Une contribution de l’Anaaf – Du 1er Novembre 1954 à la question de la relève générationnelle
L’anniversaire de la Révolution du 1er novembre 1954 vient nous rappeler, en cette année 2015, qu’aucun pays au monde n’a fait face, comme l’Algérie, à 132 ans d’agressions colonialistes, une résistance au prix de 1,5 million de martyrs, des centaines de milliers de blessés et handicapés par les atrocités et les crimes de la guerre, accompagnés jusqu’à ce jour de multiples souffrances, mais toujours avec beaucoup de dignité. Les victimes des essais nucléaires français dans le Sahara, restées vivantes en témoignent !
Incontestablement, même si la génération des chouhada et des moudjahidine occupe encore l’essentiel de la mémoire historique et des postes clés dans la gestion des affaires du pays, le problème de la relève, pour la sauvegarde des acquis de cette glorieuse Révolution historique, se pose de plus en plus avec beaucoup d’acuité, au milieu de fortes tensions internationales et d’incertitudes sociales et économiques, à l’intérieur même du pays.
Pour évoquer la relève générationnelle, le 8 mai 2012, dans la capitale des Hauts-Plateaux, Sétif, où il s’était rendu pour commémorer les massacres du 8 mai 1945, le chef de l’Etat a subtilement suggéré la fin de mission de la famille révolutionnaire dans la gestion des affaires du pays. Il avait, à l’époque, appelé les jeunes à prendre leurs responsabilités lors des prochains mandats à venir : «50 ans plus tard, leur rôle (les membres de la famille révolutionnaire) est terminé dans la gestion des affaires du pays», avait-il tranché, sous les applaudissements du public, et d’ajouter : «Jili tab jnanou ! Tab jnanou ! Tab jnanou !» (ma génération ne peut plus assumer).
Politiquement aux manettes, il continue à annoncer des «réformes» et des «changements structurels» à tous les niveaux qu’il entend traduire, selon certains articles de presse, dans le texte d’une «Constitution aménagée» qui, après un grand débat, pourrait être soumis à un référendum populaire.
La crise due au choc pétrolier de 2015, risque de remettre sérieusement l’homogénéité et l’égalité sociale, soutenue jusque-là à coups de subventions, pour préserver le socle historique des acquis sociaux, en matière notamment d’éducation et de santé. Mais la tempête de cette crise ne va-t-elle pas obliger le gouvernement à remettre en question les «gratuités excessives» ?
Toujours est-il que cette crise n’a pas les mêmes symptômes que les précédentes et risque de durer. A moyen terme, elle obligera les autorités du pays à mettre sérieusement l’accent sur la nécessité absolue d’améliorer les rendements peu élevés de l’économie nationale et de favoriser la stimulation des travailleurs, sans permettre au secteur privé, balbutiant et sans véritable expérience de compétitivité internationale, de pervertir le système politique pour en prendre directement ou indirectement le contrôle.
Mais comment motiver les fellahs, les salariés, les cadres, les chefs d’entreprise, changer les habitudes de travailler, retoucher de façon significative le système parfois trop protecteur socialement, mettre fin au système de la débrouille qui permet à certains de naviguer dans les eaux troubles de l’illégalité, de la fraude et de la corruption, pour vivre mieux que celles et ceux que certains travaux pénibles éreintent 8 heures par jour ?
Beaucoup de jeunes ne rêvent que de visas pour quitter le pays et s’exiler à l’étranger sans savoir qu’ils risquent de connaître les affres de l’enfer du «sans domicile fixe», de la discrimination sociale et économique, du racisme, de l’islamophobie, etc. Dépolitisés, beaucoup de jeunes Algériens n’ont pas les mêmes repères que leurs parents ou grands-parents qui n’ont pas triché avec la misère morale et sociale, et souvent la mort, pour que vive l’Algérie libre, indépendante et démocratique.
