L’industrie des vrais faux révolutionnaires

Par Cheikh Hamdane – Des Algériens bénéficient de privilèges octroyés après l'indépendance sous le justificatif de «révolutionnaires», alors qu’en vérité, ils ne sont que de faux maquisards, sortis de leur trou un 19 mars 1962, pour prendre le train de la Révolution à son terminus. Aujourd'hui, ils continuent de bénéficier de beaucoup d'avantages alors que d'autres Algériens ayant bien participé à la Révolution ne sont même pas reconnus. Mais ces largesses de l'Etat sont loin d'être mérités et font surtout l'objet d'un sombre trafic qui exaspère désormais l'opinion publique. En Algérie, les faux maquisards et les faux militants de certains partis politiques bénéficient à vie d'avantages, de subventions et autres privilèges en vertu d'une loi destinée à rendre hommage aux moudjahidine qui ont risqué leur vie ou l'ont perdue en combattant le colonialisme français. Mais cette gratitude s'est désormais muée en colère nationale. Les Algériens ont en effet appris que des centaines de milliers d'entre eux avaient obtenu le «certificat de révolutionnaire» et les confortables privilèges qui y sont attachés grâce à une mafia qui s'enrichit en fournissant le faux témoignage. C'est ainsi que des Algériens qui n'avaient jamais participé à la Révolution de 1954 figurent aujourd'hui sur les listes de révolutionnaires pensionnés. «Beaucoup d'opportunistes ou ceux qui avaient pris le train durant le dernier quart d'heure ont tiré parti des événements sanglants entre le 19 mars et le 5 juillet 1962», soulignent des personnes qui avaient vécu cette période. «On les appelait les ''19 mars'', c'étaient des peureux, des militaires appelés ou engagés dans l'armée d'occupation, surtout les traîtres qui se sont infiltrés, identifiés comme appartenant à ''la force locale'' laissée par l'armée française avant son départ, la plupart des collaborateurs de l'autorité d'occupation n'ont jamais été démasqués.» Parmi les martyrs de la liberté figurent d'anciens policiers et collaborateurs, ou encore des prisonniers de droit commun qui étaient en prison durant l'occupation, des fonctionnaires qui au lieu de lutter contre le colonialisme l'ont servi, des citoyens qui fermaient les yeux sur d’anciens collabos. Mais les authentiques révolutionnaires et ceux qui ont fait de la prison politique ne se sont pas battus pour exiger l'abolition de ces privilèges. Contrainte à la rigueur budgétaire, l'Algérie doit réduire, voire supprimer, ces subventions aux faux révolutionnaires, qui atteignent des milliards de dinars par mois, à la charge du contribuable. Le gouvernement également doit interdire les nouvelles affiliations et démanteler une mafia ayant des complicités au sein de l'administration et une influence politique non négligeable. Pour la majorité des Algériens, il n'existe que trois catégories de révolutionnaires authentiques : les martyrs, les blessés et les révolutionnaires authentiques et sans certificat. «Un jour, j'ai retrouvé un ancien camarade d'école de mon âge qui voyageait gratuitement en train grâce au certificat de révolutionnaire, un autre, fils d'un traître abattu par le FLN, qui vivait en Algérie et a même bénéficié d'avantages dont les fils de révolutionnaires ne pouvaient bénéficier en France ; il bénéficiait aussi de la nationalité française et avait ses enfants à l'université.» L'arnaque à la mémoire des vrais combattants a lieu dans un pays touché par de graves injustices sociales, avec d'énormes différences dans les conditions de vie de la population algérienne. Tout peut s’acheter, y compris le titre de héros, affirme un journaliste, «l'industrie des faux révolutionnaires est florissante. Au cœur du système, il y a eu des personnages qui savaient falsifier les données administratives pour transformer, par exemple, des droits communs en combattants de la liberté». Certains ont accusé des faux révolutionnaires de verser des pots-de-vin pour obtenir des certificats de reconnaissance, et des journaux qui avaient dénoncé les faux moudjahidine ont reçu la «foudre». Mais ceux qui se considèrent comme des révolutionnaires authentiques ne sont pas prêts non plus à renoncer à leurs privilèges. «Nous sommes pénalisés par le gouvernement», a déclaré un licencié d'université en chômage depuis cinq ans. Jusqu'à quand ces privilèges vont-ils continuer ?» Et d’ajouter : «Nous sommes tous des Algériens et je ne vois pas pourquoi on privilégie les uns au détriment des autres, surtout ceux qui se proclament de la ''famille révolutionnaire'', comme si les sept millions d'Algériens qui sont sortis le 11 décembre 1960 sans qu'ils y soient poussés par le FLN ne faisaient pas partie de cette famille révolutionnaire, et que ceux qui ont voté massivement ''oui'' le 3 juillet 1962 n’en faisaient pas partie non plus. Imaginons qu'ils aient voté ''non'', qu’auraient fait le FLN et l’ALN ?»
C. H.

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