A qui profitent les titres racoleurs de certains médias sur les crimes contre les enfants ?
Il y a de l’indécence dans la manière dont les tristes événements ayant trait aux enlèvements et assassinats d’enfants et aux crimes commis au sein d’une même famille sont révélés à l’opinion publique par certains médias, qui en font leurs choux gras. Il y a de l’indécence parce que derrière cet acharnement, on veut faire de ces faits malheureux un appât pour les lecteurs qui se retrouvent ainsi mis dans la position du voyeuriste qui se repaît de la souffrance et des malheurs d’autrui. Les mises en garde répétitives de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel à l’endroit des médias qui basculent dans ce jeu pervers de la course au scoop dans un domaine qui interpelle la conscience et bannit la cupidité, n’ont servi qu’à discréditer cette institution qui a du mal à se dresser comme un rempart contre les dépassements de plus en plus difficiles à juguler.
Dans ces médias, les faits divers morbides qui sont exagérés pour les rabaisser au niveau des fantasmes des lecteurs, ou carrément «fabriqués» pour attirer l’attention, servent de matière à des articles provocateurs, photos sordides à l’appui, bâtis sous l’angle du scandale, avec une préférence pour ce qui est en rapport avec les tabous qui subsistent dans la société et qui peuvent faire sensation au niveau de la «masse», de la «foule», du ghachi comme on dit chez nous. L’information du public est, ici, un souci secondaire, voire négligeable.
Le but premier de cette pratique du journalisme est purement commercial, car, au bout, il y a le marché publicitaire qui va où se trouvent les clients potentiels, qui achèteront les produits de consommation les plus divers présentés dans les spots-réclames et couvrant une très large palette : du couscous à l’automobile, en passant par les offres des vendeurs de portables ou la lessive et le savon pour la vaisselle, etc. C’est l’argent qui commande et qui réussit parfois à éliminer toute trace d’éthique et de déontologie dans le traitement des faits.
Les crimes crapuleux, comme ceux qui sont commis contre les enfants dans notre pays, sont, du point de vue de ces médias «charognards», les plus «délectables». Le problème le plus grave est que cette façon d’agir alimente une exploitation politique et idéologique outrancière des faits avec comme objectif inavoué de pousser la réaction des gens les plus vulnérables vers le tournant religieux radical. Tapis en embuscade, les résidus des intégristes qui ont fait tant de mal à notre peuple et à notre pays, sont là à guetter la bonne opportunité pour relancer leur propagande et tenter de faire revenir l’opinion publique aux idées archaïques, fondées sur une conception totalement rétrograde de la religion.
Les enlèvements et assassinats d’enfants, qui relèvent dans la plupart des cas de l’ignorance doublée de l’arriération mentale dans un contexte social propice à la haine et à la violence, constituent, malheureusement, une aubaine pour les propagandistes qui profitent de l’ambiance émotionnelle où la raison et la lucidité sont exclues. Au lieu de lutter contre ce qui est à la base des comportements criminels qui visent les enfants dans la proximité familiale, ils cherchent à manipuler avec démagogie l’émotion et la colère, légitimes, de la population face à des actes barbares qui n’ont pas leur place dans une société civilisée.
La riposte aux crimes contre les enfants, qu’ils soient commis par des proches ou des personnes extérieures à la famille, relève à la fois de la justice, dans le respect de l’Etat de droit, et de l’effort d’éducation auquel doivent prendre part les médias. On comprend que ce n’est pas par des titres racoleurs sur les crimes – avec un sadisme qui ferait pâlir de jalousie Alfred Hitchcock – et leur photo de couteau ensanglanté illustrant systématiquement tout sujet lié à ces horreurs, que ces médias apporteront leur meilleure contribution à faire reculer la tendance à la violence. Il faut savoir qu’en définitive, l’enjeu de projet de société est toujours présent. Il n’est pas étranger au traitement de ce type d’information sensible.
Karim Bouali et Kamel Moulfi
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