Comment Fethullah Gülen veut isoler l’autocrate d’Ankara
Diabolisé par Ankara et décrit comme un chef terroriste, le guide du mouvement Hizmet, Fethullah Gülen, veut exploiter les dérives successives du gourou de l’AKP pour lui porter l’estocade et le discréditer à jamais envers ses partenaires traditionnels. C’est pourquoi il a choisi de publier une tribune dans la presse occidentale, dont Le Monde, pour donner un sens politique à sa contre-offensive. Une contre-offensive répercutée simultanément par ses relais, dans les différents mouvements d’obédience entriste, qui sortent un à un de leur anonymat pour prendre la défense de leur maître et de cette confrérie. Le chef du MSP algérien s’est révélé être l’un de ces partisans après avoir longtemps montré une allégeance aveugle au parti au pouvoir à Ankara, et jubilé après la mise en échec du putsch.
Jusque-là inconnus du large public dans le monde musulman, Fethullah Gülen et ses partisans ne veulent pas rater cette occasion qui leur est offerte pour se poser en interlocuteurs islamistes «modérés» et «acceptables», comparés à l’autoritarisme de l’AKP et de son chef qui, non seulement veut rétablir la peine de mort mais, plus grave encore, a choisi de se détourner de l’Occident.
Dans cette tribune, Gülen nie toute implication de son mouvement dans la tentative du coup d’Etat du 15 juillet dernier et appelle à la création d’une commission internationale pour «mener des investigations» sur ces événements. Il dénonce «la dérive autoritaire» du pouvoir turc et demande le «retour de la démocratie».
Il écrit : «Victimes d’une “chasse aux sorcières”, des centaines de milliers d’individus vivent un véritable drame humanitaire. Près de 90 000 personnes ont perdu leur emploi, 21 000 professeurs se sont vu retirer leur autorisation d’enseigner. Que souhaite le gouvernement ? Affamer ces gens qui ne peuvent plus exercer leur métier et qui sont frappés d’une interdiction de sortie du territoire ? Quelle est alors la différence avec les mesures prégénocidaires de l’histoire européenne ?» Remarquons que c’est le même argument formulé par Abderrezak Mokri dans son plaidoyer en faveur de Gülen et du mouvement : «Erdogan a le droit de briser les reins au groupe de putschistes de sorte à anéantir ses effets négatifs sur lui, sur son projet et sur la Turquie en général (…) Mais, de là à punir des personnes pour la simple raison qu’elles appartiennent au mouvement Hizmet, fermer les écoles, les entreprises et mette fin à l’activité d’hommes d’affaires et mettre en péril l’avenir professionnel d’un grand nombre de travailleurs, cela est inacceptable.» (Lire article par ailleurs).
Niant toute implication dans cette tentative de coup d’Etat, Gülen lance un appel au régime d’Ankara pour accepter une commission internationale indépendante pour en déterminer les responsabilités. «Si le dixième des accusations dirigées contre moi sont établies, promet-il, je m’engage à retourner en Turquie et à subir la peine la plus lourde. » Il sait pertinemment que l’autocrate d’Ankara n’acceptera pas cette demande mais sait néanmoins que ce repli sur soi engagé par Erdogan depuis un mois finira par l’affaiblir et l’isoler.
R. Mahmoudi
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