Deux ans de silence face au génocide du peuple yéménite (II)
Par Houria Aït Kaci – D’après ce pacte, «la stabilité de l’Arabie Saoudite fait partie des ‘‘intérêts vitaux’’ des Etats-Unis qui assurent la protection inconditionnelle de la famille Al-Saoud et accessoirement celle du royaume contre toute menace extérieure éventuelle», mais qui «s’interdisent toute immixtion» dans la politique intérieure du royaume. En contrepartie, les Al-Saoud accordent le monopole d’exploitation des réserves pétrolières aux sociétés américaines et garantissent l’essentiel de l’approvisionnement énergétique américain payable en dollars uniquement (pétrodollars).
Bénéficier de la protection militaire américaine pour assurer la pérennité de son trône et de sa fortune tirée des revenus pétroliers et du pèlerinage, a toujours fait partie de la stratégie du royaume des Al-Saoud, devenu le principal acheteur d’armes américaines et d’autres puissances occidentales (Royaume-Uni, France). Ce qui a fait de l’Arabie Saoudite «la dictature protégée», comme l’écrit aux éditions Albin-Michel Jean-Michel Foulquier, mais aussi l’allié fidèle qui a toujours exécuté les plans de l’impérialisme anglo-saxon dans la région.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France ont tous les trois renouvelé cette année leurs contrats de vente d’armements avec le royaume saoudien, à la satisfaction du complexe militaro-industriel de ces pays, malgré les protestations des ONG humanitaires contre l’usage d’armes prohibées par le royaume. Amnesty International (AI) a accusé le 23 mars Washington et Londres «d’alimenter la crise humanitaire au Yémen par leurs livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite» pour plus de 5 milliards de dollars depuis 2015.
La France, pour sa part, vient de conclure un contrat de 455 millions d’euros pour la vente d’armement à Riyad, son principal client au Moyen-Orient. C’est le contrat Donas, signé par l’Arabie Saoudite et la France au profit du Liban, qui s’est finalement transformé en vente directe d’armes pour le compte de l’Arabie Saoudite, selon la presse libanaise. D’un montant de 3 milliard d’euros, ce contrat, rebaptisé Saudi-French Military (SFMC), va servir à Riyad de reconstituer son stock d’armement pour une somme de 455 millions d’euros, mais qui pourrait à terme représenter 1,2 à 1,4 milliard d’euros. Avec près de 20 milliards d’euros de matériel vendu en 2016, la France a battu son précédent record de 17 milliards atteint en 2015. Ce qui lui permet de maintenir sa place de troisième marchand d’armes dans le monde.
Mais avec le développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis, qui a fait de ce pays un exportateur de pétrole et non plus un importateur uniquement, le marché américain va se fermer devant le pétrole saoudien. D’ailleurs, le président Ronald Trump a déclaré durant sa campagne électorale qu’il allait mettre fin à l’importation de pétrole d’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis et de l’étranger pour assurer l’indépendance énergétique des Etats-Unis et se «libérer» complètement de ses «adversaires» ainsi que des «cartels pétroliers».
Ce discours a provoqué la panique à Riyad, qui a dépêché son ministre des Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir, pour rappeler que le royaume et les USA partagent «les mêmes intérêts» et que Riyad est toujours prêt à continuer à fournir ses bons et loyaux services aux Etats-Unis. Comme pour le prouver, l’Arabie Saoudite vient de conclure des contrats de dizaines de millions de dollars avec des entreprises américaines. Le prince Ben Salmane, également ministre de la Défense, s’est précipité à Washington pour défendre auprès de Trump que son pays reste le meilleur allié des Etats-Unis dans la région et qu’ils ont les mêmes ennemis. Mais le nouveau président américain, en bon businessman qu’il est, a dû sûrement lui répondre que le royaume doit payer plus s’il veut continuer à bénéficier du parapluie américain ! Selon la presse, Trump veut faire saigner les pétromonarchies.
