La stratégie de la tension pour repousser les tournées de Ross
Une tournée de Christopher Ross, l’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU, était prévue pour la fin du mois de mars 2016. Le Maroc a demandé de reporter cette visite jusqu’à la fin du conflit déclenché par l’expulsion de la composante civile de la Minurso.
La résolution du Conseil de sécurité qui s’en est suivie a été rédigée de façon à contenter les autorités du Maroc et les pousser à accepter d’accueillir Ross. «Maintenant que le Conseil de sécurité a salué les résultats de l’accord sur la Mission de l’ONU (Minurso) et réitéré son appel à des négociations, rien n’empêche le retour de Ross dans la région pour poursuivre ses efforts de facilitation. Une proposition officielle est en train d’être faite aux parties et aux pays voisins», a déclaré Farhan Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général de l’ONU, lors de son point presse quotidien du 1er août.
Seulement, Rabat ne l’entendait pas de cette oreille. Pour éviter de devoir se prononcer et rejeter la proposition de l’ONU, le Maroc a préféré provoquer un autre conflit pour repousser de nouveau la visite de Ross. De là l’épisode d’El-Guergarate qui, selon les déclarations du coordinateur sahraoui avec la Minurso, Mhamed Khaddad, vise à saper les négociations prévues par les Nations unies. Pour rappel, Ross a été désavoué à deux reprises par Rabat et ses visites repoussées dans le temps à chaque fois, en attendant la fin du mandant du SG de l’ONU, Ban Ki-moon.
La stratégie marocaine avec Christopher Ross
Dans toutes ses visites à Rabat, Ross entend que la proposition d’autonomie est le maximum que le Maroc a à offrir pour la solution du conflit du Sahara Occidental. Ross y oppose un questionnaire au Maroc sur «la nature du compromis (l’accord mutuellement acceptable) et les modalités de réalisation de l’autodétermination et quelles sont les modalités concrètes à suivre en ce qui concerne l’exercice du droit à l’autodétermination dans le cas du territoire du Sahara Occidental ?».
Au questionnaire de Ross, le Maroc répond par un autre questionnaire destiné au diplomate américain. Le 18 juin 2014, Rabat a envoyé une délégation ministérielle s’entretenir avec Ross à New York. Le compte-rendu de cette réunion signale que Ross «a été contraint d’accepter de s’engager à clarifier par écrit les paramètres de son mandat, loin de toute ambiguïté ou ambivalence», ajoutant que «la balle est dans son camp. Toute reprise du processus est désormais tributaire des clarifications qu’il est tenu d’apporter».
Pas de réponse de la part de Ross. Dans une note datée du 2 août 2014, le ministre marocain des Affaires étrangères se plaint auprès de l’ambassadeur des Etats-Unis à Rabat, Dwight Bush. Salaheddine Mezouar a exprimé «la surprise du Maroc de ne pas avoir obtenu de réponse à trois questions concernant la mission de Ross, en précisant que non seulement cette réponse, qui devait intervenir en 48 heures, est toujours attendue depuis le 18 juin dernier mais, qu’en plus, l’envoyé spécial préfère passer par d’autres canaux plutôt que de répondre directement, alors que sa responsabilité est de le faire de la manière la plus claire et que le Maroc est en droit d’obtenir des clarifications sur sa démarche».
Le 22 août 2014, Omar Hilale propose de permettre à Mme Kim Bolduc de rejoindre son poste à El-Ayoun pour pouvoir mener la guerre contre Ross. «L’accalmie autour de la Minurso permettra au Maroc de se concentrer au front diplomatique de Ross. Il sera ainsi en meilleure posture pour mieux résister aux pressions des capitales précitées, et canaliser ses efforts pour isoler Ross, l’affaiblir et le pousser dans ses derniers retranchements au sujet de son agenda caché au Sahara», dit-il.
