Maître Bourayou à Algeriepatriotique : «La loi sur le devoir de réserve imposé aux militaires ne servira pas ses promoteurs»
Algeriepatriotique : Le général à la retraite Hocine Benhadid vient de bénéficier d’une libération conditionnelle. Quel est votre sentiment ?
Maître Khaled Bourayou : Mon sentiment est un sentiment de satisfaction. Quand on libère un homme, c’est toujours bon. Surtout lorsqu’il s’agit d’un homme dont l’état de santé est assez grave, qui a passé de longs mois en détention préventive pour avoir exprimé une opinion qui lui a valu une poursuite criminelle. Comme nous l’avons souligné à maintes reprises, mes confrères et moi-même, cette poursuite ne tient pas la route. Les faits nous ont donné raison. Le juge a correctionnalisé l’affaire. Benhadid sera jugé pour un délit, celui d’atteinte à corps constitué.
Comment expliquez-vous cette soudaine libération conditionnelle ?
Il faut revenir à la genèse de cette affaire, d’abord. Il s’agit d’une interview accordée à une radio en ligne dans laquelle il avait exprimé une opinion sur la situation du pays et de ses institutions. Rien que pour avoir exprimé cette opinion, la machine judiciaire s’est mise en branle. Il fut interpellé par une escouade de gendarmes qui l’a arrêté en pleine autoroute et conduit au siège de la police judiciaire, avant d’être présenté à une heure tardive au doyen des juges d’instruction qui lui a décerné un mandat de dépôt pour «participation à une entreprise de démoralisation de l’armée dans le but de nuire à la défense nationale». Ces faits sont prévus et punis par l’article 75 du Code pénal. Il risque, comme sanction criminelle, une peine de dix ans de réclusion. On remarque dans cette affaire une démonstration de force de l’appareil judiciaire à l’encontre d’un homme âgé, de santé fragile, probe et, de plus, ayant assumé de grandes responsabilités militaire dans les moments les plus difficiles que le pays a vécus. Il n’a pas détourné ou dissipé des deniers de l’Etat ou entrepris une action de déstabilisation des institutions de la République. La justice a manqué de sérénité. La justice est puissante lorsqu’elle exprime sa force dans la sérénité et l’équité. Toutes ces vertus ne peuvent s’épanouir pleinement que dans le cadre de l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Le général Benhadid a passé dix mois derrière les barreaux sans être jugé. Comment une telle situation est-elle possible dans un Etat qui se dit de droit ?
Il faut s’entendre sur le sens des mots. Nous sommes beaucoup plus devant un pouvoir que devant un Etat de droit. Un Etat de droit signifie que la loi est l’unique et le seul souverain qui a pour glaive l’autorité du droit. L’Etat de droit, ce sont les institutions et non les hommes. L’Etat de droit c’est la préservation de la liberté des citoyens et la protection de leurs droits fondamentaux. Ce n’est pas la soumission à l’obsession des hommes et à leurs instincts tyranniques. Ce n’est pas le pouvoir d’un homme ni celui d’une caste ou d’un clan. L’Etat de droit s’incarne par une justice indépendante.
Concrètement, qui est derrière cet abus de pouvoir et quelle en est la raison ?
Comme je vous l’ai déjà dit, je n’attaque personne. Dans cette affaire, il y a un crime de lèse-majesté. Benhadid a cité quelques noms et il s’est retrouvé en prison. Je n’irai pas plus loin. Ce n’est pas correct et ce n’est pas de cette façon que la justice doit travailler. La justice ne doit pas être un instrument de pouvoir. C’est une institution au service du droit et de l’équité.
Où en est cette affaire, judiciairement parlant ?
L’affaire a été renvoyée devant le tribunal correctionnel. Il y a beaucoup à dire à propos de l’infraction pour laquelle le général Benhadid est poursuivi. Il est sous contrôle judiciaire. J’espère bien que dans les prochaines semaines, son affaire sera évoquée et jugée afin qu’il puisse, enfin, pouvoir se soigner.
Le général Hassan est également maintenu en prison pour avoir accompli une mission qui lui a été confiée par sa hiérarchie. Comment expliquez-vous cette aberration ?
