Revenir à la matrice originelle et aux idées fondamentales
La nouvelle contribution du Dr Arab Kennouche sur Houari Boumediene le visionnaire suggère une autre interprétation du contenu de son précédent article. En effet, H. Boumediene et ceux qui l’estimaient, voire lui reconnaissaient le titre de leader anti-impérialiste incontestable et incontesté, n’ont pas mis suffisamment en exergue les dimensions traitées dans son présent article : le géostratège et le visionnaire. C’est vrai qu’il était peu disert sur ses questions et qu’il ne s’en ouvrait qu’à de rares occasions aux «civils». D’ailleurs, il triait sur le volet ses auditoires et ses services veillaient à ce que les journalistes présents ne reprennent que les banalités politiques lorsque la réunion était médiatisée. Les aspects relatifs aux analyses des questions stratégiques étaient le plus souvent mis «sous embargo». Ses propos étaient destinés à susciter chez les présents une vigilance pour qu’ils comprennent et soutiennent les mesures prises ou à prendre et restent mobilisés, au sens militaire du terme. Les messages lancés lors de ces rencontres, plus ou moins informelles, avec par exemple, des responsables étudiants des Comités de volontariat pour la Révolution agraire, des responsables syndicaux et des membres du parti FLN, etc. ne ciblaient pas la grande masse, mais ceux qu’il désignait par le terme «d’avant-gardes». Ces dernières devaient, selon les vues de H. Boumediene, faire le travail de proximité et d’encadrement de la masse avec, dans leur musette, les munitions politiques que constituaient les éléments d’analyses fournis par le leader. Mais là était précisément le hiatus. Les multiples problèmes de vie quotidienne auxquelles s’ajoutait un faible niveau de culture politique de la population, résultante directe de l’absence de liberté accordée par le régime aux actions et à l’expression démocratiques des citoyens, ont entraîné le désintérêt croissant de la masse des Algériens et même de certaines élites pour les questions politiques et, plus encore, stratégiques. C’était en quelque sorte une réponse au comportement du pouvoir «puisque ces questions sont réservées à ceux « d’en haut »», débrouillez-vous !» C’est le revers du mode autoritaire de gestion de la société que de transformer les forces qualifiées pourtant de «vives et agissantes» en une masse inerte, suiviste, prompte à applaudir le plus fort du moment (des «toujours ma3aa el waqef» !) Je ne vais pas m’aventurer à trouver une explication au processus politique et institutionnel qui a abouti à faire perdre à l’Etat algérien sa boussole politique et surtout l’a privé d’une vision stratégique et prospective à la mesure de son «poids» objectif. Certains éléments peuvent être pris en considération, à titre de rappel : d’une part, l’élargissement – même à un faible rythme – de son potentiel économique, démographique et militaire et, d’autre part, les grands bouleversements intervenus dans le rapport de forces à l’échelle mondiale après la chute du Mur de Berlin, l’implosion du Pacte de Varsovie, suivie de l’approche de puissance hégémonique sans précédent qui a animé une Otan menée avec une poigne de fer par les faucons du Pentagone et leur(s) représentant(s) à White House. La plongée de l’Algérie, Etat et société, dans le tourbillon qui a failli l’emporter durant la décennie 1990, prise en étau qu’elle fut entre les conséquences socioéconomiques très dures de la politique d’ajustement structurel et les coups de boutoir assénés par l’islamisme politique et ses bras armés terroristes sont une explication plausible. Mais n’est-ce pas le devoir et le rôle des stratèges et des prospectivistes que de prendre du recul de garder la tête froide et un regard lucide même dans les pires moments de l’Histoire ? Beaucoup parmi ceux qui durant ces années ont lancé des alertes et fait preuve de lucidité pour diagnostiquer le mal et indiquer de possibles remèdes se sont retrouvés soient assassinés soient évincés du système, parce qu’ils refusaient d’aller dans le sens des orientations d’abdication et d’acceptation du rôle de vassal que certaines puissances, relayées par des responsables au plus haut niveau, proposaient à l’Etat algérien. Il faut préciser que la déboumedienisation a continué bien après la démission de Chadli. L’assassinat des élites comme Djilali Liabès, chercheur en sciences sociales, ex-ministre de l’Enseignement supérieur, DG de l’Inesg, M’hamed Boukhobza, cadre de la nation et DG de l’Inesg, du colonel de l’ANP Sari, du leader syndical Abdelhak Benhamouda et de nombreux autres sont les faits sur lesquels se base ma présente opinion. Mais à qui revenait la responsabilité de «mise à jour» de la doctrine de défense de l’Etat algérien ? A la présidence de la République, à l’état-major de l’ANP, aux différentes commissions de défense du Parlement et aux institutions publiques (Inesg), assurant de façon plus ou moins formelle le rôle think tank de la Présidence ?
