Quand le bachagha Bengana vendit Chebbah El-Mekki aux autorités coloniales
Une écrivaine algérienne, Sophia Ammad, auteure du livre Ils ont honoré la patrie qui parle de «la vie, des combats et des joies de poètes et de guerrières qui ont participé à l’histoire de l’Algérie», évoque la dénonciation aux autorités coloniales, dès 1934, par le bachagha Bouaziz Bengana de Chebbah El-Mekki qui «utilisait le théâtre comme une arme pour dénoncer les abus des autorités coloniales et la cruauté infligée aux autochtones qui voulaient simplement vivre libres sur leurs terres ancestrales». Un des historiens qui ont travaillé sur la vie de Chebbah El-Mekki a rapporté qu’il était «l’une des rares personnes à tenir tête au tyran de Biskra, le caïd Bengana, et qu’il surnommait « le pharaon arabe ». Il le dénonçait publiquement». Et à l’époque, comme il le souligne, «cela constituait un acte passible de mort !».
Le rapport entre Chebbah El-Mekki, personnalité historique dont les Algériens tirent une grande fierté, et le traître que fut le bachagha Bengana, a été largement médiatisé pour la première fois, à la suite de la colère suscitée par une émission de la chaîne publique de la télévision nationale, Canal Algérie, qui faisait la promotion d’un livre visant à réhabiliter le bachagha de sinistre mémoire. Sans le scandale créé par l’intrusion du bachagha Bengana dans l’actualité algérienne, beaucoup d’Algériens seraient restés dans l’ignorance de cette grande figure du militantisme national et de la culture qu’a été Chebbah El-Mekki, dont l’arrestation en 1936, sur dénonciation du bachagha Bengana, avait fait l’objet d’une grande campagne pour sa libération en Algérie et en France. Il avait été condamné à trente jours de prison ferme. Le secours populaire français avait même édité un timbre de solidarité qui représentait Chebbah enchaîné et traîné derrière la queue d’un cheval.
Dans ses mémoires, Chebbah El-Mekki raconte cet événement : «C’est au cours de l’année 1936 que j’ai été traîné poings liés attachés à une corde tirée par une jument sur un parcours de 130 kilomètres entre Biskra et Ouled-Djellal. Mon arrestation a eu lieu « un certain jour de 1936 » après une réunion de l’Association des oulémas qui s’était déroulée à Biskra pour fêter la libération de Cheikh El-Okbi et de Abbas Turqui qui avaient été accusés à tort de l’assassinat du muphti Kahoul. A la suite de cette réunion, je fus arrêté par le représentant du bachaga Bengana qui m’avait accusé ‘‘d’avoir tenu des propos hostiles à ce dernier et à la France’’. Le représentant de Bengana m’a informé que je serai conduit à la prison d’Ouled-Djellal où je serai mis aux arrêts durant un mois. J’ai rejeté ces accusations mensongères et j’ai refusé de me laisser mener à la prison d’Ouled-Djellal sans qu’il y ait un jugement en bonne et due forme. C’est donc par la force et en usant de moyens violents que les serviteurs zélés du féodalisme et du colonialisme ont pu me mener à Ouled-Djellal.»
Pour rappel, Chebbah El-Mekki est né en 1894 dans la commune de Sidi-Okba, wilaya de Biskra. Il a appris l’alphabet et le coran dans cette même ville. En 1924, il part en France, où il adhère à l’Etoile nord-africaine (ENA). En 1929, il retourne à Sidi-Okba où il ouvre un café maure et créé le premier «théâtre indigène», dont le secrétaire général était l’écrivain algérien Ahmed Reda-Houhou. Dans son combat anticolonialiste, Chebbah El-Mekki était membre à la fois des Oulémas et du Parti communiste algérien (PCA). Il poursuivit son action militante après l’indépendance au sein du PCA puis du PAGS. Chebbah El-Mekki est décédé dans l’anonymat en 1991. Il est enterré dans sa région natale, à Sidi-Okba.
Houari Achouri
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