Les paradigmes de la politique africaine du président américain Donald Trump
Par Dr Arslan Chikhaoui – Il est utopique, voire naïf de penser qu’un président américain, quelles que soient ses obédiences et son appartenance partisane, est à même de modifier les fondamentaux de la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique. Etant conçue aussi bien par la Maison-Blanche que par le département d’Etat, le département de la Défense, le Conseil national de sécurité et les différentes agences de renseignement, le tout sous les rapports de force et d’influence des différents lobbies, il me semble que le nouveau président Donald Trump ne pourra apporter que quelques ajustements. Il voudra ainsi marquer son passage en tenant compte de la nouvelle ère marquée essentiellement par le déclin graduel du phénomène de globalisation, des crises sociétales et communautaires et par déclinaison politico-économique qui touchent l’Europe, notamment, et qui a commencé à se matérialiser par le Brexit.
Traditionnellement, la conception de la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique est faite de sorte à center la politique de sécurité sur un axe Nord-Sud et de créer une zone américaine de coopération, incluant l’Amérique latine, la Sibérie, l’Océanie et une partie de l’Afrique. Au travers du décryptage des différents discours et interventions du président Donald Trump, on pourrait comprendre que la sécurité nationale n’est plus pensée en termes stricts de calcul militaire. Je n’en suis pas si convaincu. Sachant que la prérogative d’une puissance influente est de pouvoir gérer son environnement externe, les sources de la force et de l’influence américaine étant au nombre de quatre : puissance militaire, influence diplomatico-culturelle, indépendance relative en ressources naturelles, compétitivité dans le commerce international. A mon sens, en ce qui concerne les deux premières sources, les Etats-Unis d’Amérique continueront à montrer leur volonté d’utiliser leur force militaire, ce qui consolidera l’influence diplomatique (équilibre relatif entre soft et hard power). Quant aux deux dernières sources, elles visent la reconquête par la stratégie du «circumscribed engagement – engagement circonscrit».
Partant de ces principes fondamentaux, les Etats-Unis d’Amérique devraient concentrer leurs activités de politique étrangère et leurs entreprises économiques et commerciales dans une «zone de coopération» définie par deux sous-ensembles, le «bloc hémisphère occidental» et l’«aire d’intérêt spécial». Le premier correspond à l’ensemble du continent américain et le second correspond à l’Afrique.
Le «bloc hémisphère occidental» constituerait un contrepoids commercial face à l’Europe et au Japon par l’encouragement du libre-échange et en augmentant l’approvisionnement des Etats-Unis d’Amérique en minerais stratégiques à partir de l’Amérique latine. Cette stratégie économique a été adoptée par le président Bush dans le cadre de l’«Enterprise for the Americas» poursuivie par les présidents Clinton, puis Obama. De mon point de vue, le président Trump ne fera que consolider cette voie.
L’«aire d’intérêt spécial», considérée comme proche du bloc, est choisie pour ses ressources naturelles et sa complémentarité sur le plan économique. Dans la vision stratégique américaine, le «bloc hémisphère occidental» pourrait présenter à l’Afrique une alternative au partenariat traditionnel de l’Europe. Comme l’Amérique, par sa population, possède de nombreux liens avec l’Afrique, elle entend les valoriser et approcher l’Afrique autrement que pendant la guerre froide ; la société civile jouant un rôle primordial à cet égard. C’est pour cela qu’une nouvelle attitude américaine envers l’Afrique sera incontestablement observée par l’administration Trump.
L’intérêt des Etats-Unis d’Amérique pour l’Afrique pourrait augmenter au fur et à mesure que l’Europe abandonne sa «chasse gardée». Il y a lieu de considérer que dans la vision géoéconomique américaine future, l’Europe et le Japon sont rivaux, et la Chine un concurrent au sens le plus large du terme. L’alliance stratégique renforcée avec le Royaume-Uni à l’issue du Brexit et le partenariat d’exception que souhaite le président Trump avec la Russie de Poutine ne feront que consolider cette vision.
