De la culture et des culs-terreux

Par Abderrahmane Zakad – Certains lecteurs me demandent où trouver mon roman réaliste «Le terroriste». Vous le trouverez en France, camarades. Puisqu’en Algérie, on ne veut pas m’éditer. Chah fina: nos pseudo-éditeurs n'éditaient qu'avec l'argent du ministère de la Culture, les voilà bientôt au chômage puisque le ministère suspend toutes les aides pour l'édition des livres. Quelle bonne nouvelle ! Et j'ai tout fait pour que cette gabegie de l'argent du peuple cesse. J’ai tant écrit, j'ai tant dénoncé. J’ai tant crié pour que nos maisons d'édition ne soient pas des maisons closes, closes d'information, closes de l'état de leur personnel (ils n'ont personne), closes de leur compétence douteuse, closes de leurs petits trafics en tous genres. En somme, de petits Chakib Khelil, qui, au lieu de foutre nos champs pétroliers en l'air et en fumée, salissent notre champ culturel. On devrait passer un concours de capacité à tous ces éditeurs : niveau culturel, qu'avez-vous lu dans votre enfance, que connaissez-vous comme auteurs étrangers autres que français, qui sont Joyce, White, Thoreau, Gorki, Ali Hamimi ? Qui a écrit «Le silence des cendres», qui sont Djamila Debèche, Rabah Belamri ? Qu'est-ce que l'équilibre des charges dans une entreprise, comment fonctionne le portable ? Je ne rigole pas, je suis sérieux, parce qu'il s'agit de l'avenir de nos enfants. Nos écrivains, nos éditeurs n'attendent que les invitations d'ici et de là-bas. Surtout le Maghreb du livre où ils ne se rendent même pas compte qu'ils sont invités en tant que bicots de service. Le Maghreb des livres lié à l'association «Coup de soleil». «Le pays qu'ils ont détruit, sali, alors que nous l'avons construit et administré» : c'est ce qu'ils pensent, c'est ce qu'ils disent. Et je l'ai entendu ici à Bejaïa par des pieds-noirs en visite dans la casbah d'Ibn Khaldoun : «Regarde, Gaston, ils n'ont même pas été capables de maintenir les jardins qu'on leur a laissés.» Revenons à mon livre et laissons le colonialisme s'installer gentiment chez nous. Mon livre «Le terroriste» traite de l'implication de notre jeunesse dans la folie des années 1990 alors qu'elle n'avait ni idéologie ni contestation politique, inculte dans les choses de la religion, captée par les réseaux islamiques de chez nous et aussi par les officines étrangères. J'explique sa faiblesse, sa naïveté et son inculture, alors que la plupart de ses éléments proviennent de familles aisées. De plus, les groupes se formaient sous le concept de «l'esprit houmiste» – je te connais, tu me connais, je viens avec toi, tu es oulid el-houma. Ainsi de Zitouni, de Layada, de Gouasmi et des autres. Ils sont généralement de niveau moyen, ne fréquentant les mosquées que par mimétisme afin de se construire une personnalité. Le cas de Moh Flicha est flagrant. C'est de lui qu'il s'agit dans mon livre, sous le personnage de Moh Milano. L'esprit «foot» a également contribué à rassembler les désœuvrés et les faibles de caractère que des spécialistes en psychologie (Abbas Madani et certains universitaires d'ici et d'ailleurs) ont su exploiter, recruter, endoctriner et envoyé vers la mort en causant des centaines d'assassinats. Je signale que mon livre a été refusé poliment par l'Enag en 2008 (il n'a même pas été lu, le titre faisant peur à cette maison d’édition qui n'a d'édition que le nom). Le terroriste a par la suite été lu et accepté par la commission de lecture qui a jugé utile de le faire paraître. Les éditions Mille Feuilles ont édité 2 000 exemplaires payés par le ministère, puis plus rien. Par la suite, aucune maison d’édition ne voulut l'éditer. Découragé, j'ai dû recourir à le faire éditer en France, c’est la maison