Interview – Senouci : «La restitution des crânes n’est pas dans les priorités de Macron»
L’écrivain algérien Brahim Senouci revient, dans cet entretien, sur la pétition qu’il a lancée en 2016 pour la restitution des crânes de nos aïeux combattants, séquestrés dans les caves du Musée de l’homme à Paris. Ce professeur de sciences physiques à l’université de Cergy-Pontoise regrette que les Algériens ne se réunissent pas autour d’une telle cause, soulève l’opacité qui entoure les démarches des autorités algériennes et craint que cette affaire soit jetée aux oubliettes. Pour ce fervent défenseur de la cause palestinienne et président du conseil d’administration de l’association Génération 2010 qui travaille à l’articulation des mémoires dans l’espace français, l’Algérie n’exerce pas de pression sur le nouveau président français Emmanuel Macron pour faire avancer ce dossier. Le plus inquiétant pour lui est le fait que ces crânes fassent partie des collections nationales, autrement dit du patrimoine de la France.
Vous avez lancé en 2016 une pétition pour la restitution des têtes des résistants algériens détenues par le Musée de l’humanité à Paris. Avez-vous pu atteindre les 35 000 signatures que vous aviez fixé comme objectif ?
Nous nous en approchons, sans les atteindre toutefois. Cela dit, 30 000 signatures, c’est un résultat appréciable. Ce que je regrette beaucoup, c’est que la majorité des signatures viennent de France. Pourtant, la presse télévisuelle, journalistique, a assuré une très bonne couverture de l’affaire en Algérie. Malheureusement, ceci nous rappelle la gravité de la crise morale que traverse notre pays. Nous ne sommes même plus capables de nous réunir autour d’une cause telle que celle-ci.
Y a-t-il du nouveau dans cette affaire ? Les autorités françaises ont-elles réagi ? Comment ?
Pas grand-chose de nouveau, hélas. Il y a eu un semblant d’agitation qui s’est traduit par des déclarations enflammées mais sans lendemain des autorités algériennes, par la bouche, notamment, de M. Zitouni, ministre des Moudjahidine. Les autorités françaises s’en tiennent à une déclaration qu’elles répètent à chaque fois qu’elles sont interpellées sur le sujet : l’Algérie, disent-elles, doit demander officiellement la restitution des restes de nos aïeux combattants. Détail particulièrement révoltant, ces crânes font partie des collections nationales, autrement dit du patrimoine de la France, et sont inaliénables. Pour que le processus de restitution puisse être engagé, il faut que l’Assemblée nationale française vote une loi qui sortirait ces crânes desdites collections. Une proposition de loi serait soumise par le gouvernement français au Parlement sur demande officielle de l’Algérie. Les déclarations contradictoires abondent du côté algérien et on ne sait plus très bien si notre gouvernement a formulé cette demande ou non.
La France vient d’élire un nouveau président, Emmanuel Macron. Il s’agit d’un Président qui a qualifié, durant sa campagne électorale, la colonisation de crime contre l’humanité. Pensez-vous qu’il pourrait débloquer cette affaire et permettre ainsi aux Algériens de rapatrier les crânes de ces résistants ?
Je ne crois pas, hélas, que cela fasse partie de ses priorités, d’autant moins que l’Algérie n’exerce guère de pression sur lui. Il y a autre chose qui m’inquiète. Romain Nadal, du ministère français des Affaires étrangères, a déclaré que cette question devait être traitée dans un cadre large, dans lequel seront examinées les questions mémorielles, notamment celle des disparus «des deux camps». On voudrait noyer le poisson qu’on ne s’y prendrait pas autrement…
Comptez-vous attirer son attention ou attendrez-vous que les autorités algériennes le fassent, à travers le ministre des Moudjahidine qui s’est saisi de cette affaire ?
Tout se fait dans une opacité de mauvais aloi. Il n’y a plus aucune information officielle. Le temps passe… Il faudrait une campagne de presse en Algérie qui permettrait de réveiller notre peuple de son insupportable léthargie. Il y trouverait l’antidote à son marasme, son anomie, sa haine de soi que le «généreux» colonialisme nous a légués. Oui, il faudrait une interpellation citoyenne de nos gouvernants pour les contraindre à ramener les éléments de notre mémoire indûment séquestrés par l’ancienne puissance coloniale !
Hani Abdi
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