Slim Othmani à Algeriepatriotique : «La règle 49/51 est répulsive et absolument absurde» (III)
Algeriepatriotique : Pensez-vous que le pays s’achemine à nouveau vers l’endettement ?
Algeriepatriotique : Pensez-vous que le pays s’achemine à nouveau vers l’endettement ?
Slim Othmani : Politiquement, on nous a présenté l’endettement comme un désastre. Tous les pays du monde sont endettés. Cela ne veut pas dire qu’on doit s’endetter, mais quand il est bien pensé, réfléchi et bien mis en œuvre, oui, nous pouvons aller vers l’endettement. Il y a quelques jours, M. Benachenhou, lors de la matinale de Care, disait : «Pourquoi l’Algérie devrait-elle s’endetter pour construire un port en eau profonde ? Il suffit de dire à la Chine : vous voulez un port en eau profonde dans cette région de la Méditerranée que vous exploiterez ? Nous sommes d’accord. Nous pouvons prendre une participation avec vous. Construisez-le avec votre argent. C’est votre port. Nous vous donnons les concessions pour le construire.» Nous n’avons pas besoin que l’Algérie s’endette pour trois milliards de dollars. Il y a des gens qui répondent et qui disent : oui, mais on ne peut pas donner une concession sur un port, parce que c’est une structure de souveraineté. Ceci est discutable et dépend de la doctrine du pays. C’est un avis qui peut être donné par le ministère des Affaires étrangères et celui de la Défense nationale. Ces doctrines ne sont pas réellement publiques.
Si l’Algérie recourt à l’endettement, pensez-vous que nous avons la capacité de rembourser, sachant que notre économie est à 95% dépendante des recettes des hydrocarbures qui connaissent actuellement une baisse drastique ?
Oui, à condition que l’Algérie s’inscrive dans une logique d’attractivité des IDE, que le pays s’ouvre, lève les barrières bureaucratiques et repense à un autre système fiscal. Ce sont des choses simples à mettre en œuvre à condition qu’on accepte la venue d’investisseurs et de ceux qui détiennent le savoir.
Votre approche n’est-elle pas similaire à celle du gouvernement ?
Mais le gouvernement ne le fait pas. Pourquoi ne le fait-il pas ? Je ne sais pas et je ne vais pas supputer. Encore une fois, je dirai : lisez la circulaire du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, du mois d’août 2013, adressée à tous les ministres. Elle vous fera tomber par terre. Vous allez vous dire : voilà quelqu’un qui a envie d’avoir une autre Algérie et qui leur dit : nous y allons. Malheureusement, chacun vit dans son univers. Il y a un fonctionnement de ministères en silos qui fait que l’information ne circule pas. Elle reste à leur niveau. Il y a un manque de coordination, de cohésion et, probablement, un problème de leadership qui est, encore une fois, la clé de tout. Je disais, il y a quelque temps, que si on veut être un tout petit peu provocateur politiquement, si le Président s’adresse une fois à ce peuple et lui dit : «Je suis malade. Je voudrais que vous m’accompagniez, car voilà ce que je vais faire», le peuple entier se mobiliserait. Ce n’est pas une question d’aimer ou non le président Bouteflika. Ce que je veux, c’est que l’Algérie sorte de cette léthargie. Bouteflika est là jusqu’à la fin de son mandat. Il ne s’agit pas de venir casser complètement ce qui existe déjà. Il s’agit de dire : «Nous devons rapidement changer !» Si le Président passe un message public, c’est-à-dire s’il s’implique physiquement – et je pense que c’est le bon moment pour lui de le faire –, je suis convaincu qu’il y aura un changement fort au niveau de la société et au niveau de l’Exécutif. Aujourd’hui, au niveau de l’Exécutif, on voit des ministres qui attendent d’être dégommés. Il faut qu’il nomme un gouvernement de crise à qui on accorde deux ans pour changer complètement l’Algérie. C’est comme cela qu’il faut faire et c’est ça le leadership. Je ne dis pas que je détiens la solution. Je ne dis pas que je détiens la science infuse. Je dis, simplement, que je suis un simple citoyen qui a envie de réfléchir de façon pragmatique. Je me trompe peut-être, mais le plus important, c’est que nous devons sauter le pas très rapidement. Nous sommes cernés par l’instabilité que nous ne devons pas laisser entrer chez nous. Et la seule façon de faire, c’est de se pencher sérieusement sur la situation économique du pays.
Les produits éligibles au crédit à la consommation relèvent directement du SKD et du CKD. Comment pouvons-nous parler du made in Algeriadans ce cas-là ? A partir de quel seuil d’intégration parlerons-nous de produit made in Algeria?
Je crois qu’il faut voir sous un autre angle le problème du crédit à la consommation. Il faut le voir sous l’angle du système financier dans sa globalité. Que veut dire le crédit à la consommation ? Cela veut dire que le système bancaire regorge de ressources et qu’il a besoin de donner du crédit aux consommateurs. Pourquoi ? Parce que ce consommateur va dépenser ce crédit et faire tourner la machine économique. Alors que la machine économique algérienne dépend, essentiellement, de l’importation. «Je bloque l’importation, mais je donne du crédit à la consommation ou je donne du pouvoir d’achat, donc je relance la consommation interne» ne vont pas ensemble. Par contre, je donne du crédit à la consommation et j’ouvre le pays d’une façon volontariste aux IDE et je développe mes industries et mes services de façon très engagée, là, je peux donner du crédit à la consommation pour tout, même pour acheter un bouquet de fleurs. A partir du moment où la machine économique est dans un cercle vertueux, il n’y aucun problème. Mais aujourd’hui, on veut le donner, soi-disant, pour stimuler l’achat des produits nationaux. Il y en a qui parlent d’un taux d’intégration supérieur à 40% pour pouvoir dire que c’est national. Combien de produits ont un taux d’intégration à 40%, je ne sais pas. Je ne peux pas me prononcer là-dessus.