Ne pas oublier les leçons de l’Histoire
L’Algérie n’est pas un territoire isolé, une île perdue dans un immense océan, vivant en autarcie… elle ne peut s’offrir le luxe de regarder son nombril et de vivoter selon les humeurs des clans empêtrés dans leurs puériles querelles sur la part de gâteau réservé à chacun ! Pour ceux qui feraient semblant de l’ignorer, rappelons que c’est le pays le plus vaste en superficie du continent africain depuis que le Soudan a été amputé de ce qui est devenu le Sud-Soudan. L’Algérie fournit une part non négligeable de l’énergie nécessaire à la croissance économique et au bien-être de plusieurs pays de l’UE. Elle importe chaque année de cette zone plusieurs milliards d’euros de produits stratégiques, technologiques, des services, mais aussi de la pacotille, ce qui, il faut le noter, représente beaucoup d’emplois pour les entreprises de ces pays… et un manque à gagner énorme pour le Trésor public depuis la mise en vigueur des accords d’association à la zone de libre-échange. Et, enfin, facteur non négligeable, elle dispose dans les pays de l’UE, et particulièrement en France, d’une forte communauté de citoyens établis parfois depuis plusieurs générations. Mais n’oublions que pendant la lutte pour l’indépendance, le noyau des Etats fondateurs de la communauté européenne était du côté de la France officielle, elle-même membre de l’Otan, même si, pour rester fidèle à l’Histoire, il ne faut pas omettre de dire qu’une bonne partie de l’opinion publique dans ces pays était favorable à l’indépendance de l’Algérie et sympathisait avec les représentants légitimes du peuple algérien en lutte. Au final, une réflexion pour la mise au point de la doctrine géostratégique de l’Algérie pour les 30 prochaines années est absolument indispensable pour renouer avec ce qui a valu à l’Etat algérien respect et considération des plus grands de ce monde et l’admiration des peuples en lutte pour leur dignité et leur souveraineté. C’est le legs de Novembre 54 et H. Boumediene a tout fait pour en être un digne héritier. Ce statut qu’il s’est forgé au niveau de l’opinion algérienne était aussi le fruit du contrat social qu’il a su nouer avec les forces sociales fondamentales et qui a fonctionné malgré toutes ses limites, quoi que puissent en penser, a posteriori, les uns et les autres. Aujourd’hui, avec une société épuisée, une administration délitée, des élites politiques et culturelles anesthésiées ou en exil, l’Armée nationale populaire, professionnalisée, encasernée, hyper-galonnée, mais sans leader charismatique, se retrouve neutralisée dans sa capacité de réflexion sur les questions stratégiques et donc limitée dans ses capacités à faire preuve de proactivité dans sa politique de défense nationale. Sa relation, longtemps positive, avec le peuple en a «pris pour son grade» et ses bavures, réelles ou imputées, ont terni son image et sapé son moral. En fait, une armée n’est forte que si la société dont elle est partie prenante fait preuve de discipline, respecte les règles qui la régissent et cultive le sens de l’autodiscipline. Ces qualités ne doivent pas être confondues avec la soumission due à la crainte de représailles. La clé de la capacité à faire des «forces vives» d’une nation une force de dissuasion capable de résister si ce n’est de défaire n’importe quel ennemi est le soft power : savoir s’adresser à l’intelligence des citoyens et croire en leur capacité à trouver des solutions rationnelles à leurs problèmes et à se sacrifier pour défendre la patrie, si nécessaire. Pour un Etat, parvenir à un tel rapport gouvernants/gouvernés est plus dissuasif que n’importe arme nucléaire ou système offensif, fut-il le plus sophistiqué. Les guerres asymétriques qui se déroulent en «live» nous le démontrent chaque jour…
Pour remplir ses missions, les responsables de l’Etat algérien, chef de l’état-major en tête, doivent revenir à la matrice originelle et aux idées fondamentales qui ont permis à une population colonisée, semi-alphabétisée et rongée par le chômage de triompher d’une puissance surarmée, traumatisée par l’humiliante défaite que leur a fait subir le général Giap à Diên Biên Phu et qui ne voulait pas, pour garder son rang et son image, d’une seconde défaite en Algérie même au prix d’une série de crimes de guerre. Cela dit, pour rappeler la violence de la guerre de Libération et réfuter l’idée de l’octroi de l’indépendance par un «généreux» général de Gaulle…
A l’intention des «naïfs» qui dirigent le néo-FLN : cette victoire est le résultat de l’adhésion de la partie du mouvement national qui a cru à l’idéal d’indépendance de la nation algérienne et au droit de se constituer en Etat national souverain et d’y instaurer une société fondée sur la justice sociale, bannissant l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est vrai que les dirigeants de l’époque avaient pour la majorité d’entre eux moins de quarante ans, qu’ils voulaient se réaliser en tant qu’Algériens et rien d’autre. Beaucoup de ceux qui ont survécu ont oublié les leçons de l’Histoire, cette Histoire qui, pourtant, les jugera un jour. Si on parle de H. Boumediene, quarante ans après son décès, en terme de respect et pour certains, avec admiration, qui, parmi les dirigeants actuels, suscitera le même sentiment ?
M. Bensaada
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