Une note analytique sous le titre «La nouvelle stratégie de l’envoyé personnel : quel positionnement pour le Maroc ?», rédigée par le MAE marocain en date du 16 septembre 2014, fait une description de la vision des autorités marocaines de Ross. Selon cette note : «C’est un homme ambivalent, ambigu, qui dispose d’une réelle capacité à dire à chacun de ses interlocuteurs exactement ce qu’il a envie d’entendre. On ne peut pas dire dans l’absolu qu’il soit animé d’un sentiment anti-marocain. Par contre, il est indéniablement sceptique sur la volonté marocaine d’approfondir les réformes en matière de démocratie et d’Etat de droit. Il fait partie d’une frange au sein du département d’Etat qui a toujours nourri une certaine méfiance vis-à-vis du Maroc.» «L’envoyé personnel indique à présent pour la première fois que le moment est venu de réfléchir en termes stratégiques et de poser les termes de la solution mutuellement acceptable. En d’autres termes, les propositions mises sur la table des négociations par les parties jusqu’à présent n’ont pas permis d’avancer et donc qu’il faut réfléchir à autre chose. L’envoyé personnel arrive progressivement au constat qu’après cinq ans de médiation il doit rassembler de part et d’autre les ingrédients nécessaires pour qu’il puisse présenter sa propre initiative. Dans son esprit, il pourrait s’agir de donner un peu plus que l’autonomie et un peu moins que l’indépendance.»
Pour des raisons tactiques, il ne présentera rien de formel avant les élections en Algérie, en avril prochain, et va user de la diplomatie de la navette pour donner le sentiment que le plan qu’il proposera sera l’émanation de ses discussions avec les parties. En réalité, Ross y réfléchit depuis au moins deux ans et a recruté deux experts sur les questions de médiation pour l’aider. Fondamentalement, l’élément manquant qui guide l’action de Ross consiste à savoir quelle est la stratégie de Washington dans la région. Avant de servir l’ONU sur un plan formel, Ross incarne la vision américaine sur ce dossier.
Double casquette
Depuis sa nomination, Washington a décentralisé la gestion de ce dossier. En fait, la position américaine est fortement influencée par Ross lui-même. C’est cette double casquette, l’une officielle et l’autre officieuse, qui rend la situation difficile. L’unique option qui n’a pas encore été testée sur les parties jusqu’à présent est la formule confédérale. Ross l’a-t-il à l’esprit ? Elle pose un problème fondamental : dans un système confédéral, le droit à la sécession est garanti par la Constitution.
Une note adressée à l’attention du ministre des Affaires étrangères marocain en date du 2 octobre 2014 propose «d’évaluer la situation dans son ensemble et de mesurer le prix politique des événements à venir, en considérant, éventuellement, la possibilité pour notre pays de désavouer l’actuel envoyé personnel du secrétaire général, comme l’avait fait l’Algérie dans son temps avec son prédécesseur, Van Walsum, et ce au vu des tensions à répétitions qu’il suscite, qui affectent l’évolution de notre question nationale au sein du Conseil de sécurité et qui se répercutent sur nos relations avec l’un de nos plus importants partenaires».
Le 25 octobre 2014, sous le titre «Eléments d’une stratégie pour la gestion de l’exercice avril 2014-avril 2015 concernant la question du Sahara», propose le «recadrage du travail de l’envoyé personnel (EP)». Selon cette note, «Ross a démontré son parti pris flagrant et son attitude foncièrement hostile au Maroc. Sans entrer dans une confrontation ouverte avec lui, il s’agit de le discréditer. Sans en faire une victime, il s’agit de le forcer à renoncer à sa mission et, sans être ouvertement contre sa démarche, il s’agit de refuser d’être complice d’un scénario préétabli (l’échec du processus de 2007), notamment à travers les mesures suivantes :
– limiter au minimum ses déplacements au Maroc et confiner les contacts avec lui au niveau de New York ;
– en cas de déplacement au Maroc, le faire recevoir à un niveau intermédiaire (working level) ;
– distiller au niveau des relais officieux (journalistes, universitaires, parlementaires, etc.) un message sceptique à l’égard de l’EP (est-il l’homme de la situation ? Peut-on faire le renouveau du processus politique avec le même EP ? etc.) ;
– réagir fermement et promptement à tout écart de conduite de la part de l’EP ;
– Mettre la pression sur lui pour qu’il confirme, au préalable, la disposition de l’Algérie à s’inscrire fortement et sincèrement dans le compromis.
Diaspora Saharaui
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