Mais nous ne produisons rien…
On produit avec des intrants. C’est ce qui se fait dans le monde entier. Seulement, il y a des équilibres qui se font pour tout ce qui entre et tout ce qui sort dans les autres pays. Pourquoi ? Parce qu’il y a des investisseurs étrangers, il y a de l’export. Ce qui fait donc que je peux contrebalancer ce que j’importe pour produire, exporter ou vendre, localement, avec des investisseurs étrangers et avec les résultats de mes exportations. Or, nous sommes en train de construire comme si nous allions tout produire sans être dans une perspective d’exportation. Pour avoir de l’export, aujourd’hui, il nous faut impérativement les IDE et j’insiste là-dessus. Cela embête beaucoup de monde. Les IDE vont nous amener du savoir. Il y en a qui vont dire : «oui, mais celui-là, je n’ai pas besoin de son savoir». Il ne faut pas être discriminatoire. Quand un opérateur économique veut venir produire ici des jus de fruits, parce qu’il trouve que c’est plus compétitif et qu’il peut pénétrer le marché européen de façon extrêmement agressive, certes, il ne va pas ramener beaucoup de savoir, mais de l’export. Il y a une certaine croyance que l’Etat a suffisamment de compétence pour arbitrer sur la qualité des IDE, mais l’Etat n’a pas à arbitrer sur la qualité d’un IDE, il doit, au contraire, installer absolument tous les outils et tous les instruments d’attractivité pour attirer un maximum d’IDE dans notre pays.
C’est ce qu’il fait, non ?
Il n’y a pas plus répulsif que la règle 49/51.
Vous êtes contre ?
Complètement. Dans sa structure et dans sa forme, cette règle est absolument absurde. Elle n’a aucun sens et elle est répulsive. Ceux qui passent leur temps à dire qu’elle n’est pas répulsive et qu’elle ne les dérange pas ne disent pas la vérité. Tout le monde le dit en aparté. Cette règle est absolument absurde et ne sert absolument à rien, sauf à freiner l’arrivée des IDE en Algérie. Elle ne permet pas l’attractivité. En vertu de quoi, moi étranger, vais-je considérer que la place algérienne est plus attractive ? Parce qu’il y a 41 millions d’habitants ? Il y a une fiscalité contraignante, un climat des affaires lourd, une administration lente, pour laquelle la notion de temps n’existe pas, et des infrastructures qui ne sont pas encore au rendez-vous. Comment voulez-vous que je sois compétitif avec les ports qu’il y a en Algérie. Même si je veux exporter, je ne suis pas compétitif. La paranoïa ambiante fait que vous êtes coupable jusqu’à preuve du contraire, parce que vous êtes étranger. On le voit bien avec ces sociétés étrangères qui sont pointées du doigt. Elles ont, peut-être, commis des erreurs, mais est-ce que j’ai besoin, moi en tant que presse et en tant qu’Etat, d’appeler tout de suite au loup : «ce sont des étrangers, ce sont des voleurs» ? Mon rôle à moi, en tant qu’Etat, c’est de sanctionner et d’attraper les voleurs, et non pas de passer mon temps à dire qu’il y a un voleur et donc qu’on ferme à tous les étrangers. Je n’ai pas besoin de cette publicité qui crée cette espèce de croyance populaire qui dit qu’un investisseur étranger est un voleur. C’est exactement ce qui arrive actuellement. Et vous ne pouvez pas me contredire.
Depuis 1962 jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas eu de transfert technologique. Pourquoi, selon vous ?
Il n’y a pas assez d’IDE, il y a un système éducatif qui s’est longtemps cherché et des universités qui produisent du savoir, mais qui sont passées par des moments extrêmement difficiles à cause desquels elles n’ont pas eu le temps de se mettre à niveau, ce qui fait qu’elles accusent du retard. On a privilégié une production de masse plutôt qu’une production de qualité. Le pont entre l’université et le monde économique ne s’est jamais fait parce qu’on était dans un système d’économie planifiée, avec tout ce que cela veut dire. L’entreprise privée n’existait pas. Celle qui existe actuellement, qui est-elle réellement ? 9 fois sur 10, ce sont d’anciens fonctionnaires qui ont créé des entreprises. Cela ne veut pas dire qu’ils ont du savoir-faire. Nous sommes en train d’apprendre et de découvrir dans beaucoup de secteurs. Peut-être qu’une entreprise comme Condor fait figure d’ovni dans l’univers algérien. Un pôle économique comme celui de Bordj Bou-Arréridj est un pôle intéressant parce qu’il y a eu des développements et du savoir qui s’est greffé en termes de technologie de l’information et de tout ce qui est électronique. Il y a du savoir qui est en train de se mettre en place. Il est difficile de répondre à la question de pourquoi on n’est pas arrivés depuis 1962 à produire du savoir. Produire du savoir se planifie, c’est une vision qui doit être portée par des leaders, extrêmement forts et charismatiques qui ont une intuition très forte. Ce n’est pas un processus bureaucratique. C’est plutôt un processus politique. Quand le président Kennedy a fait son discours où il annonçait qu’ils iraient sur la Lune, alors que les moyens technologiques n’étaient pas encore au rendez-vous, il a donné une échéance. Et cela a été fait. Il a mis, certes, les moyens, mais c’était parti d’un leadership extrêmement fort. C’était un projet mobilisateur qui allait permettre de sauter un pas technologique très important et les Etats-Unis l’ont fait.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi