Salafisme rampant chez Mohammed VI : les islamistes décrètent la philosophie illicite
En témoigne le nombre élevé de citoyens marocains ayant rejoint Daech, le salafisme a gagné beaucoup de terrain au Maroc. Mais il n’y a pas que dans la société où les salafistes ont renforcé leurs bases. Ils ont également infiltré les institutions marocaines. Dans certains secteurs, ces adeptes du wahhabisme pur et dur commencent même à y appliquer leur loi, comme c’est le cas actuellement au département de l’éducation. Et leur influence y est aujourd’hui telle qu’ils ont désormais la possibilité d’élaborer des programmes scolaires à la sauce salafiste. Les premiers à s’en plaindre sont les professeurs de philosophie.
La cause ? La récente révision de manuels scolaires marocains fait de la philosophie une «matière contraire à l’islam». «La philosophie y est présentée comme une incitation à la dépravation et à la mécréance. Plutôt que de rappeler qu’il existe dans la civilisation arabo-musulmane une tradition conciliant la foi et la raison, ce livre part du principe que la philosophie est contraire à l’islam. A aucun moment il ne mentionne les théologiens qui ont été d’éminents philosophes, comme Averroès. Au contraire, il accrédite l’idée que les philosophes sont des ennemis des croyants», se plaint dans un récent entretien accordé à la presse française Driss Jaydane, écrivain et enseignant de philosophie à Casablanca.
Le pouvoir marocain a tellement joué la carte des islamistes contre les gauchistes durant les années 1970-80 et abandonné des espaces aux salafistes, ajoute-t-il, qu’aujourd’hui, le wahhabisme est devenu l’imaginaire collectif marocain. Driss Jaydane avertit que si personne ne met le holà, la situation risque d’empirer. «Auparavant, le Maroc défendait un islam qui était un modèle d’équilibre entre la rigueur et l’extase, mêlant au sunnisme traditionnel un courant soufi empreint de religion naturelle. Cet équilibre est complètement perdu au profit d’une fermeture intellectuelle et religieuse», fait-il remarquer.
Pour Driss Jaydane, le mal est profond, car «l’obscurantisme court les rues» et «le développement des humanités pèche, enfin, car beaucoup d’enseignants sont de bons techniciens perclus d’obscurantisme, sans recul critique sur leur discipline». «Avec eux, nos jeunes apprennent à calculer dans une absence totale de culture générale. On invente ainsi le “techno-salafisme”», regrette-t-il. Ce témoignage montre à tous ceux qui en doutent encore que le Maroc est loin d’être le pays qui a su concilier traditions et modernité, image que le Makhzen essaye de vendre à grand renfort de publicité aux Occidentaux.
Les nombreuses alertes lancées par la société civile marocaine ont convaincu le roi Mohammed VI de commencer à endiguer le wahhabisme. Cela se fait toutefois timidement. Mettant en avant des raisons de sécurité, il a dernièrement fait interdire la fabrication et la vente de burqas, voile intégral musulman à l’afghane rarement porté par des femmes au Maroc. Il n’a toutefois pas osé s’attaquer au niqab, voile intégral qui ne laisse voir que les yeux qui est porté par certaines femmes, en particulier dans les milieux salafistes. Ce qui laisse supposer que le Makhzen a une peur bleue de ses salafistes et qu’il n’est pas près de les affronter.
En voulant se débarrasser de la confrérie des Frères musulmans à laquelle appartient Abdelilah Benkirane, son Premier ministre, le roi Mohammed VI pourrait même bien faire le lit du salafisme. Peut-être est-ce même le but recherché. Après tout, les salafistes ne sont pas de ceux qui courent derrière le pouvoir… pour peu qu’on leur abandonne la société.
Khider Cherif
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