Ils s’impatientent, car même possédant un haut niveau de formation, ils ne trouvent pas toujours un avenir professionnel correspondant à leurs compétences. Ils jugent le système trop étatique, trop centralisé, trop bureaucratisé. Ils ne veulent plus cautionner un unanimisme de façade qu’on leur sert depuis trop longtemps. Ils veulent participer à l’édification de leur pays pour mieux construire leur bonheur sur la terre de leurs ancêtres.
Ils méritent d’être écoutés et entendus, car ils refusent d’écouter certaines sirènes, venues ou télécommandées d’ailleurs, qui les encouragent à menacer l’essentiel de ce qui fait l’Algérie éternelle.
A l’heure où nous nous apprêtons à célébrer le 61e anniversaire du 1er Novembre 1954, il serait bon que les vrais «soldats des idées» de toutes les classes politiques algériennes, les intellectuels, les cadres de la nation et tous les dirigeants du pays fassent preuve de courage, d’objectivité par amour pour la terre de leurs ancêtres. Il leur faudra observer et analyser la situation du pays, loin des images d’Epinal ou de la fausse prétention, d’être le seul pays au monde qui n’a pas de problèmes ou le seul qui soit capable de toujours les surmonter… comme par miracle. Churchill, lui, a promis de «la sueur et des larmes» à son peuple pour assurer la reconstruction de l’Angleterre, dévastée par la Seconde Guerre mondiale.
Faire preuve de démagogie, en politique, encourage toujours les opportunistes, les malins, les hypocrites, les corrompus et les paresseux, qu’ils aient un poste de responsabilité ou non, à alimenter le sentiment que tout va bien pour protéger leurs intérêts personnels et égoïstes.
La question de la relève générationnelle, actuellement posée dans les coulisses du pouvoir ou demandée par les partis d’opposition, n’est pas simple. Passer le relais ? Tôt ou tard, il faudra le faire, car même les lois biologiques plaident en faveur de cette hypothèse.
Mais avec qui et sur quel projet de société ?
Il faudrait que ceux qui ambitionnent de prendre la relève soient aussi capables de réussir l’accouchement d’un pays toujours plus nouveau et moderne.
Un pays avec une image potentielle et porteuse de l’Algérie éternelle parce qu’elle est sonore, diverse et colorée, un pays qui défend des valeurs, capable de séduire, à l’échelle internationale, par son esprit d’entreprise, son ingéniosité, son goût de l’œuvre et du travail bien fait, son sens de la communauté, de la tradition, de la coutume et de l’hospitalité retrouvée et légendaire de son peuple.
Que constatons-nous aujourd’hui ?
Quels que soient les efforts des «jeunes loups algériens», entreprenant, rêvant comme leurs homologues étrangers de «technologie et modernité», ils auront deux chances sur trois de «se planter», s’ils voulaient lancer un produit sur le marché à l’international.
Le produit peut-être de bonne qualité, mais aucune publicité, aussi coûteuse soit-elle, ne parviendra à gommer la nébuleuse de fantasmes qui entoure ce qui vient d’Algérie. Qu’il ait un défaut (comme d’ailleurs, d’autres produits français, allemands, américains, chinois ou anglais, etc., en ont), qu’il ait mauvais goût ou qu’une ridelle de plastique se brise au premier usage, et l’incident amplifiera la rumeur «Ah ! Mais il vient de là-bas…». Certains n’hésiteront pas à dire péjorativement «travail arabe». Ceci, même si on les invitait à se rendre en Espagne pour visiter les merveilles arabes, de Grenade ou d’autres régions, à l’époque de l’Andalousie rayonnante et conquérante culturellement.
Le projet d’une Algérie toujours plus moderne devra tenir compte de ce terrain toujours et encore en friche dans le monde. Il faut prévoir comment le labourer, le nourrir, l’ensemencer d’efforts, d’initiatives et de toutes les ressources des régions vastes de l’Algérie et de tous les enfants de la diaspora algérienne, installée à l’étranger.
Le projet d’une Algérie plus moderne, à notre humble avis, devra poser, d’entrée de jeu, en termes de communication, le problème du redressement et du développement du pays et de ses implications sur les termes de l’échange et/ou des échanges de l’Algérie avec le reste du monde.
En effet, le redressement d’une Algérie toujours plus forte et plus moderne ne peut-être simplement qu’économique. Sous peine de n’être que des «sujets» économiques, les Algériens doivent se donner la capacité de faire valoir leur histoire et leur culture, face à la puissance culturelle et historique de leurs partenaires étrangers, européens, américains, africains, asiatiques ou slaves, face à cette universalité, que trop souvent s’arroge la culture occidentale, notamment la culture française avec laquelle nous entretenons une relation proche et séculaire.
Pour compter, partout dans le monde, les Algériens que nous sommes doivent montrer et délimiter toute l’étendue et la diversité qu’offre le terreau de leur polyculture : amazighe, nomade africaine, punique, romaine, hispano-mauresque, turque, française et arabo-islamique.
A-t-on simplement pensé à une sorte de dictionnaire de toutes les expressions épiques, artistiques, scientifiques produites en Algérie ? Le défi, loin d’être futile, est lancé si ce dictionnaire n’existe pas, car le concept «d’idéel» d’un peuple ou d’un pays, c’est sa gloire et ses mots !
Le projet pour une Algérie toujours plus forte, authentiquement musulmane, doit assurer et assumer l’hymne de la modernité pour mieux défendre sa grandeur passée et présente mais surtout sa gloire et sa grandeur future. Pour cela, il faut imaginer avec courage les propositions et trouver les mots mobilisateurs qui permettent de rendre plus rayonnant le visage un peu blafard de l’Algérie, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ce visage un peu blafard projette malheureusement l’image d’un pays en difficulté économique et sociale, d’un pays où la bureaucratie reste encore tatillonne, d’un pays ou le bricolage et l’improvisation dans certains secteurs font des ravages et, enfin, d’un pays où la femme est encore et toujours «bouc émissaire», «mineure» et «cantonnée».
A défaut, pour les étrangers, l’Algérie restera encore longtemps le pays du business et la recherche d’un profit immédiat au détriment des intérêts suprêmes et permanents de sa nation. C’est pourquoi le projet d’une Algérie plus moderne et plus forte demain, doit exiger des citoyens algériens de produire davantage et mieux, dans tous les domaines, pour avoir de quoi converser avec tous les peuples et les pays du monde, autrement qu’en termes de dinars, de dollars ou d’euros, de barils de pétrole ou de mètres cubes de béton, de gaz naturel ou de schiste, de pièces détachées, de voitures ou encore de pseudo-économie informelle relavant du «trabendisme».
Alors que s’est consolidée l’Algérie éternelle, voilà près plus d’un demi-siècle, rien n’est venu la diversifier ou l’enrichir à l’étranger. Le terrain est plus que jamais propice pour inscrire l’épopée révolutionnaire dans la longue durée et, en même temps, dans la lignée de toutes les grandes épopées qui ont marqué l’histoire du monde.
Bien que n’étant pas Algériennes ou Algériens, mais aimant sincèrement l’Algérie, beaucoup de personnes s’interrogent, en effet, sur l’absence des figures emblématiques de la Révolution de novembre 1954, fières, courageuses, ingénieuses, dans l’imaginaire collectif à l’extérieur du pays. Pourtant, elles appartiennent à ces figures héroïques qui de tout temps, et quel que soit leur engagement, trouvent grâce aux yeux des peuples qu’elles ont combattus.
L’hostilité en France à l’Anglais, à l’Allemand ou au Vietnamien n’a pas empêché les Français de reconnaître et d’accepter, voire d’admirer les vertus de Wellington, de Nelson, de Guderian, de Rommel, de Giap ou d’Hô Chi Minh.
C’est pourquoi le projet pour une Algérie unie, appartenant à tous ses enfants, doit aussi valoriser, à l’étranger, la mémoire de tous ses héros et de sa nation comme une représentation qui n’est ni un régime, ni une politique, ni une doctrine, mais une forme pure d’un «être ensemble», avec un slogan : «L’Algérie d’abord et avant tout !»
Alliance nationale des associations des Algériens de France