A toutes les femmes algériennes qui resteront seules un 14 février
Quand on est une femme en Algérie, on fait attention à tout, à ce qu'on mange, à ce qu'on dit, à ce qu'on porte, à qui on parle… Bref, tout ce qui nous entoure est objet à suspicion ou critique. J'aimerais parler d'une catégorie de femmes qui ont choisi d'être, ou de rester, elles-mêmes et ça leur a coûté toutes les peines du monde. En effet, être soi-même c'est réfléchir à haute voix, être et ne pas paraître, vivre profondément et sentir sincèrement, penser réellement et dormir sereinement. Etre une femme en Algérie, c'est une aventure qu'on vit sans y être obligée, mais avec un cœur souvent affligé. Jeune, j'étais peureuse, j'appréhendais presque tout. Des exemples : prendre un bus était pour moi comme une expédition qui pouvait être périlleuse, dire quelque chose en public était comme une insolence ou une action qui pouvait apporter de la honte, exprimer une émotion ou un sentiment librement, jamais ! Ce n’est pas digne d'une fille de bonne famille, fallait le garder pour soi, alors là si c'était pour un garçon… c'était carrément un pêché ! La seule chose qui était dans les «normes», ce sont l'école, le ménage et, éventuellement, les gâteaux ou la couture. La finalité de notre vie devait être le mariage, après on pouvait mourir. On avait peur de tout, on croyait même, à l'époque, qu’on pouvait tomber enceinte en s'asseyant sur une chaise qui était auparavant occupée par un homme (rires). Cela dit, ça ne nous a pas empêchées d'avoir des amis ou des camarades qui, pour la plupart, préféraient discuter avec des filles plus cools et avec une tenue moins stricte (tabliers ouverts, un petit rouge à lèvres, des chaussures tendance, jeans…). Au fond de nous, on voulait ressembler à ces filles malgré qu'on n'était pas bêtes, ni «caves», mais on rêvait d'être regardées comme ça, être à la page, admirées par des beaux gosses, sollicitées. Cependant, on comprendra un peu plus tard qu'on ne pouvait être ce qu'on n'était pas. A la fac, c'était la découverte, un monde différent, une pseudo-liberté, un écosystème moins fermé. Et c'est là que toutes les difficultés s'invitent dans notre vie. Comment se positionner devant des jeunes femmes émancipées, d'autres renfermées, d'autres pieuses ou alors émancipées mais de façon cachée. Aucun genre ne nous appartenait, on était des filles à principes mais avec beaucoup de rêves à l'occidental, et on s'est retrouvé rejetées par presque tout le monde ! Seule solution : appartenir à l’un des clans les plus proches : les émancipées. 1 mois, 2, puis 3, le malaise s'installe, on n'arrive pas à s'adapter. Sortir en groupe, avoir un tape-cinq à n'importe quel moment, entendre des plaisanteries pas du tout à notre goût, partager des visions qu'on ne trouve pas intelligentes, être superficielles pour que le garçon du cercle nous regarde ; c'était donner des coups de poignard dans notre amour-propre, avoir des pseudo-amis qui profitent de nous parce que nos cahiers étaient bien faits, c'était injuste… C'était trop nous demander. Comment faire ? Fallait revenir à notre vie, réapprendre à gérer nos peurs, seules face à un monde qui ne reconnaît pas notre existence. On rencontre alors un être, celui-là on y croit, il nous regarde autrement, c'est peut-être lui, cet homme dont on a toujours rêvé, il nous comprend, il nous aime, il veut peut-être nous épouser, il n'a pas d'argent, ce n'est pas grave, on est prête à le rendre heureux parce qu’une femme, c'est finalement ça son rôle. Lui, il est jeune, il veut intérieurement que ça réussisse mais… il n'a rien vécu encore, il n'a rien à lui offrir, il a peur, lui aussi, il se pose des questions, il ne veut pas lui donner de faux espoirs, il voit en elle une femme «ange», et sa conscience ne lui permettra pas de l'embarquer dans une histoire sans lendemain, il était sincère mais lâche, il la laissera tomber sans réelle explication. C'est ce qui nous est arrivé alors qu'on a tout juste commencé à y croire… Et hop, on termine la Fac, déçues mais diplômées, trahies dans notre âme mais debout malgré tout. Et là une autre femme se crée en nous. On veut réussir, on veut vivre, on veut découvrir mais on n'a plus d'objectif et, là encore, les choses se gâtent pour nous. On devient femme, nos sentiments enfouis on n'arrive plus à les cacher, on cherche un sens tout en voulant rester nous-mêmes, mais la réalité dehors est toute autre… La course contre la montre est engagée partout, il fallait «se faire vendre sur le marché des prétendants» pour pouvoir espérer décrocher un pseudo-prince-charmant avec les dents pourries et des traces de nicotine dessus. Les femmes s'accrochaient à n'importe quel individu qu'elles rencontraient, dans la rue, au travail, et internet à l'époque n'avait pas encore atteint sa vitesse de croisière. Que faire ? Draguer un homme ? Pas possible ! On pourra lui signifier quelque chose, peut-être, mais s'offrir à lui ! C'était trop demandé ! Alors on se dit pourquoi pas, essayons comme toutes les femmes, on n'est pas moins intelligentes, on pourrait très bien décrocher le gros lot, un prince, quelque part, qui saura peut-être notre valeur, qui appréciera nos qualités, qui fera de nous tout simplement des femmes. Et il est venu, lui, avec l'idée de profiter cette fois-ci de cette femme, inexpérimentée, qui est à la limite du désespoir pour lui miroiter un espoir, un mensonge que seule une femme sincère pourrait croire. Comment pouvait-il être aussi imposteur ? Aucune logique ne pouvait autoriser sa malhonnêteté… Et pourtant, on a marché dans cette supercherie, certaines de nous s’en sont bien sorties, d'autres un peu, d'autres pas du tout. Une déception ? Non, plutôt une énième trahison de cet espoir qui nous anime, car on était sincère avec des gens qui ne l’étaient pas. Et c'est à ce moment-là qu'une troisième femme est née en nous. Cette femme est moderne, elle vit et elle s'enfiche de son environnement, elle connaît ses limites, et elle n'attend personne, elle s'intègre dans la nouvelle ère de la société, super «connectée», elle tchate, mais tout en gardant les pieds sur terre, elle sait que le monde est cruel, les hommes le sont aussi, mais elle n'y peut rien, elle résiste parce qu'elle sait aujourd'hui qu'elle est belle, intelligente et sincère. Désormais, elle ne permettra à personne de la trahir car elle ne croit plus au prince mais elle a l'ultime conviction qu'un jour viendra où cet être qu'elle a tant attendu viendra par lui-même lui dire : aujourd'hui, je suis là, tu n'as plus à avoir peur. Il ne sera pas parfait, ni idéal ; juste un homme qui a peut-être vécu les mêmes périples qu'elle… parce que, lui aussi, est un homme sincère en Algérie.
Simabelle