Contribution du Dr Bachir Dahak – Affranchir l’islam de France de ses mauvais démons
Les propos qui suivent n’ont pas vocation à polémiquer avec les musulmans de France qui pratiquent leurs croyances dans le strict respect des lois de la République. Ils sont les premiers à condamner et rejeter toutes ces violences verbales ou physiques, tous les attentats terroristes, d’abord parce qu’ils en ont été aussi les victimes, mais surtout parce que cela contredit un principe essentiel de la lettre coranique : «Point de contrainte en religion» (sourate 2, Al-Baqara, verset 256). Les musulmans de France qui fréquentent pacifiquement leurs mosquées doivent bénéficier du même regard et du même respect que celui accordé aux autres religions, car dans leur grande majorité, ils ne sont les soldats de personne. Leur seule ambition – et elle est légitime –, c’est de pouvoir se consacrer à leur culte loin de toute accointance, relais ou symbole pouvant les assimiler à autre chose que des croyants.
Ce n’est certainement pas dans l’esprit d’un musulman ordinaire que naissent toutes ces initiatives qui relèvent de la communication et du spectacle avec pour principal objectif de singulariser encore plus les musulmans, d’accentuer leur différence, de signifier ainsi que tout leur fonctionnement social obéit d’abord aux règles religieuses avant de se conformer aux valeurs et principes qui font la cohérence des sociétés dans lesquelles ils sont nés ou dans lesquelles ils ont choisi de vivre.
Au milieu ou à côté de ces milliers de musulmans, aussi horrifiés par le djihadisme que le reste de la population, apparaissent, à ciel ouvert, des islamistes militants, des activistes radicalisés, des blogueurs connectés à une mouvance islamiste mondialisée, des imams qui n’hésitent pas une seule seconde à amplifier leurs discours de haine et de guerre par la production de supports audiovisuels sur la toile, y compris lorsque les propos révèlent, chez leurs auteurs, plus de symptômes psychiatriques que de références théologiques avérées.
Des milliers de musulmans en France ou ailleurs se demandent encore, aujourd’hui, comment le très controversé imam Abou Houdeyfa de Brest, et de nombreux autres, peuvent encore asséner leurs obscénités et leurs bêtises, dans l’impunité d’une république minée par ses lois et son énarchie(*) mollassonne. Mais, hélas !, ils ne sont pas les seuls et il y a de fortes chances que ces discours haineux, ces attitudes de défiance ou de repli, aujourd’hui incarnées par les extravagances vestimentaires, n’aient qu’une seule conséquence, c’est-à-dire d’alimenter les discours de M. Sarkozy, de Mme Le Pen ou de M. Wauquiez qui préparent une campagne électorale basée sur un leitmotiv commun : «Les musulmans nous font peur».
Nous serions mal inspirés de le leur reprocher puisque, en plus du contexte mondial peu rassurant, des voix extrémistes musulmanes, en France, sont là pour alimenter régulièrement ce credo, en donnant corps à toutes les préconisations d’affirmations communautaires régulièrement rappelées par les prédicateurs des chaînes saoudiennes ou qataries, certains étant même les invités vedettes du rassemblement annuel de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF).
Il y a bien une convergence entre l’existence et l’amplification d’un salafisme militant, radical et procédurier et la montée en puissance d’un discours politique tour à tour xénophobe, nationaliste ou chauvin, le premier alimentant le second au détriment des croyants sincères, beaucoup plus nombreux, qui ne veulent être ni les complices des uns ni les victimes expiatoires des autres à l’approche de chaque élection.
Tout l’enjeu est là : comment empêcher que la majorité écrasante des musulmans de France ne soit assimilée ou réputée consentante à la stratégie d’une minorité de militants islamistes très bien identifiés dont les rodomontades et les écarts servent directement la soupe à une droite qui ne peut rêver d’un meilleur argumentaire pour rallier à elles des électeurs déstabilisés, tout disposés à croire qu’effectivement les musulmans sont des terroristes potentiels et des enfants putatifs de Daech ?
L’autre enjeu pour les autorités françaises est bien de protéger les musulmans de France de l’influence mortifère de cet extrémisme religieux à très forte connotation saoudienne et wahhabite, qui constitue le courant le plus rétrograde et le plus réactionnaire de l’islam. Il s’agit, qu’on le veuille ou non, de la principale munition idéologique du terrorisme puisqu’il en est l’antichambre, la banque et la logistique.
Faisons écho à ce qu’écrivait hier dans Libération l’éditeur égyptien Aalam Wassef et crions fort «que nous n’avons pas peur de dire qu’islam et wahhabisme sont deux choses radicalement distinctes, et que le second menace le premier depuis plus de deux siècles».
Allons-nous accepter passivement que les musulmans de France subissent, malgré eux, le diktat de quelques illuminés en perdition qui ne voient dans le Coran qu’un code pénal bis, à l’instar de l’Arabie Saoudite, alors que partout du monde musulman et de France, montent des voix rassurantes qui intègrent l’importance du discours spirituel, mais qui affirment concomitamment que le Coran reste un texte temporel marqué par le contexte socio-économique de son apparition et qu’il appartient aux musulmans de s’en saisir pour en faire la trame de leur reconstruction ?
Méditons ce verset peu connu du Coran où Dieu, s’adressant au prophète Moussa, dit : «Prends-les et commande à ton peuple d’en adopter le meilleur» (sourate 7, Al-A’râf, verset 145). N’est-ce pas là une exhortation divine à insérer les sociétés musulmanes dans une sorte de rationalité universelle qui les éloignerait du rigorisme saoudien dont le seul objectif est de prolonger dramatiquement «le long hiver des Arabes», selon l’expression d’Abadallah Laroui ? N’est-ce pas là la plus noble mission à laquelle devront s’atteler en urgence les instances de réflexion et d’action en cours de constitution, celles déjà en place n’ayant fait que relayer béatement les desiderata de leurs puissants donateurs, y compris les plus contestables ?
Reste évidemment la dimension internationale du problème, car tout ce bourbier vient peut-être du fait d’avoir une diplomatie militaire et commerciale au lieu d’une diplomatie politique, du fait d’avoir longtemps tu ou ignoré les turpitudes des «amis» saoudiens et qataris qui promettent toujours d’acheter plus d’armes que les autres, mais qui savent parfaitement exporter le terrorisme et le wahhabisme loin de leurs frontières après y avoir consacré environ 100 milliards de dollars.
Les Français ont-ils élu des députés ou un président de la République pour faire de la France et de son armée un auxiliaire de ces monarchies sunnites, à l’arrogance financière démesurée, dont la seule préoccupation historique ou géostratégique est de combattre l’influence des chiites ? Les ont-ils élus pour que la France contribue benoîtement à la destruction de républiques laïques et multiconfessionnelles et au déplacement inhumain de millions de personnes, faisant ainsi un travail de sous-traitance pour une politique étrangère américaine bien plus pragmatique ?
Reste, enfin, la question de l’arsenal juridique antiterroriste qu’il conviendrait peut-être de ne plus adosser systématiquement aux droits de l’Homme si on ne veut pas voir se répéter le tragi-comique de ce terroriste islamiste qui se plaint, par avocat interposé, d’être trop surveillé, ou encore le spectacle affligeant de ténors du barreau qui déroulent les mêmes arguments pompeux, creusés dans les ambiguïtés coupables des textes du législateur, pour la défense de crimes incommensurablement, et surtout moralement, indéfendables.
Bachir Dahak
Docteur en droit, militant associatif
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