Le président de la région d’Al-Hoceima explique pourquoi le Maroc va si mal
Contrairement à ce que soutiennent les services spéciaux marocains, le président de la région d’Al-Hoceima, Ilyas El-Omari, ne croit pas que les initiateurs des protestations qui secouent le Rif depuis plusieurs mois soient manipulés depuis l’étranger. Pour lui, la colère des Rifains s’explique tout bonnement par le chômage endémique qui touche la population et le peu d’intérêt qu’accorde le pouvoir central à la région. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique, Ilyas El-Omari parle carrément de région abandonnée et livrée à elle-même. A l’entendre, le Rif est plongé sciemment dans la pauvreté pour qu’elle devienne une énorme plantation de Cannabis.
Selon lui, la production et le commerce de drogue représente aujourd’hui plus de 81% de l’économie de la région. Un business qui rapporte chaque année 23 milliards de dollars. Les 19% restants, ajoute-t-il, «sont issus des transferts d’argent de la diaspora rifaine, de la pêche et d’autres secteurs». Le problème est que maintenant la diaspora rifaine envoie moins d’argent à cause de la crise en Europe et que la pêche ne rapporte plus autant qu’avant. «Durant les années 1980, le Rif abritait six usines de conserve de poisson. Aujourd’hui, ces usines ont toutes fermé. La raréfaction du poisson et le repli des bateaux de pêche sur d’autres zones poissonneuses ont ébranlé les affaires de plus de 6 000 personnes qui vivaient directement ou indirectement de l’activité du port d’Al-Hoceima», se lamente Ilyas El-Omari.
Enfant de la région, le secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) révèle que le Rif n’est cependant pas la seule région du Maroc à être en quasi situation d’insurrection permanente. «Les manifestations, il y en a partout au Maroc. Chaque jour, on en recense 125 aux quatre coins du pays. Les gens se sont focalisés sur Al-Hoceima parce que la ville traîne des boulets. Elle est classée dernière en termes d’accès à l’emploi», indique-t-il, tout en suggérant d’investir une partie de revenus de la drogue dans le développement du Rif puisque le pouvoir central s’en désintéresse. M. El-Omari soutient qu’avec un milliard de dollars par an, il serait possible de faire d’Al-Hoceima… la Monaco du Maghreb.
A ce propos, Ilyas El-Omari dit clairement regretter que l’argent de la drogue ne soit plus réinvesti dans la région, comme c’était le cas avant 2008. Où vont maintenant les revenus de la vente du cannabi ? Il ne fournit aucune indication sur la question. Dans tous les cas, le président de la région d’Al-Hoceima se montre persuadé que la tension perdurera dans le Rif tant que les autorités n’auront pas trouvé une solution au chômage des jeunes. Des jeunes sans débouchées et quasiment exclus de la fonction publique en raison de leur mauvaise formation. «La fonction publique leur est inaccessible à cause du système des concours nationaux qu’organise chaque année l’administration. Ceux qui réussissent sont généralement issus des villes du centre, parce qu’ils ont un meilleur niveau d’éducation. Il n’y a pas d’écoles privées à Al-Hoceima et l’enseignement n’est pas au niveau», confie-t-il. Le Maroc égalitaire et exemple de développement que Mohammed VI s’amuse à chanter sur tous les toits n’est finalement qu’une chimère hideuse, avec en plus un bâillon sur la bouche.
Khider Cherif
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