Selon des observateurs avertis, les priorités géostratégiques des Etats-Unis d’Amérique en Afrique sont d’abord de s’assurer une possibilité de projeter leur puissance dans tous les coins de la planète et, de ce fait, disposer de bases. Comme les Etats-Unis d’Amérique dépendent de la liberté et de l’ouverture des voies maritimes ainsi que d’une puissante flotte de haute mer pour leur approvisionnement en matières premières et leur vitalité économique, ils seront toujours concernés par l’accès aux ports et le passage des détroits. Par conséquent, l’attention sera concentrée sur les quelques pays africains sous couvert d’une coopération globale «win-win» et dont le poids se fait ressentir en matière de production de pétrole, de gaz et de minerais, de lignes de communication maritime et de prolifération d’équipements militaires. Il s’agit dans ce cas, notamment, de l’Afrique du Sud, du Kenya, du Zaïre, du Zimbabwe, du Nigeria, de l’Ethiopie, de la Libye, du Maroc et de l’Algérie.
Le président Donald Trump, officiellement intronisé le vendredi 20 janvier 2017, avait donné les grandes lignes de sa politique étrangère dont le rapprochement avec la Russie et la guerre commerciale contre la Chine. Ces deux axes indiquent de manière indirecte la ligne que devraient adopter les Etats-Unis d’Amérique à l’égard du continent africain, en général, et de l’Afrique du Nord, en particulier.
Selon les observateurs avertis, le président Trump, quelles que soient ses attitudes intempestives médiatiques, adopterait une politique active en Afrique pour demeurer en adéquation avec les principes fondamentaux de la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique. A mon sens, le président Trump, du fait de son profil originel d’entrepreneur, ne tournerait pas le dos à ce continent aussi stratégique soit-il. C’est l’approche qui sera différente comparée à ses prédécesseurs. Le président Trump tentera de reconquérir la place de premier plan de partenaire commercial que la Chine a détrônée depuis plus de cinq ans sur le continent. Il s’appuierait incontestablement sur son allié stratégique, le Royaume-Uni, qui compte plusieurs pays africains comme membre du Commonwealth et d’autres qui ont émis le souhait d’y adhérer. Toutefois, les Etats-Unis d’Amérique sont le premier investisseur en Afrique, la Chine étant seulement en septième place, un atout qui n’échappera pas au président Trump pour assoir le positionnement à venir.
S’agissant de l’aide au développement fourni par les Etats-Unis d’Amérique au continent africain, elle reste modeste, et sans impact conséquent. Selon les médias américains, en 2015, l’aide américaine à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne s’est élevée à environ 8 milliards de dollars américains, une somme inférieure comparée à celle fournie au total à l’Afghanistan, Israël, l’Irak et l’Egypte.
Au regard de la stratégie du président Trump de combattre sans relâche les organisations extrémistes violentes (ISIL, AQMI, Boko Haram, Al-Shabab, etc.) pour empêcher l’instauration d’un Etat Islamique, il renforcera, incontestablement, sa coopération avec les pays de l’Afrique subsaharienne et de l’Afrique du Nord dont l’expertise en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé est avérée. A mon sens, le président Trump ferait en sorte de renforcer les forces américaines en Afrique par la formation de forces de sécurité locales et, par conséquent, augmenter ses budgets.
De mon point de vue, et comme l’Afrique n’a pas été une grande priorité sous l’administration Obama, sauf dans son discours, le président Trump ferait l’inverse de son prédécesseur, en accordant une place plus importante à l’Afrique dans la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique.
Concernant l’Algérie, en particulier, il me semble que les relations bilatérales ne seront que consolidées sous la présidence américaine de Trump. Ceci est surtout conforté par l’engagement indéfectible de l’Algérie dans la lutte contre les organisations extrémistes violentes dans l’espace sahélo-saharien et ses efforts dédiés à la stabilisation de la région Maghreb-Sahel par des processus politiques inclusifs (cas de la Libye et du Mali) et du soutient irrévocable à l’autodétermination du Sahara Occidental. De plus, les relations économiques, notamment dans le secteur de l’énergie, entre l’Algérie et les Etats-Unis d’Amérique ont traditionnellement été fluides avec les républicains, et ne pourront qu’être un élément de convergence futur.
Dr Arslan Chikhaoui
Membre du Conseil consultatif du WEF (Forum de Davos) et du Forum Defense & Security de Londres. Alumnus du NDU-NESA Center for Strategic Studies de Washington.
Comment (6)