des non-jeûneurs notamment. Le ministère de la Communication a officiellement averti certaines chaînes de télévision privées, et le Premier ministre a, de son côté, assuré que son gouvernement «ne reculera pas devant l’extrémisme», mais concrètement aucun dispositif sérieux n’est mis en place pour contrer cette offensive salafiste de plus en plus osée. Ce qu’il s’est passé à Béjaïa est illustratif de ce laisser-aller des autorités. Il y a certainement une grosse part d’alarmisme intéressé dans cette affaire mais, il faut dire que cette année les groupuscules salafistes ont réussi une nouvelle incursion, hautement symbolique, en exploitant, comme à chaque fois, la passivité criante des autorités et la démission totale de la société civile et de la classe politique. Ils ont obtenu l’interdiction de toute manifestation culturelle sur l’esplanade de la Maison de la culture Taous-Amrouche depuis le premier jour de Ramadhan, sous prétexte que ces soirées perturberaient les fidèles pendant l’accomplissement de la prière des «tarawih» dans la mosquée d’Aâmriw, située à quelques 200 m de là. Cette «mesure» a été, en réalité, imposée depuis le douzième jour de Ramadhan 2014, suite à l’empêchement d’un rassemblement de non-jeûneurs prévu sur ladite place, par les mêmes nervis, soutenus par des groupes de jeunes du quartier. Ceux-là ne se sont pas contentés de dicter leur loi à la direction de la Maison de la culture – qui n’y a pas opposé la moindre riposte, puisqu’elle est obligée de poursuivre son programme d’activité intra muros – mais ont décidé de s’approprier définitivement l’esplanade pour y accomplir leur prière. Ce qui inquiète davantage les citoyens de Béjaïa, c’est le silence des pouvoirs publics, et plus particulièrement celui du wali face au diktat exercé par un groupuscule qui n’est même pas structuré. Seul le bureau de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) a tenté de sensibiliser la société civile, en tenant une réunion, mardi dernier, dans son siège mais aucune action n’a été envisagée sur le terrain. Ce qui est venu renforcer ce sentiment chez beaucoup de citoyens de cette wilaya, et accrédite l’idée d’existence de «gardiens de la morale religieuse», c’est le comportement zélé de certains agents des services de sécurités contre des non-jeûneurs, à l’exemple de ce qu’il s’est passé à Akbou (67 km au sud-ouest du chef-lieu), au début du mois de carême, puis cette semaine sur la plage de Boulimat (5 km à l’ouest) où un agent de la Protection civile a agressé un citoyen qu’il a surpris en train de… boire de l’eau en plein jour. La victime, qui est avocat de profession, a même accusé la brigade de la Gendarmerie nationale de «non-assistance à personne en danger» suite à un appel au secours qu’il a émis. Seul à réagir à cet incident, un groupe autonomiste naissant, Les Animateurs du manifeste kabyle, qui, dans un communiqué parvenu à la rédaction, l’attribue à «la volonté du pouvoir de mettre la société kabyle au pas et de la normaliser». Pour les rédacteurs du communiqué, cette attitude est révélatrice d’un «deal contracté avec le salafisme provocateur et intolérant».
R. Mahmoudi