Une contribution de Youcef Benzatat – Montée du néofascisme : le nationalisme ethnique en marche
Le nationalisme ethnique en Kabylie gagne dangereusement du terrain de jour en jour et tout ce que les médias, les intellectuels et les politiques d’«opposition» trouvent à dire, c’est d’imputer la montée de ce néofascisme en réaction au nationalisme conservateur d’un pouvoir autoritaire, répressif et ethnocidaire. Comme l’a été avant lui «le FIS de la haine» avant qu’il n’enlève le masque sur son vrai visage. Dans un cas comme dans l’autre, les aspects les plus sombres de ces idéologies extrémistes, porteuses de violences extrêmes dans la société et de fractures profondes dans l’unité du peuple, sont évacués nonchalamment des mœurs discursives de l’élite, comme si la fatalité faisait partie de notre identité. Pourtant, au tournant de l’indépendance, le pays regorgeait d’un peuple uni et jovial, enivré de bonheur, celui que l’on ressent lorsque l’on a rapatrié un bien précieux. Un bien à travers lequel on se réapproprie son identité, qu’on confond et projette sur lui, de sorte à l’incarner pour devenir son unité. La nation algérienne était en marche. Il n’y a de fatalité que là où il y a de la nonchalance. Au tournant de juillet, le premier été sans nuages, avant même le printemps, et tous les autres printemps, le peuple kabyle, comme tous les autres peuples parsemés sur les immenses territoires du pays, exprimait son orgueil et la fierté d’avoir lui aussi rapatrié son humanité, en jubilant dans la communion «Tahia El-Jazaïr ! Tahia El-Jazaïr !» Un sentiment profond de rapatriement de la mémoire collective, dépouillé de toutes les nonchalances obscurantistes, où résident les démons de l’errance. Depuis ce temps, notre élite n’a cessé de se laisser dériver sur un terrain mouvant, en dissimulant un œil avec une main pour observer passivement le monstre grossir tragiquement. Allant jusqu’à lui trouver des vertus imaginaires. Comme ce fut le cas du nationalisme socialiste entre les deux guerres. Ainsi, le Mouvement culturel berbère (MCB) et tant d’autres apprentis sorciers sont devenus les symboles de la revendication démocratique, de la liberté de conscience et de la laïcité, et le MAK n’est qu’une excroissance perverse de tout ce système idéologico-ethnique. Aveuglement, complicité ou paresse ? Rien n’est plus dangereux que de se cacher à soi-même sa réalité avec une main au-dessus d’un œil. La crise amazighe est une réalité sérieuse, aussi sérieuse que ne l’est la crise religieuse, pour l’aborder nonchalamment. La nation algérienne en recomposition, depuis les premiers développements de la lutte pour le recouvrement de la souveraineté nationale, au tout début du XXe siècle, devait affronter ces deux crises majeures et en sortir grandie. Depuis, rien n’a été entrepris et les deux crises n’ont fait que grossir pour devenir des monstruosités. Entretemps, le pays est devenu une immense salle d’attente ou près de 40 millions de désœuvrés attendent un train sans destination connue. On se débrouille comme on peut pour manger à sa faim, par tout moyen, sans rien produire. On se loge comme ça vient, au bon vouloir du pouvoir, lorsque l’on a été élu à un logement social arraché des griffes de la corruption qui gravite autour de la rente, sans rien payer. On se marie et on enfante, quand on peut, sans aimer, sans rien attendre de l’école ni d’une carrière pour sa progéniture. On se contente de faire la sieste à la mosquée et de défouler ses frustrations au stade et on attend. On attend un train sans savoir quand il arrivera ni quelle destination il prendra. Subissant tantôt les assauts de la guerre religieuse et maintenant celle de la guerre identitaire qui pointe son nez aux portes de notre insouciance. La pire des guerres : la guerre interethnique. Ce n’est qu’une question de temps. Le temps que les démons se renforcent. Bien que nous ne cessions d’assister impuissamment à diverses altercations qui émaillent les différentes manifestations de la revendication de l’amazighité de l’Algérie. Aussi bien en France qu’en Algérie, sans omettre de citer la tragédie permanente qui se déroule à Ghardaïa. Comment en est-on arrivés là ? L’erreur serait d’attribuer l’avènement de ce néofascisme à cette seule situation désespérée de la population, que nos élites, qui sont aussi aveuglées par l’humiliation qu’ils subissent de la part d’un pouvoir autiste à leurs revendications, les précipite vers la caution de l’injustifiable. Refoulant la motivation première du MCB, qui est la revendication identitaire amazighe au détriment de l’aspect multiethnique et des divers métissages qui caractérisent la composante humaine des Algériens. Quant à l’attribution de la paternité du combat pour la démocratie, la liberté de conscience et la laïcité à la seule Kabylie, à travers le MCB, cela participe de cet autre aveuglement qui consiste à vouloir opposer l’amazighité à l’arabité et l’islamité dans la définition de l’identité nationale. Sans rien ignorer du désir universel des peuples à s’émanciper vers la liberté, l’égalité et la justice sociale, dont le peuple algérien est un candidat comme le serait tout autre peuple. On n’est pas loin de la situation décrite par le philosophe yougoslave Radomir Konstantinovic dans sa thèse sur la philosophie de bourg, pour qui l’éloignement du peuple de la politique et de la subjectivation sous un régime populiste finit inéluctablement par laisser place à la dépolitisation de masse et à la violence interethnique. Symptomatique l’est cet éditorial d’un site amazighophone, pour qui la Kabylie a définitivement consommé sa séparation avec l’Algérie après le «triomphe» de la célébration du 36e anniversaire du «printemps berbère» ! Dénoncer cette dérive ne diminue en rien le sentiment de fierté que l’on éprouve de nous savoir d’ascendance amazighe. Comme du reste, reconnaître le caractère métissé de notre composante humaine ne fera pas plus de nous des Arabes, des Turcs, des Maltais, des Africains subsahariens, des Européens, des Hébreux, ou tout autre peuple ayant contribué à l’enrichissement de notre humanité et son universalité. Notre identité est tout simplement algérienne, à laquelle il faudra adjoindre par le combat politique des valeurs universellement partagées, telles que la démocratie, la liberté de conscience, la laïcité, l'égalité et la justice sociale.
Youcef Benzatat