En outre, les réserves pétrolières saoudiennes ne sont pas infinies et tendent à décliner, comme le montre une étude spécialisée parue dans le Journal of Petroleum Science and Engineering, citée par Middle East Eye, selon laquelle l’Arabie Saoudite, après un pic dans sa production pétrolière, connaîtra un déclin inexorable en 2028. Les exportations pétrolières nettes de l’Arabie Saoudite avaient déjà entamé leur déclin depuis 2006. Entre 2005 et 2015, le taux de déclin annuel était de 1,4%. Un rapport publié par Citigroup a prévu que les exportations pétrolières du royaume (soit 80% de ses recettes) «plongeraient jusqu’à zéro dans les quinze prochaines années».
Le vrai motif de la guerre contre le Yémen : accaparer ses richesses pétrolières
Pour éviter cette descente aux enfers et la fin de la fortune pour la famille Al-Saoud, celle-ci lorgne le pétrole de son voisin yéménite, qui dispose d’importantes réserves, parmi les plus importantes dans la région et dans le monde, selon des experts économiques. Cette guerre est donc loin d’être dictée par des conflits confessionnels chiites contre sunnites, comme on veut le faire croire, mais il s’agit bien d’une guerre du pétrole, tout comme les autres guerres au Moyen-Orient, en Afrique du Nord (Irak, Syrie, Libye).
Le vrai motif de la guerre contre le Yémen par l’Arabie Saoudite et ses alliés au Yémen, c’est accaparer les richesses pétrolières de ce pays. C’est là le principal enjeu de ce conflit géopolitique.
Pour l’expert économique yéménite Mohammed Abderrahmane Sharafeddin, dans un article paru le 5 mars 2017 sur RT Fr, la découverte d’importants gisements pétroliers au Yémen est «l’une des raisons qui ont poussé l’Arabie Saoudite à attaquer le Yémen», en sachant que «le sous-sol de Hadramaout est riche en pétrole et que l’occupation du sud du Yémen revient à grossir les caisses de l’Etat saoudien. Et ce fut après la découverte de gros gisements pétroliers dans le sud que les Emirats se sont, eux aussi, engagés militairement au Yémen», a-t-il affirmé.
Il a révélé encore que Riyad détournait les réserves de pétrole yéménites avec la collaboration de la société pétrolière française Total au niveau d’un site pétrolier construit sous supervision d’Aramco à Kharkhir, près de Najran (ville frontière entre le Yémen et l’Arabie Saoudite). Selon lui, 63% du pétrole yéménite sont ainsi pompés par Riyad et Total, en accord avec le président Mansour Hadi. L’argent tiré de la vente de ce pétrole servait ensuite à financer la guerre contre le Yémen.
Selon un autre expert, Hassan Ali Al-Sanaeri, «Washington et Riyad avaient soudoyé l’ancien gouvernement yéménite pour qu’il s’abstienne des activités de forage et d’exploration pétroliers, alors même que la recherche scientifique et les évaluations effectuées par les sociétés de forage internationales montrent que les réserves de pétrole yéménites sont les plus importantes de toute la région du golfe Persique». Les seules réserves découvertes dans la région d’Al-Jaouf pourraient potentiellement faire du Yémen l’un des plus grands exportateurs de pétrole de la région et du monde, comme cela a été avancé par d’autres experts.
Comme il ne suffit pas de produire des hydrocarbures et qu’il faut encore avoir les moyens pour les exporter sur le marché, à travers des voies de navigation sécurisées, la guerre au Moyen-Orient est aussi une guerre de pipes, de gazoducs et de voies de navigation. Au Yémen, le détroit de Bab Al-Mandeb, carrefour stratégique de transport maritime accueillant 40% du transit international des marchandises et trois-quarts du pétrole du Moyen-Orient, est au centre du conflit. D’une importance géostratégique, il relie la mer Rouge dans le golfe d’Aden à l’océan Indien, et l’océan Indien à la mer Méditerranée via la mer Rouge et le canal de Suez. Il offre une porte d’entrée sur l’Afrique de l’Est. Les forces de la coalition et leurs alliés ont déclenché plusieurs offensives pour prendre le contrôle de ce passage vital pour la navigation internationale.
La guerre d’occupation et de dépeçage du Yémen vise aussi les îles, comme Socotra et Mion. La première a été cédée par Hadi aux Emirats arabes unis (membre de la coalition arabe) pour une durée de 99 ans. Cette île unique, un véritable paradis sur terre, classée patrimoine mondial, va servir pour abriter des opérations d’entraînement militaire. La deuxième, l’île de Mion, située près de Taez et à quelques kilomètres de Bab Al-Mandeb, devrait être cédée à l’Arabie Saoudite ou d’autres pays membres et alliés de la coalition qui se la disputent pour en faire une base militaire.
