Edouard Philippe à BRTV en 2015 : «Le mot intégration n’a plus beaucoup de sens»
Edouard Philippe, nommé ce lundi Premier ministre par Emmanuel Macron, avait accordé en 2015 à Berbère Télévision une interview dans laquelle il a traité très longuement du problème de la diversité en France, autrement dit du problème de l’immigration, particulièrement maghrébine, donc algérienne aussi, et a exposé de la façon la plus exhaustive ce qu’il en pense. Edouard Philippe estime d’abord qu’il y a une progression, certes lente, mais en profondeur, de ce problème de la diversité qu’il qualifie de compliqué, parce que, explique-t-il, il s’agit de faire évoluer toute la société française.
Il compare cette évolution de l’acceptation et de la promotion des diversités au sein de la société française à celle de la situation des femmes en France. «On est parti de très loin, dit-il, et on n’est pas encore arrivé au bout du chemin.» Mais, fait-il constater, «en 30, 40 ans, la transformation a été incroyablement profonde et on ne reviendra pas en arrière». Pour la diversité, estime Edouard Philippe, «c’est la même situation, le chemin est engagé, les processus sont lancés, ils sont lents, ils sont parfois combattus, parfois approuvés, et en tout état de cause, on n’est pas au bout du chemin».
En 2015, alors qu’il était député-maire du Havre et loin d’être Premier ministre, Edouard Philippe se déclarait dans son interview à Berbère Télévision «plutôt confiant», pas comme certains, dit-il, qui sont pessimistes et angoissés sur ce problème de la diversité. Il partage la théorie républicaine appliquée en France qui consiste à dire que les gens sont d’abord des individus indépendamment de leurs caractéristiques physiques, ethniques, sexuelles, sociales, choisies ou données qui, elles, sont «accessoires, ajoute-t-il, par rapport à ce qu’est le citoyen et l’individu». C’est cette théorie qui fait, explique-t-il, qu’il n’y a pas en France «les instruments de statistiques qui permettraient de mesurer l’évolution de la diversité dans les métiers, la Fonction publique… On ne peut pas, on ne veut pas la mesurer».
«Faut-il aller jusqu’aux statistiques ‘‘ethniques’’ ?», interroge-t-il. Lui n’y est pas favorable, estimant que «le débat est plus sérieux que la caricature qu’on en fait souvent», bien qu’il comprenne le raisonnement sur le besoin de statistiques qui sont indispensables à l’élaboration de politiques publiques dans ce domaine. Il se dit «idéaliste» et croit en l’idéal républicain et en l’individu. Pour Edouard Philippe, «le combat pour faire progresser la diversité passe moins par des instruments juridiques et statistiques que par une volonté politique, partout, des managers, des responsables, qui doivent intégrer cette dimension de la diversité dès qu’ils prennent des décisions».
Il n’aime pas le mot «intégration» parce que, dit-il, «il n’a plus beaucoup de sens». Il explique pourquoi en partant de son expérience vécue au Havre, qui en est à sa 4e génération de l’immigration venue d’Afrique du Nord, «notamment d’Algérie», précise-t-il, dès après 1945 pour reconstruire la ville. A la 3e génération, pour quelqu’un né français, ce n’est pas la question de l’intégration de l’étranger vers le Français qui se pose, mais celle de l’intégration sociale, fait-il remarquer. Il note la fragilité du «lien extrêmement important que doit réaliser l’individu avec la société française et à la France», quel que soit le nom donné à ce lien, «patriotisme, sens civique ou intégration sociale». Mais, souligne-t-il, cette fragilité est partout dans la société, pas seulement parmi les descendants d’immigrés. Il donne en exemple les «cérémonies patriotiques» qu’il a organisées au Havre et qui n’intéressaient pas beaucoup de monde.
La fragilité de ce lien pousse certains à partir faire la guerre ailleurs (allusion aux jeunes qui rejoignent les groupes terroristes en Syrie), mais pour d’autres, ajoute-t-il, cela se traduit moins spectaculairement. Pour Edouard Philippe, la dissolution du lien entre l’individu et la nation est un problème général. Il est en désaccord avec Manuel Valls, qui a évoqué la notion de discrimination territoriale, d’apartheid. Au passage, il légitime le combat armé des Sud-Africains contre le système d’apartheid, qu’il qualifie d’«abject», mais réfute l’idée que c’est le cas en France qui, rappelle-t-il, n’a pas mis en place l’apartheid.
Edouard Philippe exprime son désaccord également avec la notion de «quotas d’immigrés», car, selon lui, cela reviendrait à renoncer à traiter la question. Il appelle à une réponse collective européenne à ce qui se passe en Méditerranée, parce qu’il considère qu’il s’agit d’une «migration massive, non organisée, très déstabilisante» pour les pays européens du nord de la Méditerranée. Deux questions, d’après lui, se posent, l’une principale : comment organiser la réponse ? et la seconde concerne la répartition des populations qui arrivent. Mais, fait-il remarquer, il faut avoir en face des interlocuteurs qui souhaitent résoudre le problème. Ce qui n’est pas le cas dans une situation de désordre, comme en Libye, où se développent des «filières mafieuses qui font partir le maximum de bateaux». Il faut «essayer d’empêcher ces départs», dit-il, et «évidemment sauver toutes les personnes qui sont en détresse en Méditerranée».
Enfin, à propos de la politique interne, Edouard Philippe avait anticipé sur les élections primaires à droite qui ont eu lieu deux ans après, en 2017, en se prononçant pour leur ouverture à tous les citoyens qui veulent participer au choix du candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle et en prévoyant qu’elles allaient faire voter 4 millions de Français. Il confirmait également sa proximité avec Alain Juppé qu’il trouvait le meilleur pour diriger la France «rassemblée, diverse et plus forte», a-t-il conclu.
Houari Achouri
Comment (15)