Quand un nostalgique de l’Algérie française reconnaît à Michel Rocard son combat contre la colonisation
La mort de Rocard rouvre la plaie de la guerre d’Algérie dans la conscience des Français. Le message de Jean-Marie Le Pen destiné à rappeler à ceux qui l’ont oublié, que «Michel Rocard fut un combattant de la guerre d’Algérie : dans le camp de l’ennemi !», qualifie ainsi ouvertement, dans cette affaire, l’ancien Premier ministre, décédé samedi soir, de «traitre à la France», mais lui reconnaît du même coup la qualité de militant anticolonialiste. Le fondateur du Front national est le seul, de tous les hommes politiques, de différentes obédiences, qui ont réagi et commenté le décès de Michel Rocard, à avoir évoqué, mais dans des termes loin d’être élogieux, une des meilleures pages du passé de cet homme politique de gauche qui a milité pour la paix en Algérie, c’est-à-dire pour l’indépendance de notre pays. Le Pen fait allusion d’abord au geste historique de Michel Rocard qui, alors qu’il était inspecteur des finances, en mission en Algérie pour le compte de son administration, enquête sur les centres de regroupement. Il rédige, en février 1959, son célèbre rapport adressé au chef de l’Etat français, le général de Gaulle, pour lui faire prendre connaissance des réalités cruelles vécues par les familles de paysans algériens chassés de leurs habitations et dépossédés de leurs biens pour être parqués dans de véritables enclos.
Ce rapport sur les regroupements de populations, pratiqués par la France dans le plus grand secret, dès 1957, pour isoler l’Armée de libération nationale (ALN) de son milieu naturel, le monde rural et ses habitants, principalement dans les montagnes, est publié par deux médias français, Le Nouvel Observateur et le Monde. Il fait scandale dans le camp socialiste qui suivait François Mitterrand, responsable de premier plan du «maintien de l’ordre», c’est-à-dire de la répression qui fit un million et demi de victimes parmi la population algérienne. La «note» de Michel Rocard sur les centres de regroupement et sa description des conditions sanitaires et de la situation de famine dans lesquelles se trouvaient les regroupés, a contribué à renforcer dans la population française et en particulier chez les intellectuels, le courant d’opinion contre la guerre coloniale. Son témoignage enregistré pour un documentaire réalisé en 2012 sur les centres de regroupement a valeur, aujourd’hui, d’acte d’accusation : «Mon avis, c’est que sont mortes de faim 200 000 personnes et en majorité des enfants».
Dans un second tweet, publié quelques heures après le premier, Le Pen précisait son accusation : «Michel Rocard se vantait d’avoir porté des valises de billets qui servaient au FLN à acheter des armes pour tuer des Français», le plaçant au même rang que les héros membres des réseaux Francis Jeanson et Henri Curiel, qui étaient engagés directement, à partir de l’Hexagone même, dans «le camp de l’ennemi», pour reprendre le terme hargneux du fondateur du Front national. Rocard a eu incontestablement sa part dans le combat victorieux des Algériens, en animant les petits groupes d’intellectuels de gauche, partisans de l’indépendance de l’Algérie, qui donneront, en 1960, le Parti socialiste unifié (PSU) dont il devient le secrétaire général. L’ex-leader de l’extrême droite française s’attaque à ce qui a constitué un élément fondateur de l’engagement à gauche de Michel Rocard, à partir de sa farouche opposition à la guerre coloniale menée par la France contre le peuple algérien, qui luttait les armes à la main pour l’indépendance de son pays.
Dans cette guerre, Jean-Marie Le Pen était dans le camp opposé à celui de Rocard ; le camp de ceux qui s’obstinaient, par tous les moyens, à maintenir l’Algérie dans son statut de colonie française. Le Pen s’était engagé dans les parachutistes de sinistre mémoire et, pire, il avait le grade d’officier dans les services de renseignement qui ne savaient rien faire d’autre que torturer à mort leurs prisonniers. Le 2 février 1992, au cours d’une émission télévisée, face à Le Pen, Michel Rocard l’a accusé d’avoir torturé en Algérie. Il n’est plus là pour répondre à l’attaque de Le Pen. C’est à ses compagnons et ceux qui se disent ses disciples, au sein du Parti socialiste, d’avoir le courage de défendre sa mémoire.
Houari Achouri
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