Pourquoi Donald Trump et François Fillon s’acharnent contre les médias
Aux Etats-Unis, il ne se passe pratiquement plus une semaine sans que Donald Trump ne s’attaque aux médias. Il lui arrive souvent de tweeter que les «fake news medias» (les médias qui produisent des fausses informations) «sont les ennemis du peuple américain». Bien sûr, il vise nommément le New York Times et les principales chaînes de télévision américaines, NBC, CBS, ABC et CNN. La guerre que mène Trump contre les médias ne cesse de gagner en intensité. Lors de meetings de campagne, il désignait les journalistes à la vindicte populaire en les présentant comme la lie de l’humanité. Il continue donc à surfer sur le sentiment anti-élites et antimédias. «Dans les sociétés démocratiques, cette confusion entre les médias traditionnels et les fake news medias ne bénéficie qu’à ceux qui utilisent la perte de repères pour faire avancer leur agenda antidémocratique. Dans les régimes autoritaires, elle exonère des dirigeants qui se disent qu’ils peuvent désormais s’en prendre sans complexe à la liberté de l’information», soutient Nicole Bacharan, politologue franco-américaine, spécialiste de la société américaine.
Résultat des courses, de nombreux Américains ont peur pour leurs libertés. Cette crainte a atteint un tel niveau que le New York Times, cible privilégiée du président américain, engrange des records d’abonnements de citoyens soucieux de préserver un espace d’information professionnel et de qualité.
De son côté, la Maison-Blanche favorise l’essor de plateformes conservatrices et à l’éthique discutable, comme le site Breibart News, autrefois dirigé par Steve Bannon, devenu conseiller spécial du président, ou The Gateway Pundit, un blog conservateur à l’origine de nombreuses rumeurs contre Hillary Clinton, et qui vient de recevoir l’accréditation de la Maison-Blanche.
Ce sont deux Amériques qui s’opposent, qui ne s’informent plus aux mêmes sources, et n’ont donc plus accès aux mêmes «faits» pour établir leur opinion ou juger de l’action du gouvernement. Avec cette manière de faire, Donald Trump risque carrément de diviser les Américains sur la vision de la réalité.
Dans l’ensemble des sociétés occidentales, le rapport des citoyens aux médias s’est dégradé. Aux Etats-Unis comme en France ou dans la majeure partie de l’Europe, rappelle Nicole Bacharan, toutes les études d’opinion depuis trente ans illustrent cette dégradation de la crédibilité des médias, progressivement assimilés à l’élite politico-administrative décriée. Le président américain le sait, et il en profite.
«Donald Trump et les populistes européens surfent donc sur un terrain favorable à la délégitimation des contrepouvoirs, peut-être justement parce que ces contrepouvoirs n’ont pas été à la hauteur, n’ont pas suffisamment joué ce rôle face à la montée des inégalités, à la place prise par la finance, aux bouleversements économiques et sociaux des dernières décennies», affirme un autre expert américain en communication.
En accusant le New York Times d’être lui-même un média de «fake news», poursuit le même expert, Donald Trump prive donc ce journal du droit de dire ce qui est un fait : si les «fact checkers», les vérificateurs de faits, sont eux-mêmes des «menteurs», il n’y a plus d’arbitre, plus de référence absolue. C’est cette confusion que créent Donald Trump et ceux qui, à l’instar de François Fillon en France, pour se sortir de la nasse du «Penelopegate», le suivent sur cette voie de la guerre à la presse. En élisant Trump au pouvoir, les gens ont, certes, voté pour que les choses changent. Mais veulent-ils réellement un désordre total ? Car, selon toute vraisemblance, c’est l’objectif recherché par le nouveau président américain… et par ses homologues européens.
Khider Cherif
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