Je vais vous dire une chose : nous sommes probablement l’un des rares Etats au monde où les luttes de clans occupent le pouvoir et le détournent de sa mission essentielle, c’est-à-dire le développement du pays. Cette lutte de clans, qui a changé aujourd’hui de cadre et d’enjeux politiques, a causé d’énormes dégâts au pays et beaucoup de victimes dont certainement le général Hassan. Ce grand officier est un cadre hors pair aux compétences reconnues et à l’expérience avérée, il a su dominer les ennemis du pays et conduit ses missions avec succès dans le strict respect de la hiérarchie fonctionnelle. Il est condamné pour avoir justement exécuté les ordres de son responsable hiérarchique. Le général Hassan est gravement malade, épuisé par de nombreuses pathologies qui compliquent son séjour carcéral. Le général Hassan qui attend toujours la décision de la Cour suprême doit être libéré ou, à tout le moins, transféré dans un centre hospitalier adéquat. Une justice forte est une justice humaine.
Le Parlement vient d’approuver un projet de loi interdisant aux officiers à la retraite de s’exprimer. Quels desseins se cachent derrière cette volonté de faire taire cette frange de la société ?
Aujourd’hui, nous sommes dans une problématique de guerre de clans perceptible. On veut gouverner le pays par le silence. Or, les pays ne se gouvernent pas par le silence, mais par les libertés. Cette loi a pour objectif de museler les espaces d’ expression des cadres retraités de l’armée qui, dans beaucoup de pays libéraux, ne sont pas tenus par l’obligation de réserve mais sont néanmoins astreints au secret professionnel. Cette loi est incompatible avec les exigences d’un Etat de droit et les impératifs de la liberté d’expression. Cette loi ne servira pas ses promoteurs. Il arrivera un jour où cette même loi leur sera appliquée alors qu’ils auront certainement des vérités à révéler ou des explications à donner ou encore moins des points de vue à défendre.
Nous n’avons pas entendu beaucoup d’intellectuels et d’acteurs de la société civile dénoncer cette loi abusive. Pourquoi, selon vous ?
La société est tétanisée. Depuis quinze ans, nous avons développé des politiques de musellement de la société civile. Aujourd’hui, pour créer une association de quartier, vous êtes astreint à un véritable parcours du combattant. Cela devient extrêmement difficile. On a dévitalisé la société qui a compris que la sanction de ceux qui oseront parler sera la prison.
Quelle est la solution ?
La solution est politique. Il faut que ce pouvoir comprenne qu’il n’a pas besoin d’une affaire Hassan, Benhadid ou KBC. Le pouvoir doit veiller à préserver les libertés et les droits fondamentaux.
Le rachat du groupe El-Khabar par Issad Rebrab vient d’être annulé. Cette affaire a défrayé la chronique. Quelle lecture faites-vous de cette intervention in extremis du ministère de la Communication pour l’empêcher ?
La décision était attendue. Je le savais depuis longtemps. Je dis que cette affaire est cousue de fil blanc. Si le ministre de la Communication avait considéré que la transaction n’était pas conforme à la loi, son département ministériel aurait dû prévenir les parties contractantes. Seulement, on a laissé faire jusqu’à l’enregistrement du contrat pour réagir et c’est à ce moment-là que le ministre de la Communication a cru devoir intervenir en invoquant l’article 25 de la loi sur l’information. Une telle attitude est pour le moins équivoque. Cette disposition ne peut être appliquée à ce cas d’espèce. Ce n’est pas Rebrab qui a acheté une partie du capital de la société par actions. C’est la société Ness Prod qui ne possède aucune autre publication, comme l’interdit l’article 26 du code de l’information. Dans cette affaire, le droit a été mal appliqué et la justice mal rendue. Le jugement rendu le 13 juillet par le tribunal administratif n’est pas fondé. La société Ness Prod ne peut être concernée par cet article.
Le gouvernement semble s’apprêter à «purger» le champ médiatique en ne gardant que les journaux, télés et sites à la solde du pouvoir. Comment voyez l’avenir des médias en Algérie dans les mois à venir ?
L’avenir est sombre. La presse libre est un acquis irréversible et considérable pour ce pays. Je pense que l’Algérie ne pourrait avoir sa place dans le monde sans une presse libre. L’avenir de ce pays est dans les libertés et droits fondamentaux. A mon avis, il n’y a pas un avenir autre que celui-là. Tout pouvoir qui s’éloignerait de cette philosophie et fermerait le champ médiatique serait un pouvoir tyrannique et ce genre de pouvoir, à mon avis, s’élève à l’ombre des lois et ne se mettra jamais à l’ombre des libertés.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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