Edilivre qui vient de le faire paraître. Je regrette, mais j'aurai voulu que mon livre soit édité en Algérie, et cela me peine. J’ajoute que j'ai écrit une dizaine de romans concernant les faits de société, concernant mon peuple et mon pays que les maisons d'édition me refusent. Je les édite à compte d'auteur comme «Les amours d'un journaliste». Mon recueil de poésie «Le patrimoine», édité par moi-même avec l’aide de l’Onda, a été retenu pour paraître dans l’Anthologie de la poésie africaine /Cameroun/Paris ; j'ai été nominé au prix Mohamed Dib pour mon livre «Le vent dans le musée». J'ai réalisé trois films documentaires de caractère socio-urbanistique sur la vieille ville de Constantine, «Souika», ainsi que sur la vieille ville de Tlemcen, et «l'histoire du quartier des Anassers», films soutenus et payés par le CNC et le ministère de la Culture, mais aucun média (journal ou TV) n’a rapporté ces événements culturels. Je ne tiens pas à ce que l'on parle de moi, à 78 ans, je m'en fous, mais au moins que l'on critique mes livres et mes films, et que l'on dise ce qu'ils valent. Suis-je blacklisté ? Je n'en ai rien à foutre, mais je continuerai à écrire pour parler de mon peuple et de mon pays, et, bien sûr, je ne suis pas de ceux qu'on invite au Maghreb du livre, et je m'abstiendrai de participer pour raison d'honneur, car ce serait de ma part une compromission dans des manœuvres occultes qui n'apportent rien à mon pays. Je ne suis pas invité dans les cafés littéraires car on me dit «dangereux et parlant franc», comme ce fut le cas du refus de mon invitation par les éditions Chihab lors des deux derniers Feliv (manifestation pour jeunes), on m'a même interdit l'accès. Il en est aussi de l'association bidon «Emev» dont le responsable a déclaré à mon assistante Mme S. Z. : «Je n'invite pas Zakad, il est dangereux.» Cette association douteuse fait de tout : de la culture, des cafés littéraires, de l'aide aux malades, aux pauvres, un truc intitulé «Montagn'art», s'occupe de l'environnement, du management pour les entreprises, etc., et son directeur, un ancien animateur de danse au ministère de la Jeunesse, est fier d'être autodidacte. C'est lui qui le dit dans une interview. Voilà entre les mains de qui se trouve notre culture et voilà comment l'Emev qui organise des événements culturels, scientifiques et économiques (El-Watan du 1er mars 2016) – tout un programme qui ne peut être géré que par un ministère –, est ambitieusement mené par un ancien danseur du ministère de la Jeunesse et des Sports. Le mieux pour ce génie est de rejoindre le drabki du FLN pour faire duo et nous inventer de nouveaux rythmes qui apaiseraient nos douleurs et notre désespoir. Ecœuré par l'intrusion des maffieux, des importateurs de livres et des ignorants des choses de la culture et de notre champ culturel «pourri par l'argent», j'ai décidé de me consacrer à l'écriture de livres à destination des élèves des CEM et des lycées, ceux qui seront les hommes de demain. Ceux d'aujourd'hui, nous avons détruit leur rêve d'une Algérie espérée un jour de juillet 1962 sous les youyous des femmes. Mon dernier livre, «L'orphelin», vous pourrez le commander à la librairie du Tiers-Monde ou à la librairie Ijtihad, chez Boussaâd. Ce livre traite des conditions sociales malheureuses et psychologiques des orphelins, ainsi que de la société mozabite et de l'exploit que les Mozabites ont réalisé en construisant une ville dynamique dans le désert depuis leur fuite de Tihert (période rostomide – VIIIe siècle), acculés par les Zianides, puis par les Zenatas et les Zirides. Ce livre traite des mœurs et des us dans la vallée du M'zab.
Cordialement à vous.
A. Z.

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