Le «nif» de Bouchouchi pour l’Oscar
Par Saâdeddine Kouidri – Oui, le film «Le puits» de Bouchouchi est en mesure d’être oscarisé, mais cela ne veut pas dire que c’est un bon film. S’il répond aux critères de l’Oscar, il ne répond pas aux critères de l’art. Il y a longtemps que l’art et l’Oscar ne font plus bon ménage. J’ai aimé ce film pour sa photo et sa bande-son. Un son qui a bousculé et surpris la salle plus d’une fois. Je n’ai pas aimé ce film pour son «happy end». Une fin populiste qui montre deux vieux autoritaires, pour ne pas dire des abrutis à l’identique, qui dans ce grand désert ne trouvent rien d’autre pour cacher des cadavres que l’unique puits, l’unique source d’eau des villageois et qui deviennent par la magie du cinéma des héros. Ils auraient été vraisemblablement des héros s’ils étaient magnanimes, ne serait-ce qu’avec les enfants. Ce n’est pas le cas.
Au surplus, cet excellent directeur de photo est resté fidèle à un scénario pour justifier ce «nif» qui, dira-t-il, ne permettait pas que les femmes qui avaient l’initiative de la révolte mènent leur marche. Cette fin peut plaire aux étatsuniens puisqu’elle reprend les vieux thèmes mille fois ressassés par Hollywood qui consistent à brosser dans le sens du poil les desiderata du spectateur, ici le «nif» pour en faire un simple consommateur, un servile. Le film est à voir pour constater aussi qu’avec cette fin, le réalisateur n’a pas respecté et ne pouvait respecter son intention qui était de rendre hommage à sa mère. Comment cette dernière pourrait-elle accepter que des mères, dans la résistance au quotidien, puissent à la fin marcher derrière des personnes qui n’avaient aucune pitié envers leurs gamins, dont l’apogée est illustré dans cette scène où il est ordonné à des gamins de psalmodier alors qu’ils se plaignaient de la soif de plusieurs jours. Ils avaient soif à en mourir. Les faire chanter était une torture. A elle seule, cette scène peut engendrer jusqu’à la confusion entre l’islam et l’islamisme. Il n’existe nulle part un héros sans l’amour de la femme et de l’enfant. Une telle confusion peut plaire aux étatsuniens, les champions des amalgames.
Le soutien du peuple à un film de type hollywoodien me semble une gageure, mais une gageure positive dans le sens où une telle expérience semble aujourd’hui nécessaire pour combler un vide, cette absence du distributeur, le pivot de ce commerce, mais surtout pour faire participer à la conquête d’un trophée de ce septième art, le plus populaire dans le monde sauf dans notre pays, les Algériens. Une façon de les réconcilier avec cet art. En attendant, les Algériens se rabattent sur les DVD de films étrangers dont la publicité est faite par leurs médias qui nous parviennent via la parabole. Rappelons que le film sur support DVD reçoit sa publicité à travers la projection dans les salles de cinéma. L’inverse est exceptionnel comme pour les 6 000 électeurs aux nominations des Oscars : ils reçoivent tous les films à la course des Oscars dans ce support. L’Algérie d’aujourd’hui n’est-elle pas dans un cas similaire ?
Au cinéma comme au foot dira le réalisateur, lors du débat sur son film hier à la salle Zinet. Sauf que dans notre pays, ce dernier est roi, contrairement au premier où les salles contrairement aux stades sont fermées dans les anciens quartiers et inexistantes dans les nouveaux. En attendant la construction de nouvelles salles et l’ouverture des anciennes, il est urgent que tous les films algériens soient masterisés et numérisés pour être commercialisés en DVD, comme il se fait à travers le monde où c’est la projection dans les salles qui fait la promotion de ce support. Dans notre pays, on peut pallier au manque de salle par le petit écran, et commencer par programmer le film «Le puits» de Lotfi Bouchouchi par les télévisions nationales et mettre le DVD en vente dans les kiosques et les librairies à la disposition du public.
A la conférence tenue à la mi-septembre où il annonçait la sélection du film «Le puits» pour représenter l’Algérie aux Oscars, Lakhdar Hamina affirmait que le ministre de l’Information d’alors, Ahmed Taleb Brahimi, avait bloqué son film «Chronique des années de braise» à la course des Oscars, mais il ne nous dit pas grâce à qui il a reçu la Palme d’or à Cannes en 1975. C’est drôle de nous informer aujourd’hui qu’un Américain souhaitait miser un million de dollars sans rappeler de combien l’Etat avait contribué à la production de son film à la Palme d’or. Dans ce cas, doit-on parler «d’oursins dans les poches de l’Etat» ou du regret de ce cinéma de qualité que l’Etat encourageait, insuffisamment certes, puisque l’exemple du ministre islamiste aux aguets n’en est qu’un des facteurs objectifs qui entravaient la construction d’un cinéma national balbutiant.
S. K.
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