Les missiles yéménites brisent l’équilibre de la terreur
Mais deux ans après la guerre, les forces yéménites regroupées autour de l’armée restée fidèle à l’ancien président Ali Abdallah Saleh et Ansar Allah (Houthis) résistent et luttent contre l’agression et l’occupation de leur pays, malgré la supériorité militaire de la coalition «Otan-arabe». Cette année, on a vu les forces yéménites développer leurs propres missiles à longue portée capables d’échapper au système de défense saoudienne et briser ainsi l’équilibre de la terreur.
Plusieurs attaques aux missiles ont pu atteindre Djeddah et Riyad, dont la dernière en date a ciblé la base aérienne Roi Salmane au centre de Riyad. L’armée yéménite tient dans son viseur les villes frontalières saoudiennes (Najran, Jizan, Assir) où elles ont pénétré en profondeur, mais aussi toutes les villes saoudiennes et les autres villes des monarchies du Golfe membres de la coalition. Pour l’armée yéménite, ces attaques sont une réaction de défense légitime et une riposte aux massacres et aux crimes commis contre le peuple yéménite et son territoire, sans épargner les civils.
Le porte-parole de l’armée yéménite, le général Sharaf Luqman, a affirmé dans une interview à la chaîne satellitaire Al-Mayadeen que l’armée s’apprête à lancer la prochaine étape de ses attaques au missile longue portée. «Nous avons optimisé nos missiles à tel point qu’ils ont atteint Riyad. Les prochains missiles sont prêts et nous allons entamer la phase après-Riyad. Toutes les équations vont changer», a dit Luqman. Son adjoint, Aziz Rashid, a indiqué, pour sa part, que «les missiles stratégiques du Yémen ont établi un équilibre de terreur face à l’Arabie Saoudite». Il a ajouté que «les bases, les aéroports, les ports et les bases militaires à Ad-Dammam (frontières entre l’Arabie Saoudite et Bahreïn) seront la cible des missiles yéménites».
La DCA yéménite, qui a été sabotée par le président Hadi avant son départ, selon une source yéménite, a pu reprendre du service et abattre le 16 mars un avion de type Apache de la coalition tombé dans le district d’Al-Fakih, dans la province de Hodeidah, le 24 février un F16 à Najran, à la frontière saoudienne, et le 25 janvier, un Apache à Dhoubab, près de Bab Al-Mandeb.
Aux régions frontalières saoudiennes, les forces yéménites sont entrées en profondeur et occupent d’importantes positions, comma à Najran où elles contrôlent désormais le flanc sud des montagnes qui entourent cette province et la quasi totalité des bases militaires saoudiennes que les forces yéménites utilisent pour contrer les raids aériens des chasseurs de la coalition pro-Riyad, selon le quotidien Al-Akhbar.
En mer, les missiles yéménites s’en prennent aux navires de la coalition, comme la frégate saoudienne touchée début février en mer Rouge, près d’Al-Hodeidah, alors qu’elle participait aux bombardements des côtes ouest yéménites, selon la chaîne yéménite Al-Masirah, liée aux Houthis. Le navire, qui transportait à son bord 176 soldats et officiers ainsi qu’un hélicoptère de combat, a été touché avec précision. En octobre dernier, un navire de guerre émirati avait été détruit alors qu’il tentait d’approcher les côtes de Mokha. Il s’agit du 7e navire de la coalition bombardé par les forces yéménites depuis le début de la guerre.
Ces deux années de guerre, malgré la longue liste des victimes et des destructions, le peuple yéménite n’a pas été mis à genoux. Il reste debout pour défendre sa patrie et sa dignité. Sa soif de la liberté est plus forte que la soif de puissance, d’argent et l’orgueil des monarques saoudiens qui ne veulent pas mettre fin à cette guerre pourtant déjà perdue. Mais la puissance quand elle n’est pas accompagnée de sagesse chez un souverain, ne peut conduire qu’au pire aveuglément qui peut être fatal à son royaume.
Houria Aït Kaci
(Suite et fin)
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